IV

795 Words
IVÀ midi j’étais dans l’appartement où Katty s’était montrée si gaie la veille. Elle était couchée. Sa gouvernante lui souriait ; le docteur lui tenait la main. La chambre s’emplissait de minute en minute d’enfants qu’elle-même avait fait demander avec instance et une volonté à laquelle son chapelain, par condescendance autant que par devoir, n’avait pu s’opposer. – On l’avait largement contentée. Autour de son lit étaient groupés ses petits compatriotes. Ils n’étaient plus aussi étourdis qu’à la fête de Boulogne. Ils comptaient deux ans de plus. La petite malade ne souffrait pas encore beaucoup ; mais le mal était fixé. – Toujours là. Elle était divine de résignation, avec ses mains rosées ouvertes sur la couverture, son regard un peu fiévreux d’éclat, sa bouche de corail, sa tête calmé, moulée au milieu de l’oreiller. Debout près d’elle, le chapelain paraissait, à la profonde consternation de son visage, avoir, quatre-vingts ans. La méditation le rongeait. Courageuse et se possédant bien, sa science était en pourparlers violents avec la mort. Dirigés de toute leur puissance vers la porte du cabinet que je lui voyais fermer tous les soirs, ses regards n’auraient pas été détournés de ce but par le passage de la foudre. Il ne me vit pas entrer. Katty me salua du bout des paupières comme une reine mourante, – qui s’éteint avec dignité. Caprice bizarre ! tous ses joujoux, des blocs de joujoux étaient étalés sur des tables au milieu de l’appartement. Quand elle se fut assurée que ses petites compagnes étaient toutes venues, elle se souleva un peu et leur dit : – Dans le ciel on n’a pas besoin de joujoux : je vous donne, Édith, tous mes cerceaux. Jouissez-en plus longtemps que moi. Les petits légataires, se regardaient sans mot dire ; ils ne comprenaient pas encore la cause de cette générosité. – John, vous accepterez mon album : plusieurs fois vous l’avez désiré sans l’obtenir. Il est maintenant à vous. – Pourquoi cela ? demanda vivement John. Je ne reçois qu’en donnant, Katty. Votre album contre sir Jack, mon singe noir. – Mon cher John, ne vous fâchez point tant. Quand ma sœur aînée, Nelly, mourut à huit ans de la maladie qu’eut deux ans après ma sœur Glorvina, elle nous laissa à Glorvina et à moi tous ses jouets ; quand Glorvina mourut il y a deux ans de la maladie que j’ai aujourd’hui, John, j’héritai à mon tour ; – ne dois-je pas à mon tour aussi vous donner tout ce que je ne puis léguer à une sœur, puisque je suis la dernière de la famille ? John, acceptez donc cet album. – Katty, fit M. Anderson, vous parlez trop. Je serai forcé de prier vos amies de vous laisser en repos. Un regard compatissant de la petite lady exprima sa suave résignation ; et, pour apaiser la sévérité du chapelain, elle but la boisson que lui offrait sa gouvernante. – Puisque M. Anderson ne veut plus que je parle, approchez un peu, dit Katty. Et, prenant sur la table qu’on avait avancée près d’elle un objet quelconque parmi ses joujoux, elle le remettait à un enfant, et elle l’embrassait. Anderson avait ses deux mains sur le visage. L’homme de Dieu et de la science pensait et priait. Aucun des enfants n’avait une idée précise de la cause funeste à laquelle cette munificence était due. Insoucieux comme à leur âge, ils laissaient se dépouiller Katty, sans éprouver d’autre impression que celle d’une joie confuse. Quelques-uns seulement entre les plus âgés devinaient un mystère pénible sous ces dons faits dans un appartement silencieux que le soir remplissait déjà de son ombre mélancolique. Anderson me fit un signe ; je me glissai dans l’alcôve, tout auprès de lui. – Voici la nuit, me dit-il, l’heure des crises. Je sens que la fièvre redouble ; touchez la main de l’enfant. Pendant ce temps, il alla à la porte du cabinet vitré, et en revint d’un bond. Il crut que je n’avais rien vu. – Ce n’est pas votre main, Anderson. Qui donc ? – Katty, – c’est moi. Je n’ai pas voulu passer devant votre porte sans vous dire bonjour. – Merci, – me dit-elle ; – mais nous n’aurons pas de thé ce soir. Et sa-parole s’éteignait. – Elle délire déjà, dit le chapelain. – Eh bien, que soutenais-je hier ? Je savais fort bien où nous irions. – Katty ! – vous souffrez, parlez moins. – J’ai fini ; – voilà, – se tournant vers moi, le seul joujou qui me reste à vous donner. Les enfants se levaient pour partir. – Adieu, Bella ! adieu, Bridget ! adieu, Felicia ! adieu, Sibyl ! adieu, Margery ! adieu !… – Sa voix s’épaissit et n’arriva plus à ses lèvres. Le chapelain plaça avec autorité la main sur la bouche de la petite lady. Le joujou qu’elle m’offrait était le portrait de sa mère peint sur un médaillon, au revers duquel était le sien, en costume blanc ; celui qu’elle avait encore sur son lit de parade et de mort. Sa bouche ouverte, sa respiration enflammée, courte et bruyante, son œil languissant, ce portrait, portrait qui pouvait être celui de deux vivantes ou de deux mortes ; ce digne ecclésiastique qui semblait, pour le dernier moment d’une lutte désespérée, réunir tous ses efforts, m’effrayèrent, m’épouvantèrent ; je m’échappai, je descendis, je courus au grand air. À la porte, j’entendis un cri. – : Je l’entends encore.
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