IV - Le pucelage recousu

2326 Words
IV Le pucelage recousu Que c’est une pure erreur de croire que la perte du pucelage des dames se puisse connaître, vu les artifices qu’elles trouvent pour se le faire recoudre. Une des choses où les plus galants hommes de ce temps et les plus savants ont été trompés, quelque étude de philosophie, de jurisprudence et de médecine qu’ils aient faite, ç’a été en la connaissance du pucelage des dames : et s’en est trouvé, et s’en trouve encore tant qui s’y abusent que je crois le meilleur être de commettre cette élection au hasard et croire plutôt par foi que de faire une recherche si exacte de ce que, sans doute, on ne voudrait pas savoir : se rencontrant assez de mariages heureux desquels le mari s’est contenté de croire sans s’enquérir trop avant. Les imprudents se perdent en cette curiosité, mais les plus sages, qui, par la pratique du monde, savent de quelle façon la plupart des choses s’y traitent, n’ignorent pas qu’il y a des matrones si expertes en l’art de recoudre le pucelage aux pauvres fillettes qui ont laissé aller le chat au fromage qu’il s’en est vu telle qui a donné ou vendu le sien jusqu’à dix ou douze fois et plus aux plus experts en l’intelligence du métier. Qui est une preuve manifeste de folie à ceux qui s’amusent à cette considération : car il faut croire que toute fille est pucelle et la prendre pour telle, puisqu’il n’y a point de science certaine pour prouver le contraire quand on a apporté les remèdes pour la remettre en cet état. De m’alléguer que ce soient contes que ce discours, ceux qui en ont vu l’effet le croiront, je m’en assure ; et pour les autres, outre les exemples qui s’en voient tous les jours, je leur en dirai un d’une dame des plus renommées de son temps en tout ce qui a dépendu des gentillesses nécessaires à celles qui veulent donner leçon en l’exercice d’amour : auquel elle a acquis tant de réputation que sa mémoire en est marquée dans les esprits des plus galants cavaliers de la cour. Cette dame ayant quatre filles, belles par excellence et accompagnées des artifices que leur mère avait infusés dans leur fantaisie par ses instructions pour les rendre encore plus admirables, il n’y en eut pas une des quatre qui ne se mît en devoir de passer son temps sur l’assurance que cette bonne vieille – l’occasion de les marier se présentant – ferait en sorte que leurs maris ne s’apercevraient point qu’il y eût passé autre chose que de l’eau. Ce qui fut vrai, car en ayant donné trois à trois cavaliers des plus gentils qui régnassent pour lors, qui toutefois ne les prenaient pas sans doute, en ce que plusieurs de leurs amis en avaient discouru auparavant en leur présence : toutefois la beauté, l’alliance et les biens, qui étaient grands, avec la faveur du prince qui inclinait de ce côté-là, les fit passer par-dessus cette considération. Mais le lendemain de leurs noces, ils furent plus contents que le jour, par le témoignage qu’ils en rendirent tout à l’heure à tous leurs amis : disant que la calomnie était un vice qui n’abandonnerait jamais les hommes et que la certitude qu’ils en avaient était les médisances qu’on leur avait voulu dire de leurs chères et gentilles épouses, qu’ils connaissaient du tout fausses par une expérience véritable : en ce qu’ils avaient eu tant de peine à cueillir cette première fleur ; que si leur belles maîtresses endurèrent du mal à ce déflorement, ils en ressentirent bien leur part, tant cette rose avait été difficile à prendre : qui les rendait si joyeux et contents qu’ils étaient résolus de n’ajouter jamais foi aux paroles qui résonneraient à l’avenir à leurs oreilles au préjudice de la fidélité de leurs chères moitiés. Pendant que ces belles nymphes jouissaient à souhait des douceurs qui se trouvent en un mariage sans soupçon, la plus jeune de leurs sœurs, qui restait encore à pourvoir, considérait la sorte que ses aînées avaient passé leur enfance à rechercher les moyens les plus propres pour donner de l’amour et leur adolescence à en mettre en usage l’effet, qui les avait conduites si heureusement toutes au port où elles aspiraient : tellement que, pour y parvenir, elle ne perdait aucune des heures, qu’elle n’employât ou en la théorie ou en la pratique de cette science, qui porta son imagination à juger que ceux qui voient les actions passées des autres peuvent, sur l’exemple du bien ou du mal qu’ils y aperçoivent, former les leurs avec plus de perfection et tirer des conséquences plus certaines pour leur conduite. Elle ratiocina donc de la sorte : « Si le souverain bien de la vie consiste en la rencontre d’un mariage heureux et que les meilleurs et plus assurés moyens pour y parvenir soient la connaissance parfaite des attraits qui peuvent obliger les hommes à nous aimer, l’opinion contraire de tous ceux qui forment un point d’honneur imaginaire et qui le cherchent où il n’est pas est fausse, en ce que mes sœurs et celles qui ont aspiré ce bonheur