CHAPITRE IIIÉloge des garçons de café– Ne dis pas de mal des garçons, dis-je à Georges ; j’ai remarqué que rien ne développe l’esprit d’observation comme d’avoir une serviette sous le bras et un tablier blanc autour des reins dans les lieux publics. J’ai connu au café Cardinal un garçon qui en aurait remontré à Balzac pour deviner, à première vue, le caractère et le goût des gens qu’il avait à servir. Il m’était devenu impossible de déjeuner sans son assistance.
– Je ne te savais pas cette estime pour ces messieurs, me répondit Georges en allumant son cigare.
– Estime justifiée, répondis-je. Te rappelles-tu le grand Louis, un Piémontais, je crois, l’ami intime de toute sa clientèle, laquelle pourtant est une clientèle distinguée ? Il me servait un matin deux œufs frais. Un monsieur entre fort affairé :
– Garçon ! dit-il.
Louis me quitta.
– Que veut monsieur ?
– Donnez-moi la carte.
Louis passa la carte à l’homme pressé qui la feuilleta et la refeuilleta, livré, à ce qu’il paraissait, à toutes les angoisses d’une déplorable incertitude.
Louis me regarda d’un air narquois, et, ouvrant la petite porte qui donnait sur l’office :
– Un beefsteak aux pommes pour le 8, cria-t-il au chef.
– Mais, lui dis-je, ce monsieur n’a encore rien demandé !
– Règle générale, me dit Louis d’un ton où perçait le juste sentiment de son infaillibilité, quand un client consulte la carte pendant trop longtemps, il est impossible qu’il ne finisse pas par demander un beefsteak.
Le flair de Louis ne l’avait pas trompé. Le numéro 8, découragé, venait de jeter la carte sur la table avec humeur et, s’adressant à Louis :
– Donnez-moi un beefsteak, lui disait-il.
Et maintenant, ô Georges ! comprenez-vous mon admiration pour les garçons de café ?