CHAPITRE IV - Quelques portraits d’après nature-2

2866 Words
M. de la Thomassinière, mis en petit-maître et singeant les manières du grand monde, mais laissant toujours percer quelque chose de l’Âne savant, disait à tout propos : ma terre, mes biens, mes gens, mes chevaux ; il n’y avait que sa femme pour laquelle il ne se servit pas de pronom possessif. Quant à madame, vive, légère, étourdie, se songeant qu’à la toilette et aux plaisirs, elle ne causait avec monsieur que pour lui demander de l’argent ou lui parler de la fête qu’elle voulait donner. – Eh ! les voilà, ces chers amis ! dit M. Destival en courant donner la main à madame de la Thomassinière pour descendre de voiture, tandis que monsieur admire ses chevaux et l’éclat de sa livrée. – Bonjour, Destival… Lapierre, ayez soin de mes chevaux… – Madame, je vous offre mes hommages… Laquais, vous recouvrirez ma calèche… il pourrait pleuvoir dedans… Nous arrivons sans façon… Ça ne vous gêne pas que j’aie amené quelques-uns de mes gens, n’est-ce pas ?… – Comment donc ! j’ai de quoi les loger et les nourrir… répond M. Destival en se mordant un peu les lèvres, parce que son modeste cabriolet est très éclipsé par la brillante calèche, et que Baptiste et Julie, qui composent tout son domestique, seraient cachés par un seul des grands gaillards que M. de la Thomassinière traîne à sa suite. Mais ces réflexions n’empêchent point les politesses d’aller leur train, elles ne font que donner le désir de pouvoir augmenter sa maison ; aussi, tout en donnant la main à la jeune femme, notre homme d’affaires se dit : – Il faut que je marie Dalville, que je vende la pharmacie de Monin, et que je lui achète une maison ; alors je me donne un petit jockey, je le prendrai n***e, et je l’habillerai en rouge, pour qu’on le voie de loin. Les deux dames se sont embrassées : – Bonjour, ma chère amie. – Bonjour, ma bonne… – Que vous êtes gentille de venir nous voir ! – Nous resterons jusqu’à demain… – Comme elle est toujours bien coiffée !… – Trouvez-vous ?… – À ravir… J’aime beaucoup cette façon de robe… – C’est la dernière nouvelle… pas tout à fait assez décolletée. – Mais si… Je veux avoir de cette étoffe… c’est de bon goût ! – Ah ! c’est bien simple : la robe ne revient qu’à deux cents francs !… Mais pour la campagne et pour aller chez des amis !… Je vous donnerai l’adresse de mon marchand. Et madame Destival fait monter madame de la Thomassinière au premier, en continuant de l’accabler de compliments et en feignant la joie la plus vive afin de mieux cacher son dépit secret ; car la nouvelle arrivée est en effet jolie, elle est très jeune, elle a dans les manières une vivacité qui plaît, et M. Dalville, que l’on attend toujours, ne s’est pas encore trouvé avec elle. M. Dalville, qui s’enflamme si facilement, pourrait fort bien faire la cour à madame de la Thomassinière, qui pourrait aussi l’écouter. Tout cela donne en secret beaucoup d’humeur à madame Destival, qui n’en affecte que plus d’amabilité, parce que, dans le monde, il faut savoir se contrefaire, dire autrement qu’on ne pense ; c’est là le grand secret du savoir-vivre. Monin étourdi par le coup va tomber sur le gazon. Madame de la Thomassinière est entrée dans le salon, où est reste M. Monin, qui est sur le point de tenter l’introduction d’une nouvelle prise de tabac, mais qui s’arrête en voyant la petite-maîtresse, recule, ôte sa tourte, et, quoiqu’il n’ait point encore vu la jeune dame, va commencer sa phrase de rigueur : – Comment va l’état de votre santé ? Mais la petite-maîtresse ne laisse pas à l’ex-pharmacien le temps de prendre la parole, elle étouffe avec son mouchoir un éclat de rire que fait naître la figure originale de M. Monin, et se tourne vers madame Destival en disant : – Qu’est-ce que c’est que ça ? – Un