Traîtresse

1582 Words
Tout le monde affirmait qu’on ne pouvait jamais ressentir quoi que ce soit concernant son compagnon avant sa première transformation. Ni leur parfum envoûtant, ni l'attraction irrésistible. Pas même la douleur de leur rejet. Mais alors que j'étais assise à l'endroit où je m'étais effondrée quelques instants après que le carrosse royal avait disparu de ma vue, je prouvais que ces théories étaient fausses. Du moins, en ce qui concerne le rejet. Je l'ai ressenti. Absolument tout. Sa colère. Sa souffrance. La haine qu'il avait instantanément eue pour moi quand il a réalisé ce que j'avais fait. Mais par-dessus tout, j'ai ressenti l'océan de douleur qui m'a envahie lorsqu'il a prononcé les mots que je pensais pouvoir supporter si cela devait arriver. Comme je me trompais. Quand il a prononcé ces mots, tout mon monde s'est effondré. Ma gorge s'est serrée à l'extrême tandis que mon cœur se contractait si fort que je ne pouvais plus respirer. J'ai réalisé trop tard à quel point le lien de compagnon était étroitement tissé. Être rejetée, c'était comme si ma propre âme, qui avait été entremêlée avec la sienne, était arrachée morceau par morceau. Et quand il a choisi ma sœur, cette douleur m'a frappée comme des vagues cherchant constamment à dévorer un rivage rocheux. Même maintenant, des années après son départ, mon cœur semblait encore être déchiqueté en petits morceaux. La trahison de ma propre famille était comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase de ma douleur. Ils m'avaient jetée comme si je n'étais rien. Comme si toutes les années de ma vie n'avaient jamais existé. Je pouvais encore entendre l'excitation de ma sœur alors qu'elle courait dans notre petite maison et sortait à l'arrière dans notre petit jardin pour annoncer sa nouvelle à mère et père. Ils étaient tous deux rentrés à l'intérieur, m'ignorant alors qu'ils offraient leurs félicitations à mon compagnon. Aucun n'a même pris la peine de me dire un simple au revoir lorsqu'ils ont accepté avec joie l'invitation du prince à déménager au palais. C'était comme si j'avais cessé d'exister complètement. Je n'étais plus rien ! Une larme solitaire s'est échappée de mes yeux, menaçant de laisser couler tout le flot juste après, mais je les ai retenues. Cela ne me servirait à rien et je ne pouvais pas me permettre d'être faible. «Allons, allons, ce n'est vraiment pas la fin du monde, tu sais ?» Je me suis levée d'un bond, la reconnaissance m'a frappée au son de cette voix. Pourquoi était-il ici ? Je me suis retrouvée à fixer les yeux de cet homme sinistre de tout à l'heure. Sauf que cette fois-ci, la fureur ne les remplissait pas, la faim le faisait alors qu'ils me dévoraient du regard. Il avait utilisé la porte de derrière cette fois-ci et je me demandais s'il était parti du tout. «Que fais-tu ici ?!!» «Oh, pas besoin d'être si hostile, petite louve. Je suis seulement ici à cause de toi.» «À cause de moi ?» Un frisson glacé a parcouru ma colonne vertébrale. Sûrement il ne pensait pas à– «Votre sœur a eu la gentillesse de signaler que vous aviez besoin de compagnie et comme nous avons apparemment été privés de notre chance la nuit dernière, je suis ici pour bien plus que compenser cela.» Il s'est avancé vers moi et j'ai reculé, choquée par ses paroles. Il n'y avait vraiment pas de fin à l'obscurité qui résidait dans l'âme de ma sœur. Ce n'était pas suffisant qu'elle m'ait tout pris. «Elle s'est gravement trompée, car je n'ai besoin de la compagnie de personne, encore moins d'une brute épaisse comme vous.» J'ai répliqué avec un ricanement en me rapprochant de la porte d'entrée, heureuse de l'avoir laissée ouverte. Ces yeux affamés ont fixé la porte au même moment et avant que tout ne tourne mal, je me suis faufilé à travers elle juste au moment où la brute se jetait sur moi. Il était rapide et j'ai à peine échappé à son emprise. Je suis sortie en courant juste au moment où une b***e de soldats royaux descendaient de leurs chevaux. «Oh, merci aux dieux ! S'il vous plaît, mon seigneur, sauvez-moi !» J'ai trébuché et je suis tombé aux pieds du premier soldat, le soulagement m'envahissant à leur timing parfait. Mon cœur battait encore à tout rompre, j'entendais cette bête jurer juste derrière moi à la surprise qui l'attendait. «Et pourquoi sauverions-nous une traîtresse de Xatis ?» Traîtresse ? J'ai secoué la tête et j'ai osé lever les yeux vers lui. «Je vous assure, mon seigneur, je n'ai rien fait contre mon propre royaume.» Cela devait être une erreur. «N'es-tu pas Shyla ?» Le soldat a grogné, agitant une feuille de papier enroulée comme un parchemin