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Les Vendanges

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Extrait : "Rien au monde n'est comparable au boulevards de Paris. En arrivant de ma province, je fus frappé de la beauté de cette promenade que les étrangers eux-mêmes, dans leur opinion partiale, ne trouvant pas au-dessous de notre admiration. Une fois entré sous sa nef de verdure, je ne me lassais ni de marcher ni de m'arrêter."

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I
IRien au monde n’est comparable aux boulevards de Paris. En arrivant de ma province, je fus frappe de la beauté de cette promenade que les étrangers eux-mêmes, dans leur opinion partiale, ne trouvent pas au-dessous de notre admiration. Une fois entré sous sa nef de verdure, je ne me lassais ni de marcher ni de m’arrêter. Je n’avais jamais vu tant de magnifiques maisons, supportées par les arches de cuivre ou de marbre, de tant de splendides magasins ; tant de figures empressées, tant de voitures rayonnant à mes côtés, courant devant moi, derrière moi, au loin. Je n’osais regarder ni au ciel, ni à terre. Pour mon étonnement, la perception exacte de la résistance et de l’espace avait disparu. Un tourbillon vivant m’enveloppait. J’étais ébloui, transporté, j’avais des vertiges, j’avais peur comme une jeune fille qui, pour la première fois de sa vie, est introduite dans un bal, chaud de lumière, de bruit, de paroles, plein de gens inconnus. Sans qu’on me remarquât, j’étais tout à la fois gauche et ému. C’est ordinairement dans ces moments de poésie que les voleurs, gens très peu lyriques, vous dévalisent sans vous faire éprouver la moindre douleur. Pour mon compte, ils m’auraient enlevé mon habit, que longtemps, après j’aurais encore cherché mon mouchoir. Dans mon naïf embarras, au milieu d’un monde si divers, il me souvient d’avoir fait des excuses à un cocher de fiacre qui m’avait donné mon baptême de boue, et qui me l’avait administré à la manière de saint Jean, – de la tête aux pieds. On m’avait dit que les Parisiens étaient fort polis, je ne voulais pas être en reste de civilité avec eux. Vous décrire consciencieusement les détails et les nuances de mon adoration pour les merveilles des boulevards, afin de vous engager à aller vous assurer, par vous-mêmes, si cette adoration était légitime, cela me serait impossible. Quand on n’aime plus on ne se souvient plus. Peut-être je passe fort indifférent, et la tête basse aujourd’hui, à côté de ces pagodes de mon enthousiasme. J’imagine aussi qu’un peu de fierté soutient cette indifférence qui n’est, pas sans affectation. Franchement, je crains d’avoir à rougir pour des heures entières écoulées devant des marchands de briquets phosphoriques, le cœur plein de mépris pour les boutiques de ma patrie. Je ne saurais vous dire davantage le chemin dont je fatiguais mes jambes chaque jour, dès que le soleil se levait sur Paris, ou dès qu’il était censé se lever, jusqu’au moment où il disparaissait derrière un horizon de tuiles. Les omnibus n’existaient pas encore. Quand je fus un peu rassasié, je ne réalisai plus que deux ou trois fois par jour le trajet de la Bastille à la Madeleine et de la Madeleine à la Bastille ; et, complètement quitté envers ma soif de connaître, je finis par borner ma promenade a une excursion quotidienne jusqu’au boulevard des Italiens, que je ne connaissais pas encore par son nom, mais que je préférais déjà, comme je le préfère encore aujourd’hui, tant aux boulevards dont il est précédé, qu’à ceux dont il est suivi. Les premiers sont trop bruyants, les derniers trop tristes. On ne se promène pas sur les boulevards Poissonnière et Montmartre, à moins qu’on ne soit marchand ou voleur de chaînes de sûreté ; on ne s’assied guère sur les boulevards des Capucines ou de la Madeleine, si l’on n’a pas la goutte. Agité sans tumulte, silencieux sans ennui, ombragé par des arbres où se rassemblent des moineaux de bonne maison, dressés à gazouiller le cours de la rente dont Tortoni leur siffle chaque matin le langage ; courant