voisin, extrêmement riche, mais aussi s*t qu’ennuyeux ! – Ah ! tant mieux ; nous nous en amuserons. Il faut bien rire un peu. Attendez-vous d’autre monde ? – Mais… nous attendions un jeune homme… un grand ami de M. Destival… M. Auguste Dalville… Le connaissez-vous ? – Non, mais j’en ai beaucoup entendu parler ; on le cite dans le monde pour ses bonnes fortunes, ses conquêtes. Je serai fort aise de faire sa connaissance. En général, ces mauvais sujets sont toujours fort aimables, n’est-ce pas, ma chère ? – Mais quelquefois… pas toujours… Au reste, vous en jugerez vous-même. – On dit qu’il est fort joli garçon ? – Oh ! comme cela, une figure passable, voilà tout ; d’assez beaux yeux, mais une bouche un peu grande, des lèvres très grosses. Je n’aime pas du tout ce genre de figure-là. – Moi, je n’aime pas les bouches pincées. Est-il blond ou brun ? – C’est tout au plus si je m’en souviens ; il est brun, je crois ? – Je croyais avoir entendu dire que M. Dalville allait très souvent chez vous ? – Mais non… chez mon mari, pour affaires. – N’est-il pas musicien ? – Un peu. – J’ai apporté un nocturne dont je suis folle, il le chantera avec moi. – M. Dalville sera certainement enchanté de faire votre partie. Pardon, ma belle amie, j’ai quelques ordres à donner. À la campagne, on agit sans façon. – Mais je l’espère bien ! Je vais aller voir votre jardin. – Allez. Je vais faire servir le déjeuner, et j’irai vous avertir. La petite-maîtresse descend légèrement l’escalier qui mène au jardin, et madame Destival se rend dans sa chambre à coucher, où elle se jette sur un fauteuil en disant à Julie qui vient d’entrer : – Ah ! Julie !… suis-je assez contrariée !… Je n’en puis plus, j’étouffe !… – Je le crois bien, madame, c’est fait pour cela ! ne pas voir arriver ceux que l’on attend, et recevoir tout plein de monde que l’on n’attend pas ! – M. Destival est cruel ! avec sa manie d’engager toutes les personnes qu’il rencontre ! Il aurait un château, qu’il ne ferait pas autrement ! – Ce vieux Monin ! qui ne sait que manger et boire. – Encore, s’il n’y avait que lui, on n’y prend pas garde, voilà tout. – Est-ce que sa femme va venir ? – Non, Dieu merci, elle fait des cornichons. – C’est bien heureux ! C’est une très mauvaise langue que madame Monin ; et curieuse… ah !… elle entre toujours dans la cuisine voir tout ce qu’on fait. – Malgré cela, je l’aurais encore préférée à ces Thomassinière, qui ont un ton, se donnent des airs, des prétentions insupportables ! – Et puis, a-t-on jamais vu amener trois domestiques qu’il faut nourrir ? Ces gaillards-là vont tout manger ici ! – Julie, quelle heure est-il ? – Midi passé, madame. – Il ne viendra pas. J’en suis bien aise maintenant. Fais servir le déjeuner. On ne dînera qu’à six heures et demie. – C’est cela, ça fait qu’ils ne couperont pas au moins. Julie descend. Madame se place devant son miroir, s’y regarde quelques minutes, rarrange quelques boucles, puis s’en éloigne en disant : – Je suis assez bien pour ces gens-là ! Elle va au jardin rejoindre madame de la Thomassinière, dont l’époux, en arrivant, a demandé à M. Destival une plume et de l’encre, afin d’écrire sur-le-champ une note importante pour une affaire majeure. M. Destival a établi le spéculateur dans son cabinet, en lui disant : – Ne vous gênez pas, faites comme chez vous, je vous laisse. Et M. de la Thomassinière, reste seul devant le bureau, s’est gratté la tête, a regardé les plumes et n’a rien écrit, par la raison qu’il n’avait rien à écrire et aucune note à prendre ; mais un homme qui fait de grandes spéculations doit toujours avoir l’air préoccupé et avoir besoin d’une écritoire ; cela impose aux sots, aux gens crédules, quelquefois même aux gens d’esprit ; il n’y a que les intrigants qui ne se laissent pas prendre à