À Jamais Ternie
«Tu n'es pas en train de mourir ?« J'ai regardé ma sœur aînée, éblouie par sa beauté parfaite qui m'a accueilli au moment où je suis entrée dans notre petite maison. Après la nuit regrettable que j'avais passée et les larmes que j'avais versées, je ne pouvais pas croire que mes yeux me jouaient des tours.
Ce n'était pas que j'étais si jalouse d'elle et que je souhaitais sa mort, mais jusqu'à ce que je quitte notre petite maison de village la nuit dernière, elle avait l'air presque morte. Les yeux enfoncés, sa peau habituellement éclatante était plus pâle que les fesses d'un petit garçon qui serait resté trop longtemps dans une couche mouillée. Ses lèvres étaient si craquelées que je ne pouvais pas la laisser sourire car j'avais peur qu'elles ne se fendent en morceaux avec l'effort.
Elle avait souri quand même. C'était un sourire faible, mais c'était suffisant pour que je sache qu'elle était reconnaissante pour ce que j'étais sur le point de faire pour elle. J'avais enfin rassemblé mon courage et décidé de faire ce qui devait être fait. De faire tout ce qu'il fallait pour l'avoir avec nous aussi longtemps que la potion le lui permettrait. Pour épargner à nos parents le chagrin d'enterrer leur fille avant son heure et la leur. Je sauverais Myrna.
«Est-ce que ça a marché ?« L'espoir a envahi mon cœur à l'idée que tout ce que j'avais fait, mon sacrifice, n'avait pas été vain. Mais alors Myrna a ri. Un son sinistre que je n'avais jamais entendu sortir de la bouche de ma sœur. «Quelque chose ne va pas ?« Confuse, j'ai incliné la tête en attendant sa réponse.
«Oh ma douce, douce Shyla. Tu as toujours été si crédule.« J'ai froncé les sourcils au ton que ma sœur employait. Quelque chose n'allait pas. Et pourquoi aurait-elle dit que j'étais crédule ? La tête que je portais sur mes deux épaules était ma fierté car elle ne m'avait jamais trahie ni laissé personne me surpasser en quoi que ce soit. Et pourtant, en regardant ma sœur, elle semblait plus que convaincue qu’entre nous deux, c’était moi l’idiote. Avais-je été… idiote ?
«As-tu aimé ça ? Ta première fois, je veux dire ? Ou était-ce aussi douloureux que tout le monde le prétend ?«
Nous avions convenu de ne jamais parler de mon sacrifice. Ce n'était pas quelque chose que je souhaitais me rappeler. Que ma sœur soit en bonne santé était tout ce qui importait. Pas l'avenir que j'avais si désintéressément abandonné et pourtant la voilà, avec un sourire sur ses lèvres me forçant à revivre l'un des moments les plus douloureux de ma vie.
«Était-il au moins gentil avec toi ? Il avait promis qu'il serait doux.«
Était-il possible d'être doux en prenant l'innocence de quelqu'un ? L'homme qui m'avait déflorée ne l'était certainement pas. Peut-être était-ce parce qu'il était ivre. J'étais ivre moi-même. Au moment où j'étais entrée dans l'auberge où je devais le rencontrer et avais été témoin de toutes les visions pécheresses devant moi, je savais que je ne pourrais pas le faire en étant sobre. J'étais arrivée quelques minutes plus tôt que l'heure convenue, alors au lieu de me diriger vers la chambre où je devais le rencontrer, j’étais restée dans la salle principale et m’étais commandé une chope de bière. Je n'avais jamais bu auparavant, donc une chope était plus que suffisante et alors que je trébuchais vers la chambre, j'étais sûre que je ne ressentirais rien. Mais au moment où je suis devenue femme, j’ai eu mal. Aucune quantité d'alcool ne pouvait me protéger de cette douleur, je l'avais réalisé. Ni de la douleur qui accompagnait la honte de mon nouveau statut. J'étais à jamais ternie. Une marchandise abîmée ne méritant pas l'amour d'un homme décent, l'amour de mon compagnon. Jamais je ne serais célébrée comme l’étaient les jeunes vierges le jour de leur mariage. J'aurais de la chance si un vieux veuf qui a perdu sa compagne me remarquait une fois rejetée par mon compagnon. J'avais décidé de ne pas m'attarder sur ce chemin solitaire tant que ma sœur pouvait vivre, mais maintenant–
«Il a promis d'être gentil ? Comment pourrais-tu savoir–« Mes mots sont restés coincés dans ma gorge alors que je m'efforçais de réfléchir avec la bonne tête sur mes épaules.
«C'était le minimum que je pouvais faire pour toi.« Ma sœur a haussé les épaules et il m'a fallu trop de temps pour comprendre ce que ses mots signifiaient. Et une autre éternité pour assembler ce qui se passait. J'avais été stupide.
«T-Tu n'étais jamais en train de mourir ?« Mon monde s'est effondré avec cette simple question. «Maman a dit que le poison était trop fort pour ta guérison de loup et que tu avais besoin de la potion pour t'aider à guérir ou tu mourrais. Mensonges… étaient-ils tous des mensonges ?« Je ne pouvais pas respirer alors que la piqûre de la trahison transperçait mon corps. Comment pourrais-je lorsque j'étais confrontée à la possibilité de la pire trahison que l'on puisse subir. Ma famille m'avait-elle vraiment trahie ? Un souvenir de ma mère en larmes tandis que mon père la réconfortait m'a frappé. Ils avaient supplié, vendu leur mensonge si parfaitement que je l'avais cru.
Quelque chose de liquide et chaud est tombée sur la main qui serrait fermement ma robe sur ma poitrine. Je détestais montrer ma faiblesse, mais c'était trop même pour la jeune fille volontaire que ma mère prétendait toujours que j'étais.
