IVEn l’an 2001, date à laquelle se place notre récit, ces deux branches sont représentées par deux cousins à peu près du même âge, qui sont liés ensemble par des sentiments de profonde amitié.
L’un d’eux, Philippe, âgé de vingt ans, descend de Louis, le fils aîné du chef de la famille émigrée, celui qui voulut, comme nous le disions tout à l’heure, continuer à porter le nom de Martinvast. C’est l’héritier d’un de ces petits garçons que nous avons vus précédemment s’embarquer à Marseille, chargés de leur bagage enfantin. Il porte toujours dignement son ancien nom bourgeois, et, depuis son adolescence, un secret instinct le reporte vers l’ancien pays de ses pères. Il a hâte de profiter des communications internationales qui sont annoncées et qui mettront enfin un terme à la réclusion de Bourbon, pour aller parcourir la France et visiter en particulier la Normandie.
Le second est Jacques de Vertpré. Il appartient à la branche cadette dans laquelle se trouvent particulièrement infusés le tempérament, les tendances et les aptitudes de la souche maternelle, c’est-à-dire de la famille du Val Saint-Jacques, du pays de Valognes. – Il est un peu plus jeune que Philippe et n’a que vingt-trois ans. La passion des voyages ne le tourmente pas ; toutefois, pour être agréable à son cousin, il se dispose volontiers à l’accompagner. – La perspective d’un pèlerinage filial à faire à Saint-Lo et à Valognes lui sourit assez. Justement il s’occupe à composer un livre de famille. En se reportant au berceau de sa race, il pourra, trouver sans doute des documents intéressants, des actes, des portraits, des sépultures, qui lui permettront de renouer la chaîne de sa filiation et de reconnaître les devanciers de ses bien-aimés parents.
Tous deux sont célibataires, libres de leur personne. Si la royauté de Bourbon se mêle, comme il est permis désormais de le supposer, au concert des autres nations du globe, ils sont, par leurs connaissances et leurs qualités individuelles, désignés au nombre des premiers, pour faire partie du personnel diplomatique. Il est bon, par conséquent, qu’ils se déplacent et qu’ils aillent prendre l’air des pays étrangers.
Les études qu’ils ont faites au collège ecclésiastique de Saint-Denis ont été très soignées. Ils savent plusieurs langues et sont au courant des sciences, telles au moins qu’elles étaient connues à la fin du dix-neuvième siècle. Enfin, ils ont accompli, dans la petite armée royale, où ils ont un grade d’officier, quelques années de service. De sorte que rien ne s’oppose à leur départ.
Les Messageries maritimes de Marseille viennent précisément d’organiser un service régulier entre leur pays et l’Europe.
Au premier bateau qui apparaît dans les eaux de l’île et qui accoste au quai de Saint-Denis, sous le pavillon tricolore, nos jeunes cousins s’embarquent.
Avec eux, c’est la petite France qui va visiter la grande. C’est le dix-neuvième et le vingt-unième siècles qui vont se trouver en présence. Nous allons voir les derniers rejetons du christianisme, marcher à la découverte d’un pays transformé par le règne plus que centenaire d’un système égalitaire, exclusivement basé sur les connaissances positives.
Suivons-les et voyageons avec eux. Ce sera l’occasion pour nous de passer en revue les transformations qui ont été opérées dans notre organisation sociale, en vue de réaliser, avec une absolue perfection, le programme des Monroë français, c’est-à-dire l’idéal de la France démocratique.
En voyant en face l’une de l’autre, l’ancienne civilisation et la nouvelle, nous pourrons les comparer, et du même coup, nous jugerons si nos pères ont eu bien raison d’entrer, comme ils l’ont fait, dans la voie qu’ils appelaient, au temps jadis, le socialisme scientifique.