toutes ces petites ruses-là, parce qu’eux-mêmes en font souvent usage. En laissant la Thomassinière, M. Destival va retrouver M. Monin, qui ne se formalise pas de ce qu’on ne s’occupe point de lui, parce que sa femme l’a habitué à cela. – Eh bien ! mon voisin, avons-nous vendu cette pharmacie ? dit l’homme d’affaires en frappant sur l’épaule de M. Monin. – Pas encore, mon voisin. Cela me contrarie, parce que, je vais vous dire, ceux qui me remplacent provisoirement n’ont pas mon habitude, et… – Je vous vendrai cela. J’espère vous voir cet hiver à Paris, monsieur Monin, et y cultiver votre connaissance. – Monsieur, certainement… – Vous viendrez faire votre partie chez moi. – Est-ce qu’on fait la mouche, chez vous ? – Non, mais l’écarté le boston. J’ai une bien jolie maison vous vendre. – En vérité ? – Oui ; c’est une occasion, c’est pour rien. – Est-elle assurée ? – Je ne sais pas. Nous causerons de tout cela ; allez faire un tour de jardin. Je vais voir si l’on pense à nous faire à déjeuner. Monin s’éloigne, et, en se retournant, M. Destival aperçoit sa femme, qui s’écrie : – Comment, monsieur, vous invitez M. Monin à venir vous voir à Paris ? – Certainement, madame. – Passe à la campagne, parce qu’on est voisin, mais à la ville ! un homme qui ne sait rien dire, rien faire, qui ne joue qu’à ta mouche ! – Il est riche, madame. – Eh ! monsieur, cela ne l’empêche pas d’être bête comme une oie. – Madame, ce ne sera pas la première bête que l’on aura vue chez moi. Quand on reçoit beaucoup de monde, cela ne peut pas être autrement. Eh ! d’ailleurs, avec vos gens d’esprit, vos auteurs, vos poètes, il n’y a jamais un sou à gagner. – Puisque vous aimez tant l’argent, monsieur, pourquoi donc inviter tant de monde à venir à votre campagne ? Cela est ruineux, monsieur. – Rassurez-vous, madame, je n’invite que les gens qui peuvent m’être utiles. Oh ! je suis très fin ! je vois de loin. La Thomassinière est une excellente connaissance, je tiens fort à me lier intimement avec lui. Je sais bien qu’il est souvent fort ridicule, qu’il veut faire le seigneur, et que cela ne lui va pas ; qu’il lâche de temps à autre des locutions et des pataquès qui sentent terriblement leur cru ! qu’il est assommant avec sa voiture, ses terres, ses biens et ses gens, qu’il vous jette sans cesse au nez ; mais, du reste, c’est un homme pour lequel j’ai une estime toute particulière, parce que, comme je vous le disais tout à l’heure, je vois de très loin, moi, madame. Mais ce déjeuner ? – Parlez à Baptiste, monsieur ; moi, j’ai donné mes ordres à Julie. Madame Destival va au jardin. La petite-maîtresse y folâtrait en se faisant un bouquet. – Vous voyez, dit-elle, que je cueille vos fleurs ? – Vous faites très bien, ma chère amie, prenez tout ce qui vous fera plaisir. – Votre jardin est gentil. – Oh ! il n’est pas grand ; mais il y a de l’ombrage, et c’est ce que j’aime. – Moi aussi. À notre terre de Fleury, j’ai fait planter une forêt. Vous verrez, ce sera charmant. – Mais avant qu’elle soit poussée… – Oh ! l’on n’a mis que des arbres déjà grands. Je vous y donnerai une fête le mois prochain. J’attends qu’on ait terminé les peintures, les embellissements que j’y fais faire pour aller y passer un mois. Mais j’emmènerai beaucoup de monde ; car je n’aime la campagne qu’avec une nombreuse société. – Moi, j’aime assez la solitude. – Ah ! Dieu ! je mourrais si j’étais un jour seule ! – Vous n’aimez donc pas la lecture ? Si, un moment, dans mon lit mais pas longtemps, cela me fatigue. – La musique ? – Je n’en fais que quand on m’écoute. – Le dessin ? – Ah ! c’était bon au pensionnat ! À ma terre, je veux avoir un petit théâtre ; nous jouerons la comédie, c’est cela qui est amusant. Je la jouais souvent à mon pensionnat. J’aimais surtout les rôles où l’on