IIIDevenu l’hôte de lady Katty, on me permettra d’être l’historien de son intérieur : curieux intérieur, celui d’un enfant qui n’a pas encore huit ans.
Bien que M. Anderson eût la surveillance de la maison, il apportait une ingénieuse précaution à s’effacer derrière la volonté de Katty, qui, comme ces enfants, de roi montés de bonne heure sur le trône, développait à vue d’œil une intelligence des plus merveilleusement précoces. On faisait une grande majesté à son petit règne.
La scène des boulevards qui ouvre cette histoire m’avait assez appris que Katty était convaincue, au même degré que ses parents, de l’extrême probabilité de sa fin prochaine. Seulement on ne lui avait pas révélé que son père et sa mère étaient à jamais perdus pour elle. Quelquefois, dans une préoccupation naïve, elle se surprenait disant : À leur retour, ils vont me trouver bien grandie, n’est-ce pas, monsieur ?
– Bien grandie ! se reprenait-elle ; comme si je devais grandir !
L’époque approchait rapidement où elle quitterait Paris et peut-être la France. Déjà le chapelain Anderson, à force d’argent et de protections, avait changé sa nationalité auprès de quelque chancellerie étrangère. Son nom avait été altéré en un autre nom. Par les mêmes inductions, je savais, mais c’est tout ce que je savais, que Katty passerait en voyage et dans la résidence inconnue où elle allait pour une nièce de M. Anderson. À cinquante lieues de Paris seulement l’homme et l’enfant, par ces : précautions calculées, devenaient introuvables. La confusion préméditée du père, de la mère et de leur fille, louchait à un résultat des plus énigmatiques. Auraient-ils chacun vécu séparément à mille ans d’intervalle, qu’ils n’auraient pas eu plus de peine à se rallier. Dieu seul aurait pu les réunir.
J’appris également, car le chapelain irlandais ne me faisait mystère que de certains faits de la discrétion desquels son serment répondait, que tous les employés de la maison avaient reçu leur congé depuis trois semaines.
J’allai plus souvent à l’hôtel du jour où le docteur me fit part de sa résolution de quitter Paris dans un mois. J’avais remarqué, à force d’être témoin du même incident, que le chapelain Anderson, toutes les fois que j’entrais dans l’appartement, se levait, et se dirigeait, en cherchant le plus possible à ne mettre aucune affectation dans ce mouvement, vers la porte vitrée d’un cabinet. Il la fermait et en retirait la clef. Un soir, après le dîner, lady Katty avait été, je me souviens, d’un enjouement extraordinaire. Les porcelaines en avaient souffert beaucoup ; les tapis avaient participé à un sandwich général.
– Monsieur, disait-elle au bon M. Anderson, irons-nous en Prusse ?
– Non, milady, répondait le chapelain.
– En Hollande ?
– Non, milady.
– En Russie ?
– Non, milady.
– Ah ça ! monsieur, vous qui ne mentez jamais, si, dans le beau livre que vous m’avez donné, je vous cite un à un le nom de tous les pays du monde, vous serez bien obligé de me dire une fois : oui ! Alors je saurai bien où nous irons.
– Vous vous trompez, milady. – Je ne vous répondrai plus ; je ne dirai ni oui ni non.
Et je ne sais combien, de saillies encore échappèrent dans la soirée à la petite lady, qui n’était jamais si heureuse que lorsqu’elle tourmentait la patience de M. Anderson.
À dix heures, je le quittai, selon l’usage, une heure après le coucher de Katty.
Il était à peine jour, le lendemain, quand je reçus un billet du chapelain ; trois mots seulement : « Katty a le croup. »