IIINous ne nous arrêterons pas longtemps sur l’histoire intérieure de ce qu’on a appelé depuis le royaume de Bourbon.
La vieille France s’y trouva transportée telle à peu près, qu’elle était chez nous au commencement de la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Toutefois, au bout de quelques années, un certain mouvement de retour en arrière se produisit dans l’opinion publique et dans les institutions, tellement qu’on aurait pu s’y croire revenu aux temps antérieurs à 89, n’étaient les chemins de fer, la vapeur et l’électricité, dont on ne fit jamais d’ailleurs qu’un usage assez restreint.
La société ne tarda pas à y être organisée en classes bien distinctes et pourtant amies l’une de l’autre. Autour du roi, la noblesse, qui tenait les emplois publics et possédait le sol ; en dessous, la classe moyenne adonnée au commerce et aux professions privées ; plus bas, les ouvriers, employés et domestiques.
La noblesse, possédait en réalité tout le pouvoir politique. La classe intermédiaire n’avait dans les affaires du pays qu’une voix consultative. Quant à la populace, elle se laissait conduire ; mais, par compensation, elle était exempte d’impôt. – On passait d’ailleurs assez facilement de la troisième classe dans la seconde, de la seconde dans la première, et cette sélection opérée suivant des règles équitables et larges, prévenait toute fermentation dangereuse. – Dans l’accomplissement de ses devoirs supérieurs, la classe privilégiée apportait une conscience remarquable, un zèle de néophyte ; et elle trouvait, dans ce dévouement sincère à la chose publique, la plus sûre garantie de ses avantages, – Cette société vécut heureuse et pacifique, car le bonheur n’est incompatible avec aucun système politique.
Pour faciliter cette réorganisation, le gouvernement de Bourbon avait décrété – aucun de nous ne l’ignore – que l’île resterait pendant cinquante ans séparée du reste du monde ; et les autres nations s’étaient bénévolement prêtées à ce blocus volontaire. De sorte que, pendant un demi-siècle, aucun navire étranger n’était entré dans les ports de la principauté ; aucune lettre, aucun journal, aucun livre n’y avait été importé. Le mouvement maritime de la nouvelle nation s’était borné au petit cabotage et à la pêche dans les eaux voisines du littoral.
Cet isolement se continua même au-delà du cinquantenaire obligatoire. Les Bourbonnais avaient pris l’habitude de vivre de leurs propres ressources et n’étaient pas pressés de modifier leurs premiers usages. Les autres nations avaient à la longue perdu leur île de vue. Du nord au midi, de l’est à l’ouest, on avait cessé d’y penser.
De plus le clergé, qui avait la haute main dans l’administration générale et qui tenait la royauté en respect, s’opposait par tous les moyens en son pouvoir, à l’idée de reprendre des relations avec les étrangers, c’est-à-dire avec les infidèles et les gentils. Alors même que les communications extérieures avaient cessé d’être un crime légal, il en faisait une faute religieuse et un cas de conscience. Et son influence était redevenue si puissante, qu’on peut, en définitive, en laissant de côté certains abordages rapides opérés par des navires en détresse, des trafiquants irréguliers ou des géographes indiscrets, considérer que l’isolement de la petite France dura en fait un peu plus de cent ans.
Parmi les familles qui se firent une large place dans cette restauration du passé, il faut citer celle des Martinvast.
Quand le chef de cette famille mourut, vingt ans après son expatriation, il était chargé d’honneurs, de titres et de décorations. Il avait eu dans les conseils du roi une grande autorité, et il avait réussi à se constituer un domaine important auquel il avait donné le nom de Vertpré, le nom de son ancienne propriété des environs de Saint-Lo.
Le second roi de Bourbon, celui qui avait succédé à don Jaime, avait même érigé ce domaine en comté.
Mais, chose assez bizarre, au décès de son père, Louis, le fils aîné des Martinvast expatriés, s’était refusé à porter le titre de comte ; il avait préféré garder son ancien nom ; et ce fut André, le représentant de la branche cadette, qui fut le deuxième comte de Vertpré.
Il restait encore, paraît-il, dans la famille normande, exportée au milieu de l’Océan Indien, quelque relief du levain démocratique qui s’était développé en France dans la personne du docteur Martinvast, de Saint-Lo.
Les deux branches des Martinvast de Bourbon, n’en continuèrent pas moins à vivre en très bonne intelligence, occupant côte à côte dans l’aristocratie, des rôles plus ou moins importants pendant plusieurs générations.