changeait de toilette. – Qu’elle est enfant ! – Que voulez-vous ? il faut bien passer le temps. S’il n’y avait que mon mari pour m’amuser, ah ! Dieu ! où en serions-nous ? Un homme qui n’est occupé que de calculs, de change, que sais-je ? Ces hommes de cabinet sont bien peu aimables. Ces dames, qui venaient d’entrer dans une autre allée, se trouvèrent alors près de M. Monin, qui était arrêté et paraissait en contemplation devant un prunier dont les fruits étaient fort gros ; à l’aspect des dames, il ôte sa tourte, et murmure : – Comment va l’état de… Mais il ne finit pas sa phrase, parce qu’il se rappelle avoir déjà salué les dames au salon ; alors il se retourne et montre l’arbre en disant : – Ça fait de bien beaux fruits. – Comment, ma chère, vous avez des arbres à fruits dans votre jardin ! s’écrie la petite-maîtresse ; mais c’est du plus mauvais ton, il faut faire arracher tout cela fit planter à la place des ébéniers, des acacias, des sycomores… – Oh ! notre jardin est sans prétention, répond madame Destival en se mordant les lèvres avec dépit ; ce n’est pas un parc comme à votre terre, et M. Destival aime beaucoup les fruits. – Il a raison, répond Monin, qui s’était rapproché du prunier lorsque madame de la Thomassinière avait parlé de le faire arracher. Le fruit est l’ami du corps quand on le mange bien mûr. D’ailleurs, je vais vous dire… – Et des prunes de Monsieur ! reprend la jeune élégante. Fi donc ! c’est très mauvais, on laisse cela aux domestiques. – Oh ! quand M. Destival aura fait fortune, alors nous aurons un verger particulier ; mais, en attendant, nous avons la bonhomie de nous contenter d’une petite campagne. Que voulez-vous ? nous ne sommes pas nés dans les grandeurs… dans les palais ! Madame Destival appuie avec malice sur ces derniers mots ; mais madame de la Thomassinière ne semble pas y faire attention : aussi étourdie qu’inconséquente, elle dit des choses mortifiantes sans y penser ; et si elle parle sans cesse de sa toilette, de ses diamants et de sa terre, c’est moins par vanité que par habitude, tandis que le désir de faire parade de sa fortune est le mobile de toutes les actions de son époux. – Le déjeuner vous, attend, mesdames, dit M. Destival en courant d’un air galant offrir sa main à la petite-maîtresse, venez, il est tard, vous devez avoir besoin de prendre quelque chose ; et, ma foi, si Dalville vient, il déjeunera seul, voilà tout. Le maître de la maison s’éloigne avec la jeune dame. M. Monin a déjà ôté sa tourte, et se prépare à offrir sa main à madame Destival. Celle-ci, qui a deviné son intention, disparaît par une autre allée, et le petit homme, n’apercevant plus la dame, se décide à se rendre seul à la salle à manger ; mais auparavant il jette encore un tendre regard sur le prunier. On est à table, et M. de la Thomassinière n’est pas encore sorti du cabinet. – Dites-lui donc que nous allons déjeuner, dit M. Destival, que nous n’attendons que lui. Baptiste monte au cabinet, et crie à travers la porte : – Monsieur, le déjeuner est servi. – C’est bien, c’est très bien, je descends, répond la Thomassinière en continuant de rouler dans ses doigts de petites boules de papier ; je n’ai plus qu’une note à prendre. Le valet va dire ce qu’on lui a répondu. – Quel homme terrible avec ses notes ! dit madame Destival ; il n’a donc pas un moment à lui, même à la campagne ? – Mon mari ! répond la petite-maîtresse ; ah ! ma chère amie, c’est l’être le plus insupportable avec ses écritures ! Jamais il n’est prêt à descendre aux heures des repas, même quand nous avons vingt personnes à dîner, ce qui arrive fort souvent, il faut qu’on l’envoie chercher trois ou quatre fois. Après avoir encore fait de petites boulettes de papier pendant cinq minutes, M. de la Thomassinière se décide enfin à