Épître dédicatoire, préface, avertissement des six semainesCet ouvrage fut publié, pour la première fois, au printemps de 1786.
À M. TOUSTAING.
Monsieur,
Votre nom, destiné à plusieurs sortes de gloire, est en même temps consigné dans les fastes de la littérature et dans les annales de l’histoire. On devrait donc le lire à la tête d’un ouvrage plus recommandable que celui-ci ; mais je serais trop ingrat si je ne vous offrais point un hommage et des remerciements publics. Que ne m’a-t-il été possible de suivre vos conseils ! FAUBLAS, pour la seconde fois soumis à votre censure, vous aurait, avec bien d’autres obligations, celle de se montrer déjà beaucoup plus formé. Vous paraissez croire, et vous voulez bien me dire que je pourrais, avec quelque succès, embrasser un genre plus sérieux, et que je devrais consacrer à la morale et à la philosophie mes dispositions, que vous appelez mes talents. Quelquefois je vous ai vu sourire aux espiègleries de mon Chevalier ; plus souvent je vous ai entendu m’exprimer sans détour le regret que vous aviez de le trouver toujours si peu raisonnable. J’ai eu l’honneur de vous observer qu’il pourrait, comme tant d’autres enfants de bonne maison, complètement réparer, par les actions exemplaires de l’âge mûr, les erreurs peut-être excusables de son printemps. Ici j’ajouterai, que pour corriger les écarts du jeune homme, l’historien fidèle attend impatiemment que l’heure du héros soit venue ; et si cet aveu ne suffit pas pour m’obtenir grâce auprès des gens sévères, je citerai ma justification imprimée longtemps avant que je fusse né pour commettre la faute. Dans un conte philosophique, écrit avec la facilité prodigieuse et l’inimitable naturel qui caractérisent les ouvrages de ce génie universel, presque toujours supérieur à son sujet, Voltaire m’a dit : « Monseigneur, vous avez rêvé tout cela ; nos idées ne dépendent pas plus de nous dans le sommeil que dans la veille. Une puissance supérieure a voulu que cette file d’idées vous ait passé par la tête, pour vous donner apparemment quelque instruction dont vous ferez votre profit. »
Je suis, etc.
LOUVET DE COUVRAY.
P.S. Pourquoi de Couvray ? Voyez la page suivante, et vous le saurez.
À MON SOSIE
Je ne sais, monsieur, si vous êtes l’heureux propriétaire d’une figure semblable à la mienne, et si, comme moi, vous descendez de ce fameux LOUVET… Je ne sais, mais il ne m’est plus permis de douter que nous avons à peu près le même âge ; que nous sommes décorés d’un titre presque semblable ; que nous nous glorifions d’un nom absolument pareil. Je suis surtout frappé d’un trait de ressemblance plus précieux pour nous, plus intéressant pour la patrie ; c’est que nous pourrons aller ensemble à l’immortalité, puisque tous deux nous composons de très jolie prose, puisque tous deux nous nous faisons imprimer vifs.
J’aime à croire que cette parfaite analogie vous a d’abord semblé, comme à moi, très flatteuse ; et cependant je suis persuadé que maintenant vous sentez, ainsi que moi, le terrible inconvénient qu’elle entraîne. À quelle marque certaine deux rivaux si ressemblants, en même temps lancés dans la vaste carrière, seront-ils reconnus et distingués ? Quand le monde retentira de notre éloge commun ; quand nos chefs-d’œuvres, pareillement signés, voyageront d’un pôle à l’autre, qui séparera nos deux noms confondus au temple de Mémoire ? Qui me conservera ma réputation, que sans cesse vous usurperez sans vous en douter ? Qui vous restituera votre gloire, que je vous volerai continuellement sans le vouloir ? Quel homme assez pénétrant pourra, par une assez équitable répartition, rendre à chacun la juste portion de célébrité que chacun aura méritée ? Que ferai-je pour qu’on ne vous prête pas tout mon esprit ? Comment empêcherez-vous qu’on ne me gratifie de toute votre éloquence ? Ah ! monsieur ! monsieur !
Il est vrai que l’ingrate fortune a mis entre nos destinées une différence pour vous toute avantageuse : vous êtes avocat au, je ne suis qu’avocat en ; vous avez prononcé, dans une grande assemblée, un grand discours, je n’ai fait qu’un petit roman. Or, tous les orateurs conviennent qu’il est plus difficile de haranguer le public, que d’écrire dans le cabinet ; et tous les gens instruits sont épouvantés de l’immense intervalle qui sépare les avocats en des avocats au. Mais je vous observe qu’il y a encore dans l’État des milliers d’ignorants qui ne connaissent ni mon roman, ni votre discours, et qui, dans leur profonde insouciance, ne se sont pas donné la peine d’apprendre quelles belles prérogatives sont attachées à ce petit mot au, dont, à votre place, je serais très fier. Ainsi, monsieur, vous voyez bien que malgré le roman et le discours, et le en et le au, tous ces gens-là, qui ne peuvent manquer d’entendre bientôt parler de vous et de moi, nous prendraient continuellement l’un pour l’autre. Ah ! monsieur, croyez-moi, hâtons-nous d’épargner à nos contemporains ces perpétuelles méprises qui donneraient trop d’embarras à nos neveux.
D’abord j’avais imaginé que, vous trouvant le plus intéressé à prévenir les doutes de la postérité, vous voudriez bien faire comme vos nobles confrères, qui, pour la plus grande gloire du barreau, augmentent ordinairement d’un superbe surnom leur baptistère, devenu trop modeste. Depuis, en y réfléchissant davantage, j’ai senti que délicatement je devais me donner ce ridicule pour vous l’épargner. Voilà ce qui me détermine. Vous pouvez, si bon vous semble, rester M. Louvet tout court ; moi, je veux être éternellement,
LOUVET DE COUVRAY.
La seconde édition s’étant faite en 1790, j’ajoutai la note suivante .
À ELLE
J’aurais osé le lui dédier, s’il s’en fût trouvé digne.