II

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IIAu nombre dois émigrants qui partirent par le deuxième convoi, se trouvait la famille normande des Martinvast. Cette famille, qui était fixée depuis plus de cent ans dans la banlieue de Saint-Lo, se composait, à l’époque dont nous parlons, des père et mère et de quatre jeunes ménages. Elle se rattachait à la noblesse, autant qu’à la bourgeoisie, par ses relations et ses alliances. Madame Martinvast, la mère, était une de Val Saint-Jacques, d’une des plus anciennes souches du pays de Valogne. L’aînée des filles avait épousé le vicomte de Rimbert, ancien officier de cavalerie, domicilié dans les environs. Placée au milieu d’une campagne verdoyante, l’habitation des Martinvast se composait d’un castel modeste et confortable, auxquels étaient adjoints une ferme et une sucrerie. Louis, l’aîné des fils, s’occupait principalement des travaux agricoles. André le second, avait pour apanage l’industrie. La fille cadette demeurait dans la ville même de Saint-Lo, où elle avait épousé un fonctionnaire issu du ministère de Broglie-Fourtou, de malencontreuse mémoire. – Ce fonctionnaire avait été révoqué après quelques mois d’exercice ; mais il n’en continuait pas moins à résider dans la Manche, précisément à cause de ses attaches avec la famille Martinvast. Tout ce monde s’était décidé, sous des motifs divers, à partir pour l’île Bourbon. Monsieur Martinvast père avait eu autrefois dans le département une situation politique importante. Or, à l’heure actuelle, il ne lui en restait absolument rien, pas même une ombre d’influence. Sa fortune, au lieu d’augmenter tendait, malgré sa bonne administration, à se réduire. Les impôts nouveaux d’une part, et d’un autre côté le rendement médiocre des terres et des fabriques, menaçaient de lui créer des embarras. Ses fils travaillant sans courage et sans succès, mêlaient chaque jour leurs récriminations à celles de leurs beaux-frères, que l’oisiveté rendait chagrins et moroses. Les femmes rejetaient sur l’irréligion régnante la responsabilité des difficultés qui les entouraient. Se reportant en esprit au temps de la Terreur, elles croyaient entrevoir devant elles les plus grands dangers, la persécution, la confiscation, la mort. Il n’y avait, suivant leur opinion, de salut possible, que dans un retour général aux pratiques de piété, la foi reprenant dans la direction sociale la place qu’elle avait eue aux bonnes époques de notre ancienne histoire. Quelques années auparavant, le chef de la famille avait bien eu l’idée d’opérer, vers les idées nouvelles, un certain virement. Il y avait même été assez vivement poussé par son frère cadet, le docteur Martinvast, sénateur et chef du parti républicain dans la Manche. Ce dernier s’était, dès sa jeunesse, séparé de sa famille, et avait fait b***e à part. Poussé par des convictions d’ailleurs très sincères, il avait pris, au point de vue politique et religieux, le contre-pied des opinions de tous les siens. Comment cela s’était-il fait ? Comment la race si catholique des Martinvast s’était-elle, à un certain moment, trouvée imprégnée d’incrédulité et de paganisme ? Nul ne pouvait le dire. – Mais chacun s’arrêtait avec respect devant un dissentiment, que la raison seule et la droiture d’intention avaient développé. Les relations entre les deux frères, pour être rares, n’en étaient pas moins restées empreintes de confiance et d’attachement. À une certaine époque le docteur profita donc, comme nous venons de le dire, de ces dispositions mutuelles toujours sympathiques, pour essayer d’entraîner son aîné avec lui. Il le sermonna, chercha par tous les moyens à la convaincre, lui faisant voir l’avenir fermé pour lui et pour ses enfants, s’il persévérait dans ses illusions. Le chef des Martinvast hésita un moment, comme par déférence ; mais finalement, recula devant l’impossibilité pratique d’un pareil changement. Autour de lui, dès que le projet de départ avait été bien arrêté, chacun s’était mis courageusement à faire les préparatifs nécessaires. La résolution pourtant avait été pénible à prendre. – Que de choses en effet on allait perdre : charmes du logis patrimonial, horizons familiers, regards amis, douce lumière du soleil natal ! – Et là-bas que trouverait-on ? Comment vivrait-on ? – La réponse n’était pas facile à faire à ces questions. Mais on ne s’arrêta pas longtemps à ces considérations. – Tous, sans distinction de s**e ni d’âge, ils s’en allaient comme des croisés, au cri de « Dieu le veut », soulevés par un attrait surnaturel ; à la recherche de quoi ?… d’une atmosphère chrétienne. Cette atmosphère, à laquelle ils étaient accoutumés, à laquelle ils tenaient par toutes les fibres de leur être, dont ils étaient pour ainsi dire formés, ils ne trouvaient plus à la respirer en France. Eh bien ! ils allaient la chercher et la reconstituer ailleurs. C’est ainsi que toute cette famille de Normandie se trouvait réunie, le premier octobre 1801, sur les quais de Marseille, entourée d’un énorme attirail de caisses et d’objets de toute sorte, chacun tenant à la main des objets particulièrement précieux ou même des animaux. Les hommes conduisaient des chiens en laisse ; les enfants, – il y en avait plusieurs dans chaque ménage, – emportaient, qui un oiseau, qui une fleur, et même des joujoux et des poupées. – C’était un spectacle curieux et attendrissant à la fois.
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