se rendre à la salle à manger. – Pardon ! me voilà, ce n’est pas ma faute, dit-il en se mettant à table ; il ne fallait pas m’attendre. C’est qu’il m’est revenu en tête certaine spéculation… Donnez-moi une aile de volaille et un verre de bordeaux, je ne prends que cela le matin. Eh bien ! Athalie, avez-vous bien ravagé le parterre de madame ? Athalie, qui mange très bien pour une petite-maîtresse, répond en riant à son époux : – J’ai fait ce que j’ai voulu, monsieur ; vous savez bien que cela ne vous regarde pas. – C’est juste, madame, c’est très juste. Moi, je donne de l’argent, je paye les mémoires. Des douze cents francs à une marchande de modes, c’est un peu cher. Mais il faut bien que madame ait ce qu’il y a de mieux. – Si vous preniez de l’humeur, monsieur, le prochain mémoire serait du double. – Vous savez bien, madame, que, quand il s’agit de donner de l’argent, je ne me fais jamais prier. C’est une chose toute naturelle, quand on est riche, il faut faire gagner les marchands, n’est-ce pas, Destival ? – Certainement, répond celui-ci, je suis tout à fait comme vous. Eh bien ! comment trouvez-vous mon bordeaux ? vous ne m’en dites rien. – Il est assez bon, mais j’ai mieux que ça, oh ! j’ai beaucoup mieux que ça ; vous verrez, je vous en ferai goûter chez moi. – Et cette crème, vous paraît-elle bonne, madame ? – Mais oui, répond la petite-maîtresse ; tandis que M. de la Thomassinière s’en sert trois cuillerées, en disant : – Voyons donc cette crème ; puis fait une légère grimace en ajoutant : Ah ! c’est à ma terre que nous avons du laitage excellent ! ça ne peut pas se comparer à ça ! c’est tout autre chose ! et des volailles, ah ! délicieuses. Il est vrai qu’on les nourrit avec un soin ! Voyez-vous, vous autres, vous croyez manger quelque chose de bon quand vous mangez un poulet comme celui-ci… Eh bien, si vous connaissiez ma basse-cour de Fleury, vous regarderiez ceci comme du fretin. – Il est très heureux alors que nous ne la connaissions pas, répond madame Destival en jetant sur son époux un regard significatif. Celui-ci, pour changer cette aimable conversation, s’adresse à Monin, qui, depuis qu’il est à table, n’a pas dit un mot, tout occupé d’une cuisse de volaille qu’il assaisonne parfois de tabac, et regardant en amateur un beau pâté qui est devant lui, et auquel il semble dire : – Comment va l’état de votre santé ? – Il paraît que l’appétit va assez bien, mon voisin ? – Oui, oui, c’est le temps qui fait ça. En usez-vous ? et Monin présente sa tabatière à Destival, puis à la Thomassinière, qui, après en avoir pris légèrement, tire de sa poche une tabatière d’or qu’il regarde quelque temps avec complaisance en murmurant : – Voici de la virginie, ce qu’il y a de meilleur en tabac ; il est fort cher, mais je n’aime que celui-là. Goûtez, monsieur. Monin, qui n’a jamais reculé devant une prise de tabac, va prendre de la virginie, lorsque l’on entend le bruit d’une voiture qui entre dans la cour, et Julie accourt en disant : – Voilà M. Dalville, son cabriolet vient d’entrer dans la maison. Madame Destival laisse échapper un sourire de contentement, la petite-maîtresse se hâte de se faire changer d’assiette, afin qu’on ne voie pas devant elle les débris de son déjeuner. M. Destival court recevoir son cher ami ; et M. de la Thomassinière se dit : – Il faut que ce Dalville soit un millionnaire pour que son arrivée fasse tant de sensation ! Quant à Monin, tenant d’une main la prise de virginie et de l’autre sa fourchette, troublé par le mouvement qu’opère autour de lui l’arrivée de Dalville, il porte à son nez un joli morceau de jambon, et sur sa langue le tabac superfin. Mais, s’apercevant de sa méprise, il se contente de remettre chaque chose à sa place.
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