Tiziana
J'étais maintenant couchée dans mon lit et mon regard errait dans le vide. J'avais en fin de compte passé un bon weekend malgré la mésentente avec Giorgio. Je me sentais bien avec lui, mais j'avais parfois de la peine à supporter son côté possessif.
J'avais parfois l'impression que nous aurions connu le bonheur absolu si nous avions été déportés tous les deux sur une autre planète, sans interaction avec le monde extérieur.
C'est ce qui se passait quand nous passions une journée ensemble enfermés chez lui, tout allait super bien, nous étions carrément dans une bulle de bonheur. Mais lorsqu’il fallait sortir de cette bulle, j'avais de la peine à reconnaitre l'homme aimant et attentionné avec qui je partageais du pur bonheur il y a quelques minutes.
Mon téléphone se mit à sonner à cet instant.
- Hello bébé, bien rentrée ? demanda Giorgio.
- Oui chéri, je suis bien arrivée. Je me suis à peine mise au lit.
- D'accord chérie. Tu as pu rappeler ton cousin Matteo ?
- Non pas encore, je le ferai demain.
- D'accord, fais-moi savoir après ce qu'il voulait.
- Euh, euh, d'accord chéri, répondis-je avec consternation.
- Je te laisse te reposer, bonne nuit mon cœur, murmura Giorgio.
- Bonne nuit Giorgio.
Je raccrochai le téléphone un peu déconcertée. Je ne comprenais pas en quoi l'appel de mon cousin pouvait l’intéresser. Je me sentais parfois étouffer par ce comportement de Giorgio que j'avais pourtant apprécié au départ. Je l'avais toujours interprété comme un signe d'amour et d'attention à mon endroit, mais avec le temps, j'avais l'impression de manquer d'air.
Étendue sur mon lit, je repensai à ma vie, à mon enfance.
J'étais âgée de vingt-cinq ans et était professionnellement active depuis mon installation dans le nord de l'Italie. Giorgio et moi avions une différence d'age de dix-sept ans, mais je devais admettre que cela ne m'avait jamais posé problème. D'ailleurs, j'avais toujours eu une faible pour les personnes beaucoup plus matures que moi. Cela me donnait un sentiment de sécurité et de confiance.
Malheureusement, le nombre d'années n'était pas toujours un signe de sagesse. J'en savais quelque chose. Mon père était décédé l'année de mes dix ans et j'avais vu mon monde s'écrouler du jour au lendemain. Il avait été pris de plein fouet par un chauffard et malheureusement, il en était mort sur le coup.
Papa était aussi présent que maman était inexistante dans nos vies. Papa était celui qui bossait toute la journée, mais il trouvait toujours du temps pour moi, pour m'amener à mes différentes activités (natation et volley-ball). Je m'étais demandée en grandissant pourquoi ils n'avaient jamais divorcé. Maman passait ses journées à boire et ne contribuait à aucune tâche à la maison, que ce soit financière que ménagère. Elle n'avait d'ailleurs pas d'emploi et n'en avait jamais eu. Elle vivait aujourd'hui avec la pension que lui reversait l'état après le décès de mon père.
Durant mes années de lycée, je m'étais mise en couple avec un mec de mon quartier. J'avais à peine dix-sept ans et lui vingt-cinq. Depuis lors, mes copains avaient toujours une grande différence d'âge par rapport à moi.
Maman n'avait pas arrêté de boire et chaque soir, elle ramenait un homme différent à la maison. Nous ne nous adressions presque pas la parole et vivions comme deux étrangers dans la maison. J'avais étudié comme une malade durant mes années de fac avec l'idée en tête de m'en aller dès que j'aurais obtenu mon diplôme. Maman avait une mauvaise réputation dans la ville et les commérages allaient bon train. C'était une situation que j'avais beaucoup de la peine à accepter.
Avec le temps, mes rapports avec maman s'étaient légèrement améliorés. En trois ans à Brescia, j'étais allée lui rendre visite deux fois et je prévoyais tout de même le faire cet été. Même si elle était une insupportable, elle restait ma mère.
Mes pensées s'évadèrent une fois de plus et me tournèrent bien rapidement vers Giorgio. Je repensai à notre rencontre il y a de cela un peu plus de trois ans.
Flash-back
J'avais à peine débarqué à la gare de Brescia, il était exactement 9 h. J'y venais pour un entretien d'embauche. J'avais obtenu mon diplôme de sage-femme dans ma ville natale, Palermo, dans le sud de l'Italie. Après l'intention de mon diplôme, pour des motifs bien précis, j'avais décidé de postuler dans de différentes cliniques dans le nord de l'Italie.