devant mon visage. «Je le suis, mais–» «Accuses-tu son altesse, le prince, de mentir alors ?» Mes yeux se sont agrandis. «L-Le p-prince ?» J'ai bégayé. Il avait envoyé des soldats et m'avait qualifiée de traîtresse ? «Quels sont mes crimes ?» Je savais ce qu'ils étaient. Quel était mon seul crime et il me punissait encore pour cela. Ce n'était pas suffisant qu'il m'ait rejetée. Choisir ma sœur n'était pas suffisant non plus. Il voulait me dépouiller de tout. Le soldat a ricané. «Et qu'est-ce qui te fait croire que tu es en position de le questionner ? Nous sommes ici sur ses ordres, c'est tout ce que tu as besoin de savoir et à moins que tu n'insistes pour l'accuser de mentir–» «Je ne suis personne, mon seigneur,» j'ai lâché quand j'ai compris l'intention du soldat. Peut-être que si je montrais rapidement mon remords, ils seraient indulgents avec moi. J'avais entendu comment les traîtres et ceux accusés de trahison étaient traités. C'était un miracle que ces soldats prennent le temps de me parler. Certains de ceux bannis du royaume, n'avaient même pas l'occasion de sortir de chez eux, encore moins de Xatis avant de rencontrer leur sort. Je ne serais pas l'une de ces personnes, ai-je décidé en m'abaissant au sol. «Tu as raison. Tu n'es personne et sur ordre de son altesse, tu es par la présente bannie de ces terres. Tu ne dois jamais montrer ton visage à son altesse à nouveau. Si tu le fais, ce sera la dernière fois.» Je ne savais pas ce que je ressentais à cette annonce. J'avais accepté mon sort et n'avais aucune intention de le revoir, mais cela... cela portait une finalité qui me brisait d'une manière que je n'aurais jamais cru possible. C'était comme s'il me rejetait à nouveau et toutes ces larmes que j'avais retenues depuis son rejet se sont déversées. «Elle est toute à vous.» Le garde du roi a froissé la feuille de papier qu'il lisait et l'a jeté négligemment à mes pieds. «Faites-nous tous une faveur et faites vite. Aucun de nous n'est vraiment intéressé à l'escorter jusqu'aux frontières de Xatis.» Je n'avais pas le temps de m'émerveiller de la façon dont ma vie s'était effondrée ou d'essuyer mes larmes avant que des grognements satisfaits ne remplissent mes oreilles. J'avais été servie entière pour que la brute me dévore. «Eh bien maintenant, jeune louve, il semble que toi et moi sommes vraiment destinés à–» Je n'ai pas laissé la bête finir avant de partir en courant. Chaque instinct de survie en moi s'était soudainement éveillé, me propulsant en avant. Personne n'allait me sauver. J'étais toute seule et une petite surprise, un petit avantage, ferait la différence entre la mort et garder la honte d'une vie à laquelle je tenais encore. Sans l'aide d'un loup pour m'échapper, j'avais rapidement réalisé à quel point cette différence était mince. Je me suis précipitée sous le couvert des arbres, mon esprit allant plus vite que mes pieds. «Tu ne penses pas vraiment pouvoir me distancer, jeune louve, n'est-ce pas ?» Je pouvais entendre sa respiration lourde et le martèlement de ses pieds sur le sol. Les brindilles craquaient facilement sous eux et chaque fois qu'elles le faisaient, je me rendais compte de la distance qui nous séparait. Il se rapprochait à chaque fois et je suppliais mes jambes d'aller plus vite. J'étais reconnaissante qu'il me considère comme une faible et ne prenne pas la peine de se transformer, me donnant sans le savoir une chance de me battre. Et il avait tort. Je ne pensais pas à le distancer, mais à le déjouer. J'ai pris un virage brusque et me suis dirigée dans la seule direction qui me donnerait une chance de me battre encore plus. Jusqu'à aujourd'hui, je n'étais venue ici que pour profiter de sa beauté, et en sortant des bois, j'ai prié pour que la cascade soit ma grâce salvatrice. C'était une longue descente et j'espérais ne pas être suivie. Et si je l'étais, j'espérais que l'eau masquerait mon odeur assez longtemps pour m'échapper une fois remontée de la rivière en aval. Je me suis arrêtée brusquement en arrivant au bord juste au moment où d'autres brindilles craquaient, annonçant l'arrivée de mon poursuivant aussi. J'ai ignoré mon cœur battant et la protestation de mes jambes en regardant en bas. «Ne fais pas de folie, jeune louve.» Il m'avait finalement rattrapée. «Tu ne feras que sauter vers ta mort. Je te promets que je rendrai cela intéressant pour toi. Tu n'as qu'à venir avec moi.» Le sourire sournois sur ses lèvres n'a fait que renforcer ma résolution et il avait encore tort. J'étais folle. Folle de vouloir survivre. Alors j'ai sauté.
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