VIII

715 Words
VIIIC’était Mme Fanny Listor qui entrait, accompagnée du commissaire. Mme Listor était remontée de sa cabine en toilette de ville, car l’heure du repas du soir était proche. Elle avait fait deux fois, sous son ombrelle, le tour du navire, et maintenant, elle venait se mêler à la société du bord. – Ses enfants, accompagnés d’une gouvernante, la suivaient en jouant. Quand elle apparut à l’entrée de la tente, elle était en conversation avec le commissaire. Elle parlait sur un ton assez élevé, comme une personne indifférente à la présence des tiers ; et en ce moment elle s’amusait d’un petit n***e qu’elle avait rencontré sur son passage, faisant la chasse aux mouches. Elle lui avait demandé s’il voulait entrer à son service comme « groom », et l’enfant, qui ne comprenait pas bien son langage, ne lui avait répondu que par un sourire embarrassé et béat. – Comme ils sont drôles, ces jolis enfants d’ébène ! disait-elle en se penchant pour pénétrer dans la salle de lecture. À sa voix musicale et sonore, bien connue sans doute des personnes présentes, la plupart des passagers se levèrent pour aller au-devant d’elle et lui serrer la main. Ceux qui n’étaient pas avec la nouvelle venue en relations de courtoisie, suivaient des yeux ses mouvements. Involontairement Philippe et Jacques participèrent aussitôt à l’attention générale. En un moment, Mme Listor devint le centre du petit salon improvisé. Il n’y avait plus qu’elle sous la tente. On lui parlait de sa santé, de celle de ses enfants, des divers incidents de la vie du bord. Elle répondait à tout sur un ton enjoué, avec une aisance charmante, sans la moindre banalité. Les deux cousins s’étant levés à leur tour, le commissaire vint à eux pour les présenter à la jeune femme. – Voici, madame, lui dit-il, les deux voyageurs embarqués à Saint-Denis. Ce sont les premiers habitants de l’île Bourbon qui se soient décidés à franchir les mers pour venir visiter la patrie de leurs aïeux. – Fort bien, messieurs, dit Mme Listor après un rapide coup d’œil d’inspection. Je suis charmé de votre rencontre… Vous êtes nos compatriotes… La France d’aujourd’hui est bien différente, sans doute, de celle que vous avez fondée là-bas. Mais, n’ayez crainte, vous y serez bien reçus. Tandis qu’elle parlait, Philippe et Jacques se sentaient comme enveloppés eux-mêmes du charme qui se dégageait de sa personne. Son regard lumineux et doux allait droit à leurs yeux, sans affectation, ni réserve, et elle leur témoignait de son intérêt par une poignée de main tout à fait cordiale. Mme Listor ne portait pas le costume que nous avons décrit tout à l’heure, costume commun aux deux sexes ; elle était vêtue, comme les mères, d’une robe drapée à l’antique et serrée à mi-corps par une ceinture. De l’échancrure du corsage, son cou d’ivoire s’élançait, gracieux et ferme, pareil à une tige printanière, faite de soleil et de rosée. – Pas un bijou. – Deux bouquets seulement, formés de baies rouges cueillies à Madagascar, l’un entre les seins, l’autre sur le grand chapeau à plume qui ombrageait sa noire chevelure. Elle alla s’asseoir sur le divan à côté d’un vieillard à longue barbe blanche, qui n’était autre que le médecin du navire, le docteur Priot. Et à son tour, le capitaine fit son entrée. – Évidemment, l’heure du souper était imminente. Le maître d’hôtel avait l’habitude de guetter l’arrivée du chef de navire pour mettre en branle la cloche d’appel. Incontinent, celle-ci se mit à sonner à toute volée, jetant sa note paie dans l’immensité silencieuse. Tandis que le délité commençait, de la tente vers la salle à manger, Jacques et Philippe se rapprochèrent du capitaine pour le saluer. – Ah ! vous voilà, leur dit ce dernier, dès qu’il les eut vus se diriger vers lui. Précisément je vous cherchais. Mon grand-père m’a souvent raconté qu’un grand-oncle à lui avait fait partie de l’Émigration religieuse de 1891. Ce grand-oncle était abbé dans les environs de Marseille et s’occupait principalement d’organiser des pèlerinages en Terre-Sainte… Il n’y avait pas encore de gare à Jérusalem dans ce temps-là, et c’était un voyage compliqué que celui de la Palestine… Mais il aimait ça ; c’était, dans son genre, un aventurier… aussi, lorsqu’il fut question d’aller s’installer à Bourbon, il fut le premier parmi les Marseillais, à s’inscrire… Il s’appelait le père Bénédict. En avez-vous entendu parler ? – Parbleu ! répondit Jacques. Le père Bénédict a laissé dans l’île un nom populaire. Il a fondé un ordre de missionnaires. Et sur le plus haut des pics volcaniques de la province sous le vent, il a érigé une statue colossale à Notre-Dame de la Garde, laquelle est, à l’heure qu’il est, l’objet d’un pèlerinage très suivi. – Ah ! je le reconnais bien là, répartit le capitaine. Il a dû mourir content, le brave abbé Bénédict.
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