entre deux haies d’hôtels d’où sortent à pas lents, empanachés, vernis, glacés et armoriés, des équipages de toutes les nations, à droite et à gauche éclairé jusqu’aux deux tiers de la huit par des cafés transparents comme des lanternes du Japon ; paisible le jour, tel qu’un grand seigneur qui repose ; voisin de l’Opéra, voisin des Tuileries, voisin du Palais-Royal, voisin de tout ce qui est beau, le boulevard des Italiens m’attirait chaque après-midi sur un de ces sièges grossiers, avec le bénéfice desquels les acquéreurs de la location s’achètent des fauteuils chez Lesage. Les premiers jours de cette station, je ne remarquai pas ce qui éveilla plus tard mon attention, et fut par la suite, quand j’amassai mes souvenirs, comme la première mise de fonds des accidents traditionnels dont mon existence parisienne se compose. Je finis par m’apercevoir que toutes les après-midi, avec une rigoureuse ponctualité, passait devant moi, au front des boulevards, un landau, lentement traîné par deux chevaux de la plus élégante forme. Ils étaient de couleur égale, d’un beau roux de daim, et d’un, pas semblable. Aux armes de famille peintes sur les panneaux, je jugeai que l’équipage appartenait à un lord d’Irlande, issu des anciens rois de cette contrée. L’intérieur-du landau était en velours blanc, semé par losanges de flocons de soie bleue, rembourré avec la plus exquise délicatesse. On eût dit un manteau de pair d’Angleterre déployé. Jamais fée d’Irlande, et c’est leur patrie, n’eut de char plus moelleux, pour traverser les airs. Deux laquais en livrée blanche étaient montés derrière, et tenaient chacun une canne, signe particulier, exclusivement distinctif, permis seulement à la haute domesticité des lords. Ils suivaient avec une respectueuse attention les mouvements de la petite fille assise dans le fond, en face d’un homme pensif, qui tenait, appuyé sur le genou, un livre fermé, et d’une gouvernante dont les yeux ne se détachaient pas de ceux de l’enfant. L’homme portait le costume entièrement noir des chapelains d’Irlande. Cette enfant était blonde ; dans l’une de ses mains potelées elle tenait un bouquet de roses du Bengale, fleurs tendres et fines comme sa peau. Sous la chevelure bouclée et soyeuse de la petite miss, deux, yeux d’un bleu transparent et profond réfléchissaient le ciel, une noble race, une origine céleste. Les anges seuls et les enfants anglais ont de ces yeux-là ; c’est beau et rêveur comme un lac. Naïve, sa bouche à peine indiquée n’était qu’un trait de pinceau. Une-vapeur d’innocence enveloppait les formes de son visage. Quand ses doigts touchaient à leur charmant embonpoint, la trace y restait. Son sourire était fin, blond et frais. Mais ce qui répandait sur tout son être une tristesse que n’adoucissaient pas les grâces infinies de son enfance, c’était son vêtement blanc. Un petit charmant bonnet de satin blanc, garni de glands en soie blanche, couronnait sa ronde et mignonne tête, qui s’épanouissait sous cette coiffure comme la fleur mousseuse du cotonnier quand elle est éclose. De ses épaules à ses pieds tombait, avec une négligence adorable, une tunique de cachemire couleur de lait, retenue par une ceinture du même tissu. On eût cru voir une nonne de Lesueur appartenant à quelque couvent enfantin dont la mère abbesse était sans doute une poupée de haute taille. Elle était presque grave, sous ce costume, auquel manquait de respect son petit nez au vent, rose et un peu allier. Elle se tenait bien assise, et elle n’avait aucun regard d’envie pour les bruyantes demoiselles de son âge, courant à ses côtés sur la chaussée des boulevards avec des cerceaux, des volants, des balles et des ballons, se rendant, en compagnie de leurs frères et des camarades de leurs frères, munis de cordes, au joyeux pèlerinage des Tuileries. Leur santé turbulente, leur liberté de courir, d’aller du marchand de volants à la marchande de gâteaux, ne faisait aucune impression sur elle. À peine souriait-elle à la bonne vieille édentée qui lui disait, en appuyant une main sèche sur le bord