ayant porté leur esprit et leur corps, l’un à la considération et l’autre à l’exécution du gentil exercice de l’amour, pour n’être point méprisées ni accusées d’ignorance quand elles y ont été employées, se sont si bien trouvées de cette doctrine qu’ayant, en la suite de ce dessein, acquis la possession des plus accomplis gentilshommes de France : cela me doit encore faire croire davantage que les coutumes des anciens, qui tenaient leurs filles renfermées, sans vouloir qu’elles apprissent autre chose qu’à filer et sans leur permettre aucune fréquentation des hommes, étaient autant d’abus ; d’autant que le peu de jugement que la solitude acquérait à ces idiotes causait, le plus souvent, le mépris, qui s’engendrait dans l’esprit de leurs maris, parce qu’il n’y a rien si méprisable à une âme raisonnable que l’ignorance. Je serais donc accusée d’imprudence et m’en accuserais moi-même si je ne faisais élection du moyen le meilleur pour me faire jouir des délices qui se trouvent parmi les douces caresses d’un époux affectionné : puisque je vois par l’épreuve le chemin qui m’y peut conduire, lequel, considérant de près et jugeant que la méthode de mes sœurs est la plus assurée, je ne m’en veux pas distraire, mais, au contraire, y ajouter ; car si elles ont seulement passé leur adolescence en pratiquant les mignardises qui font mourir les amants d’une si douce mort, sans que de cette pratique il en soit sorti autre chose que du vent, et qu’avec cela seulement elles aient acquis la possession entière de la volonté de leurs moitiés, à plus forte raison, si je fais plus qu’elles, me rendrai-je plus recommandable à l’endroit de celui qui désire s’unir avec moi sous les liens de l’hymen, en ce qu’on se rend d’autant plus admirable que l’on entreprend et exécute choses difficiles. Je veux donc mettre peine que celui que mes proches m’ont ordonné pour mari, lequel je dois épouser dans trois mois, se trouve tellement pris dans les liens de ma gentillesse que tant s’en faut qu’il reconnaisse la couture de mon pucelage, que je ferai faire le plus proprement qu’il me sera possible : je désire qu’il ne juge pas seulement que je serai grosse de demi-terme en ce temps-là, tant je lui veux fasciner les yeux, la fantaisie et tous les sens par la diversité de mes caresses. Et faisant cela de la sorte comme je m’assure d’exécuter, ce sera faire voir clairement que ç’a été au temps passé est encore une offense bien grande contre l’autorité de l’amour d’avoir empêché, par tant d’années, les pauvres fillettes de passer leur temps sur la considération de ce point d’honneur invisible. » Comme cette gentille amoureuse se l’était proposé, elle l’exécuta : car étant tous les jours visitée de son futur époux, elle le sut rendre tellement épris par ses charmes qu’il ne respirait que par la douceur de ses paroles et lui tardait de telle sorte que le terme limité pour son consentement ne fût arrivé, pour cueillir dans le jardin de cette mignonne la fleur de ce pucelage recousu, que les heures lui duraient des années, les jours des siècles et les semaines un jamais, tant l’ardeur de son affectionné désir lui réchauffait le cœur. Cependant le temps glissant toujours, selon sa coutume ordinaire, fait rencontrer à ce gentil amant cette journée tant souhaitée qui le devait récompenser de toutes les peines qu’il avait prises et souffertes en cette attente par la possession des beautés de sa maîtresse, laquelle, un mois auparavant, avait donné si bon ordre à remettre les parties dilatées qu’encore que la dame du milieu fût retirée il y avait longtemps, les barres froissées, la barbole abattue, le ponant débiffé, le guillocquet fendu, le guillevard élargi et le halleron démis, jamais pourtant il n’y connut rien, tant la maîtresse qui avait travaillé à rajuster ces pièces était experte en son art ; et se releva le matin si content d’auprès de cette pucelle à gros grain que l’image du contentement était tellement peinte dans son visage qu’il ne fallait point qu’il le déclarât par sa bouche. Quelques jours après sa conquête, il emmène cette belle en sa maison, où après avoir séjourné trois mois, elle jugea bien que le terme approchait de son accouchement, qui fit qu’elle envoya promptement quérir une sage-femme, dont elle connaissait l’expérience et la fidélité, à laquelle elle se découvre et lui dit comme elle était grosse de quatre mois le jour de ses noces ; que toutefois elle avait si bien joué son personnage que son mari n’y avait encore rien connu. La vieille matrone la console et lui dit qu’elle ne se mît point en peine et qu’elle accommoderait bien tout. Là-dessus elle s’en va, et en partant elle dit au maître de la maison que sa femme était grosse, comme elle croyait, de trois mois, et qu’il prit bien garde qu’elle ne se blessât, d’autant que les blessures des premiers étaient fort hasardeuses, puis elle prend congé, avec promesse de retourner bientôt. Cependant le temps de