Préface de la fin des amours

639 Words
Préface de la fin des amoursCet ouvrage fut publié, pour la première fois, en juillet 1789 Que de bruit pour un petit livre ! Si beaucoup en ont ri, quelques-uns en ont pleuré ; plusieurs l’ont imité, d’autres l’ont travesti ; d’honnêtes gens l’ont contrefait, des gens honnêtes l’ont dénigré. Ainsi, puissamment encouragé de toutes les manières, j’ai repris la plume avec quelque confiance, et j’ai fini. Maintenant, lecteur impartial, c’est à vous de m’entendre et de prononcer. Si quelquefois je suis trop gai, pardonnez-moi. Tant de romans m’avaient tant fait bâiller ! Je tremblais d’être comme eux soporifique ; au reste, attendez quelques années, peut-être alors j’en ferai de plus ennuyeux qui seront meilleurs. Je dis, peut-être. En effet, un romancier ne doit-il pas être l’historien fidèle de son âge ? Peut-il peindre autre chose que ce qu’il a vu ? Ô vous tous qui criez si fort, changez vos mœurs, je changerai mes tableaux ! M’accusiez-vous aussi d’immoralité ? Bientôt je tâcherai de vous persuader que vous aviez tort ; mais auparavant, approchez, prêtez l’oreille : c’est une vérité que je vais dire ; et, comme la littérature a encore ses aristocrates, il faut parler bas. En conscience, étaient-ils bien moraux, ces chefs-d’œuvre par lesquels se sont immortalisés l’Arioste et le Tasse, La Fontaine et Molière, Voltaire enfin, Voltaire et tant d’autres, beaucoup moins grands que lui, quoique plus grands que moi ? Tenez, j’ai bien peur que cette condition de moralité, si rigoureusement imposée de nos jours à tout ouvrage d’imagination, ne soit un v*****t remède savamment employé par ceux de mes frêles contemporains qui, désespérant de pouvoir jamais rien produire, voudraient nous c*****r. Quoi qu’il en soit, lisez mon dénouement, il me justifiera sans doute. Au surplus, je déclare, et dès que les circonstances me le permettront, je m’engage à prouver que cet ouvrage, si frivole en ses détails, est au fond très moral ; qu’il n’a peut-être pas vingt pages qui ne marchent directement vers un but d’utilité première, de sagesse profonde, auquel j’ai tendu sans cesse. J’avoue qu’il sera donné à peu de gens de l’apercevoir d’abord ; mais je maintiens qu’avec le temps, je le pourrai découvrir à tous ; et le jour de mes confidences sera, je vous le promets, le jour des surprises. Ils m’ont encore reproché de grandes négligences. Eh ! quel écrivain, assez peu maître de son art, voudrait également soigner toutes les parties d’un long ouvrage ? Quant à moi, je crois fermement qu’il n’y a point de naturel sans négligences, principalement dans le dialogue. C’est là que, pour être plus vrai, sacrifiant partout l’élégance à la simplicité, je serai souvent incorrect, et quelquefois trivial. C’est, ce me semble, où le personnage va parler, que l’auteur doit cesser d’écrire ; et néanmoins je me reconnais très fautif, s’il m’est souvent arrivé de permettre que madame de B *** s’exprimât comme Justine, et Rosambert comme M. de B ***. Patient lecteur, encore un paragraphe apologétique. Ces romans prétendus étrangers, qu’on s’arrache le matin et qui sont oubliés le soir, ne renferment, pour la plupart, que des caractères communs à presque tous les peuples de notre Europe, et des aventures de tous les pays. J’ai tâché que FAUBLAS, frivole et galant comme la nation pour laquelle et par laquelle il fut fait, eût, pour ainsi dire, une figure française. J’ai tâché qu’au milieu de tous ses défauts on lui reconnut le ton, le langage et les mœurs des jeunes gens de ma patrie. C’est en France, et ce n’est qu’en France, je crois, qu’il faudra chercher les autres originaux dont j’ai trop faiblement dessiné les copies : des maris en même temps libertins, jaloux, commodes et crédules comme monsieur le marquis ; des beautés séduisantes, trompées et trompeuses comme madame de B *** ; des femmes à la fois étourdies et sensibles comme ma petite Éléonore, chaque jour regrettée. Enfin, je me suis efforcé de faire en sorte qu’on ne pût, sans blesser un peu la vraisemblance, imprimer sur le frontispice de ce roman-ci ce honteux mensonge : traduit de l’anglais. Mais pendant que j’écrivais ces futilités, un grand changement s’est fait dans mon heureuse patrie. La plus belle carrière est désormais ouverte à ceux qui ambitionneront une gloire solide, utile à leur pays, utile au monde entier. La carrière est ouverte ! Pourquoi ne m’y suis-je pas déjà montré ? C’est que je ne m’en crois pas encore digne.
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