«Pourquoi ?« J'ai laissé échapper d’une voix rauque. Rien n'avait de sens. Ma sœur m'aimait. Elle m'avait protégée toute ma vie. Elle m’avait réconfortée quand j’en avais besoin. Je lui devais beaucoup de ce que j’étais, et c’est pour cela que, aussi difficile et douloureux que cela avait été, j’avais choisi de sacrifier mon essence même de femme pour qu’elle puisse vivre. J’avais renoncé à un avenir avec mon compagnon… mon compagnon.
«J'espère que quand tu le trouveras, il te pardonnera. Je parle de ton compagnon.«
«Pourquoi as-tu fait ça ?!« J'ai craché, détestant être ignorée. J'avais besoin que cela ait un sens ou je perdrais la tête.
«Le prince a finalement décidé de choisir une jeune fille, une compagne choisie. Tu sais qu'il n'a pas pu trouver sa compagne, n'est-ce pas ?«
J'ai froncé les sourcils, me demandant ce que la décision d'un royal gâté avait à voir avec ma sœur ou plus important encore avec moi.
« Dois-je tout t’expliquer ? » Myrna a levé les yeux au ciel. «C'est peut-être un village oublié mais la déesse de la lune ne nous a certainement pas oubliés.« Un large sourire s'est formé sur le visage de Myrna alors qu'elle se pavanait dans notre petit salon, accentuant mon froncement de sourcils. «Parce qu'aucune des dames nobles n'était assez bonne dans ces districts, le prince cherche maintenant sa compagne ou compagne choisie dans notre petit village, et c'est moi qui m'assure d'être la seule digne d'être choisie.«
C'est moi qui m'assure d'être la seule digne d'être choisie. Ses mots m'ont frappée fort et j'ai tremblé de colère. «Tu as ruiné toute ma vie parce que tu pensais que je serais ta rivale dans une stupide sélection de mariée ?!«
«Tout d'abord, ce n'est pas stupide. Deuxièmement, oui. Tu n'as été qu'une épine dans mon pied depuis que tu as fait irruption dans ma vie et je n'allais pas te laisser prendre ce qui m'appartient de droit.« J'ai cligné des yeux en regardant ma sœur, me demandant si elle n'était pas vraiment empoisonnée parce que tout ce qui sortait de sa bouche ressemblait aux divagations d'une jeune fille folle. «J'avais été une épine dans son pied ?«
« Je veux être remboursé ! » Surpris, je me suis retournée au son d'un grondement profond et furieux. Il appartenait à un homme sinistre qui se tenait dans l'embrasure de notre minuscule maison, son grand corps à peine adapté à l'ouverture. Ses yeux flamboyaient, révélant son loup en colère dont j'étais certaine qu'il nous déchirerait en morceaux s'il se transformait.
«Tu m'avais promis une jeune fille et tu as menti.« J'ai dégluti même si ses yeux furieux n'étaient pas fixés sur moi. Ils allaient au-delà de moi vers Myrna.
Oubliant momentanément ma propre situation, mon regard s'est tourné vers Myrna face à l'accusation. «Dis-moi que tu n'as pas été assez stupide pour t'emmêler avec des gens comme lui.« Malgré ce que ma sœur avait fait, je m'inquiétais pour elle. Devoir à des gens comme la bête qui se tenait dans notre entrée, c'était inviter le malheur sur toute sa famille. La b***e de brutes qui terrorisait les jeunes filles seules trouvées sans protection même en plein jour était un cauchemar en soi. Ma sœur était-elle aussi stupide ? La manière dont il était entré dans notre maison montrait qu'elle avait effectivement été stupide.
«Stupide ? Je ne pourrais jamais être toi, Shyla.« J'ai cligné des yeux face à l'attitude hautaine de ma sœur. Pour la première fois de ma vie, Myrna me regardait de haut avant de m'ignorer totalement.
«Je t'ai promis une jeune fille et je t'en ai donné une. Je suis une femme de parole.«
«Est-ce que j'ai l'air satisfait à tes yeux ?« La brute a rugi si fort que je pensais que le vieux toit de notre maison allait s'effondrer. J'aurais bien voulu m'enfuir, mais une autre réalisation m'a clouée sur place. Elle m'avait vendue à une bête qui aurait pu me déchirer et briser mon âme.
«As-tu vraiment été si stupide que tu es entrée dans une autre chambre ?« Myrna ne souriait plus. La rage brûlait dans ces yeux qui m'avaient regardée avec amour il n'y a pas si longtemps. «Shyla !« Elle a rugi quand je ne répondais pas, mais je restais figée, le cœur se brisant à chaque instant qui passait. «Peu importe.« Myrna m'a rejetée comme si j'étais un insecte insignifiant. «Que tu perdes ton innocence est tout ce qui compte. Je me fiche de savoir qui t'a eue. Quant à toi…« Myrna s'est tournée vers la brute qui, étonnamment, était resté silencieux. «Voici ton r***********t. Si tu n'as pas eu pour ton argent, il est juste que je te le rende.« Les pièces ont tinté lorsque le sac a atterri dans les mains de la brute, mais je n'étais plus intéressée par cet échange. Je continuais à ressasser l'aveu que ma sœur avait craché avec tant de désinvolture.
Le claquement d'une porte m'a sorti de mes pensées douloureuses et j'ai trouvé ma sœur arborant un air agacé. «Si tu n'es pas entrée dans sa chambre, alors avec quel minable as-tu fini au lit ?»
C'est toi la minable. Je souhaitais crier, mais le poids du mensonge qu'avait été ma vie pesait plus lourd que mon besoin d'insulter ma sœur.