l’accouchement s’approchait, qui obligea cette belle dame d’envoyer quérir sa fidèle conseillère, de peur d’être prise au dépourvu, qui ne manqua pas au mandement de se porter auprès d’elle, où elle ne séjourna pas quatre jours sans avoir connaissance certaine de la maturité du fruit, et que deux ou trois au plus ne se passeraient sans qu’il tombât de l’arbre. Ayant donc donné avis à cette patiente de ce qu’elle devait faire, elle mène son mari promener dans le parc de la maison, qui est fort beau, où après avoir fait quelques tours, témoignant être lasse, elle se veut retirer dans sa chambre, ou s’acheminant et montant l’escalier, elle feignit de faire un faux pas, et se laisse tomber (assez doucement toutefois). Son pauvre mari, qui la suivait, court pour la relever ; mais elle témoigna ressentir tant de douleur qu’il lui fallut appeler du secours pour l’emporter, demeurant si interdit de cet accident, qu’il estimait véritable, que dès qu’il l’eût conduite en sa chambre, il lui prend une faiblesse si grande, causée de la douleur qu’il avait ressentie par la surprise de cette peur, que véritablement il avait plus de besoin de secours que cette dissimulée. Néanmoins, quand il fut revenu à lui, la première chose qu’il demanda fut des nouvelles de ses chères amours ; on lui dit qu’elle était fort mal et que la sage-femme était auprès d’elle, qu’il envoya quérir pour savoir plus véritablement de sa bouche ce qu’elle jugeait du malheur si inopinément arrivé ; qui lui dit qu’elle ne pouvait encore s’assurer de rien, qu’à la vérité elle était en danger, qu’il fallait attendre quel serait l’évènement, et qu’elle pensait pourtant que cet effort ferait sortir son enfant ; que si cela arrivait, elle avait espérance que tout se porterait bien. Le pauvre a***é la renvoie auprès de la malade et se met à faire mille vœux et dire autant d’oraisons qu’il n’eut loisir presque d’achever, qu’on lui vint restituer la vie par la nouvelle du prompt et heureux accouchement de cette dissimulée. Il n’eut la patience d’en ouïr davantage pour se porter au lieu où son imagination était attachée ; la sage-femme lui vint au-devant avec un visage gai, qui lui dit : « Réjouissez-vous, monsieur, je vous rendrai bientôt madame prête à en faire autant ; elle n’en aura que le mal, Dieu aidant, pour ce coup ; mais une autre fois faites que le fruit que vous planterez soit mieux attaché, afin qu’il ne tombe pas si tôt. » Le pauvre Joannes tout ravi d’aise, embrasse la bonne vieille, et les larmes aux yeux lui répond : « Hélas ! ma mère, que vous me rendez content par vos paroles ! mais je le serais bien davantage si mon aise n’était troublée par l’appréhension que j’ai de la mort de cette petite créature que j’aperçois là auprès de sa mère : que si je la pouvais racheter de mon sang, je vous jure que je vous le donnerais tout à cette heure, pour la retirer du tombeau où elle sera bientôt, croyant impossible qu’elle puisse vivre, n’étant pas venue à terme. » Ce disant, il fût tombé évanoui si la bonne matrone ne l’eût soutenu, qui lui repart : – « Tout beau, monsieur, revenez à vous, et m’entendez : à ce que je vois, vous avez fort peu de connaissance des merveilleux effets de la nature, et principalement en ce qui regarde notre art, mais sachant par épreuve ce que vous ignorez, je vous avise que je ne juge pas cette petite fillette être si près de sa fin que vous pensez, croyant qu’elle sera pour vivre et vous donner un jour du contentement, et ne vous amusez à ce qu’elle est venue au cinquième mois de votre mariage ; car si ce n’est par un autre accident que celui de sa naissance, elle n’aura point de mal, vous assurant que tous ceux que j’ai jamais reçus à cinq et à quatre ont toujours, ou le plus souvent, vécu et sont venus à perfection. » Ces discours consolèrent tellement ce désolé que, rembrassant derechef cette rusée, il se rapaisa de telle sorte qu’il a confessé à plusieurs de ses amis qu’il n’avait point ressenti plus de contentement, ni tant, en la possession de cette belle commère aux premiers jours de cette aise, qu’il avait goûté de douceurs, par l’assurance de sa vie et de celle de sa petite fille, qu’il croyait perdue, et se flatta tellement en cette créance qu’il s’est, tant qu’il a vécu, estimé le plus heureux gentilhomme du royaume. Ce qui est pour autoriser le proverbe qui dit : Que nul n’est heureux qui ne le pense être. Si donc l’heure consiste au point que je viens de traiter, je suis d’avis que tous les galants de la cour et ceux qui sont dignes de ce titre recherchent les sujets pour s’en faire possesseurs, et que les belles qui sont à marier ne s’épargnent point à pratiquer les moyens qui les peuvent rendre dignes de contenter ceux auxquels elles seront jointes par mariage, de telle sorte que, trouvant le pucelage bien recousu, ils n’aient point d’occasion de porter envie à celui duquel je viens de parler.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD