Dialogue III
Mme de Se…, Thérèse
THÉRÈSE
Ah ! ma chère maman, je puis donc jouir un moment du bonheur de vous voir. Il y a longtemps que vous me le faites espérer et que vous ne venez point.
Mme DE SE…
Ma fille, quoique je ne vous aie pas vue depuis quelque temps, je n’en ai pas moins été occupée de vous, et vous l’allez connaître, car je viens tout exprès pour vous annoncer une grande nouvelle.
THÉRÈSE
Quoi, ma chère maman ? Vous me faites trembler.
Mme DE SE…
Rassurez-vous, ma fille ; je n’ai rien à vous apprendre qui ne doive vous plaire beaucoup.
THÉRÈSE
Ah ! si c’était que vous allez me retirer du couvent pour demeurer auprès de vous, que je serais aise ! ma chère maman.
Mme DE SE…
Ce n’est pas tout à fait cela : je veux, en effet, vous retirer du couvent, mais c’est pour vous marier.
THÉRÈSE
Ah ! ma chère maman, que dites-vous là ! Moi, me marier ! cela se peut-il ? Je suis si jeune ! je n’ai que quinze ans.
Mme DE SE…
Revenez de votre erreur, ma fille, vous en avez seize passés et bientôt dix-sept ; je vous en avais ôté deux dans le monde, parce qu’en attendant l’établissement d’une fille, qui n’a pas lieu toujours aussitôt qu’on voudrait, on ne court aucun risque de la faire passer pour plus jeune qu’elle n’est.
THÉRÈSE
Comment, ma chère maman, j’ai dix-sept ans ?
Mme DE SE…
Pas encore, mais vous êtes en âge, et je trouve une occasion de vous pourvoir trop avantageuse pour n’en pas profiter. Je vous marie avec M. le comte de… C’est un homme de bonne maison ; il n’a que trente-huit ans ; il jouit des biens de feu son père. Ces biens, dont j’ai vu l’état, consistent en deux belles terres, situées dans le Périgord, en rentes sur la ville et en actions. Tout cela lui composera près de cinquante mille livres de rentes, sans compter une maison à lui, bien étoffée et où rien ne manque.
THÉRÈSE
Ce sera donc chez lui, ma chère maman, que j’irai loger ?
Mme DE SE…
Oui, avec sa mère, qui y demeure.
THÉRÈSE
Quoi ! il y a une mère ?
Mme DE SE…
Oui, sans doute, et qui jouit, pour son préciput et pour son douaire, d’une partie de ce bien-là.
THÉRÈSE
Elle sera donc la maîtresse de cette maison et non pas moi ?
Mme DE SE…
Vous serez toujours regardée comme telle, aux soins du ménage près, dont elle consent à se charger, et cela même ma fille, est un bonheur pour vous.
THÉRÈSE
Mais, ma chère maman, si cette dame-là prétend me traiter comme une petite fille ?
Mme DE SE…
Non, mon enfant, elle vous traitera bien ; et pour peu que vous ayez de bonnes façons avec elle, vous vous en ferez adorer ; c’est une femme, d’ailleurs, de beaucoup d’esprit et qui a toujours vécu dans la meilleure compagnie de Paris ; elle vous y produira ; vous y trouverez avec elle tous les agréments possibles, et je suis sûre que six mois de liaison avec elle vous formeront l’esprit et le caractère, au point que vous-même vous ne vous reconnaîtrez pas.
THÉRÈSE
Mais, ma chère maman, M. le comte de… est-il homme de guerre ?
Mme DE SE…
Oui, ma fille ; du moins, il n’y a pas longtemps qu’il l’était encore.
THÉRÈSE
Et pourquoi a-t-il quitté ?
Mme DE SE…
Il était depuis dix ans capitaine de cavalerie, sans pouvoir obtenir l’agrément d’un régiment ; il s’en est lassé ; la paix est venue, il a remercié. Je ne vous dis rien de sa figure, parce qu’il n’y a ni bien ni mal à en dire, et vous en jugerez vous-même dans le moment, car je l’attends ici.
THÉRÈSE
Comment ! ma chère maman, vous m’allez exposer tout à l’heure à le voir ! En vérité, j’en frissonne. J’aurai honte devant lui ; je n’aurai pas seulement la force de lui parler. Ah ! je vous en prie, qu’il remette sa visite à une autre fois, qu’il me donne le temps de m’y préparer, qu’il vienne dans un mois, à la bonne heure ! mais, à présent, je n’oserais pas soutenir sa présence.
Mme DE SE…
Dans un mois, ma fille ! Eh ! vous serez mariée dans huit jours. Tout est convenu entre lui et moi ; il n’y a plus qu’à signer les articles, qu’à vous fiancer ensuite et vous mener à l’église. Je ne compte pas vous laisser plus de cinq à six jours dans ce couvent ; pendant ce temps-là, que je vous donne encore, il faut que vous trouviez bon que M. le comte de… vienne tous les jours dans ce parloir passer une heure avec vous afin que vous vous connaissiez. Et je vous conseille, ma fille, de surmonter cette petite honte qui vous tient et de ne point observer devant lui de si grandes réserves. Lorsqu’on est destiné à vivre ensemble, il n’y a pas un moment à perdre pour se connaître et pour s’aimer. Faites la conversation, interrogez, répondez, raisonnez sur toutes choses avec lui ; cette marque de confiance de votre part le flattera et lui persuadera que vous le voyez sans dégoût et sans répugnance ; il vous en saura gré ; il s’attachera à vous plus volontiers et plus vite et, à tous égards, vous vous en trouverez mieux.
THÉRÈSE
Mais, ma chère maman, me trouvez-vous assez bien mise pour paraître devant lui ?
Mme DE SE…
Très bien, ma fille, beaucoup mieux qu’à votre ordinaire ; il n’y a que ce fichu de mousseline qui me déplaît sur votre cou ; tenez, je vais le prendre ; mettez le mien.
THÉRÈSE
Ma chère maman, il est trop beau.
Mme DE SE…
Mettez, mettez, ma fille… Bon ! il vous sied à merveille.
THÉRÈSE
Il ne me cache pas la gorge. Vraiment, si notre maîtresse me voyait comme cela, elle me gronderait.
Mme DE SE…
Mais non, mon enfant. Vous dites que vous êtes si jeune ! Remarquez que vous en avez, de la gorge ; voilà vraiment votre sein qui commence à se former. Cela vous réjouit ! Bon ! ma fille, souriez : vous avez le sourire agréable. Vous ne le saviez peut-être pas ?
THÉRÈSE
Je voudrais bien, ma chère maman, l’avoir aussi aimable que vous… J’entends du bruit…
Mme DE SE…
C’est apparemment lui. Tenez-vous, ma fille, sur votre chaise, de bonne grâce. Levez donc la tête. Prenez un maintien convenable, un air aisé.
THÉRÈSE
Ah ! ma chère maman, je n’en puis plus, j’étouffe.
Mme DE SE…
Quoi ! que craignez-vous ? Ne suis-je pas ici entre vous deux ?… Ah ! c’est M. le comte.