du landau : – Dieu vous accorde de longs jours, mon enfant, et vous rende aussi heureuse que belle. Elle ne recevait jamais ce vœu sans ouvrir et fermer ironiquement la bourse de satin blanc brodée à ses armes. Son aumône était comme un don qui n’attend aucun retour. Cette indifférence pour les souhaits dont on payait sa bienfaisance, semblait affecter d’une manière douloureuse la gouvernante et le jeune chapelain. Ils échangeaient un regard mélancolique. Ordinairement, la promenade avait lieu le soir quand l’élite de nos élégants se rend au café de Paris pour abréger, en dînant, les heures qui séparent la clôture de la Bourse de l’ouverture de l’Opéra. Dès que la voiture blanche se montrait derrière les glaces du somptueux restaurant, les jeunes gens et les dames se levaient pour la voir et envoyer des baisers à la céleste miss, j’ai vu des Anglaises quitter la table, courir vers le landau, arrêté le long des arbres, et adresser ; des paroles affectueuses, en langue nationale, à l’enfant qui leur tendait ses petites mains. Les compatriotes de la gracieuse miss retournaient toujours à leur place les yeux gros de larmes. La voiture passait. – Qu’a donc cette enfant, pour attirer tant de pitié ? me demandai-je sans oser questionner personne. Comment l’aurais-je osé, étranger, inconnu à tout le monde, et au fond redoutant d’apprendre le malheur qui avait frappé cette petite fille, en apparence, si aimée de Dieu et de la fortune ? Pendant deux mois, je me contentai de la suivre d’un regard de-sollicitude et de l’entourer de mes vœux, quoique je ne devinasse pas quels vœux, raisonnables il m’était permis de former pour elle, surtout, quand je voyais à deux pas d’autres enfants de son âge, salissant leurs jolis doigts de huit ans pour lustrer les bottes d’un cocher ; ou d’autres, plus malheureux encore traçant un chemin dans la boue à d’honnêtes gens qui leur lançaient au visage, pour payement, la boue qu’ils, avaient écartée. Un jour, par une distraction du cocher, le landau blanc se trouva sur le point d’être pris entre deux diligences ; il allait être rudement secoué, sinon renversé par terre. Au moment où, perdant le sang-froid nécessaire et abandonnant les guides, le cocher du landau se levait sur son siège, je m’élançai au-devant des chevaux, et les ramenai sans effort au bord de la contre-allée. Les diligences passèrent ; aucun accident ne s’en était suivi. Je n’eus que la main droite foulée et le collet de mon habit sali par l’écume des chevaux. Comme je me retirais, l’enfant m’appela, et se jeta dans les bras de son chapelain, qui me la tendit. Elle me dit en m’offrant son bouquet de roses du Bengale : – Merci, monsieur, merci. Je l’embrassai. Encouragé par la figure honnête du docteur, je lui demandai, sans réfléchir sur ce qu’avait peut-être d’indiscret ma question : – Docteur, qu’a donc cette charmante enfant ? – Ce que j’ai ? me répondit l’enfant elle-même en posant sa main sur ma tête et-en me regardant avec un sourire qui n’était pas de ce monde, et dont le souvenir restera éternellement dans mon cœur. – Ce que j’ai ! – Je mourrai dans un an. Au même instant, le chapelain et la gouvernante poussèrent un cri, les deux laquais exhalèrent un gémissement profond, et le landau tourna pour descendre les boulevards. Il partit. J’entendis ces mots : – Katty ! Katty ! pourquoi cela ? Je me laissai tomber sur une chaise du café de Paris, n’osant plus même tourner la tête du côté, où j’avais vu disparaître le landau, ces figures pâles, cette enfant enveloppée d’un blanc cachemire, et qui m’avait annoncé si solennellement sa mort prochaine, sa mort dans un an ! La nuit me chassa, et j’avoue que de toute la soirée je n’eus ni pitié ni aumône pour ces montagnards d’enfants qui, la veille, m’assaillaient avec avantage au nom de leurs mères malades et de leurs pères perdus dans les glaciers de Chamouny. – Rien ! rien ! pour vous. Vous ne mourrez pas dans un an ! Laissez-moi. J’avais tort. Mais je ne raisonnais pas, je souffrais.

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