Une clinique privée de la Lombardie avait répondu favorablement à ma demande d'embauche et j'avais ainsi payé un billet de train aller et retour pour la ville de Brescia.
J'avais voyagé toute la nuit et étais arrivée à 9 h à la gare centrale de Brescia. J'avais mon entretien à 10 h 30 et j'avais le train de retour à 17 heures ce soir. Je devais voyager ensuite toute la nuit pour rejoindre ma ville natale.
Je sortis précipitamment de la gare. Mon train avait eu près de deux heures de retard. J'avais un peu plus d'une heure avant mon entretien. Je ne connaissais pas la ville et je craignais d'arriver en retard. Je stoppai la première personne qui passait près de moi pour lui demander des renseignements. Lorsqu'il se tourna vers moi, je ne pus m'empêcher d’être troublée par son regard, malgré l'anxiété d'arriver en retard à mon rendez-vous. Mon regard se perdit un moment dans ses prunelles d'un noir profond. Il était grand de taille, brun avec un visage ovale. Quelques cheveux blancs parsemaient çà et là sa chevelure, lui donnant un air extrêmement séduisant. Il pouvait aisément mesurer le mètre quatre-vingt-dix et avait une carrure imposante. Je me sentis tout à coup minuscule près de lui du haut de mon mètre soixante pour mes minables cinquante-six kilos.
- Oui madame, me répondit-il en me dévisageant à son tour.
Je réalisai à cet instant que j'étais certainement restée là à l'observer comme une idiote. Je me raclai la gorge avant de parler.
- Euh, en fait, euh, je dois aller à la clinique XX, lui répondis-je d'une voix agitée en jetant tout de même de fréquents coups d’œil à ma montre.
- Je vois, vous devez retourner dans la gare et prendre le métro direction " Ospedale " et descendre à l’arrêt "Ospedale". Vous avez d'ailleurs de la chance. Je vais dans votre direction, mais je devrais descendre deux arrêts avant vous, me répondit le jeune-homme avec un large sourire.
- Merci beaucoup, rétorquai-je en lui rendant son sourire, même si le mien était crispé par le stress d'arriver en retard à mon entretien.
- Suivez-moi, dit le jeune-homme en entrant précipitamment dans la gare.
Je dus le suivre presque au pas de course, car il était très grand et s'éloignait en grandes enjambées. La bouche de métro se trouvait en effet à l’intérieur de la gare.
Il m'indiqua où me procurer mon billet et quelques minutes plus tard, nous étions debout, côte à côte, dans le métro bondé.
- À votre accent, je devine que vous n’êtes pas de Brescia, me demanda mon sauveur en me regardant attentivement.
- Euh non, je suis sicilienne de Palermo, répondis-je embarrassée sous ce regard ténébreux.
- Très belle ville Palermo, répliqua l'homme en question. J'y ai été il y a quelques années. Vous avez des plages magnifiques.
- Merci beaucoup.
- Nous ne nous sommes même pas présentés, je suis Giorgio, dit-il en me tendant la main.
- Euh, Tiziana, répondis-je dans une poignée de mains.
Une sensation bizarre envahit mon être et je levai immédiatement le regard vers Giorgio. Je le vis déglutir avec peine et nous restâmes ainsi quelques secondes avant que je ne jette un bref coup d’œil à nos mains encore liées. Giorgio le réalisa et libéra enfin ma main.
Un bref silence chargé de sensualité régnait désormais entre nous.
- Je devrais descendre dans deux arrêts, dit Giorgio. Pourrais-je avoir votre contact si cela ne vous pose pas problème ?
- Pourquoi pas ? répondis-je.
On réussit à échanger de justesse nos numéros avant que le métro ne fasse escale à l’arrêt "San Faustino". Giorgio descendit après une brève salutation de la tête à mon endroit et se perdit entre les autres passagers. Je continuai mon trajet et descendis à mon arrêt de métro une demi-heure avant mon entretien. J'eus le temps de me renseigner et dix minutes plus tard, j'étais assise en salle d'attente.
L'entretien se déroula rapidement et j'eus l'impression d'être appréciée. Ils promirent de me donner une réponse dans les dix prochains jours, les dix jours les plus longs de ma vie.
Je sortis de la clinique et me rendis compte que j'avais encore énormément de temps avant mon train. Je décidai donc de faire un petit tour touristique dans la ville. Qui sait ? Je n'aurais peut-être plus jamais l'occasion d'y revenir, ou peut-être, elle serait ma prochaine ville de résidence, pensai-je le cœur plein d'espoir quant à l’issue de cet entretien.