Dialogue IV
M. Le comte de…, Mme de Se…, Thérèse
Mme DE SE…
Tenez, monsieur, voulez-vous m’en croire ? Abrégeons les révérences et surtout les compliments, qui vous mettraient tous deux fort mal à votre aise. Voilà ma fille, que je vous présente au travers d’une grille. On vous a dit dans le monde qu’elle était si belle ; eh bien, voilà pourtant tout ce que c’est.
M. LE COMTE
Madame…
Mme DE SE…
Je lui ai appris que vous lui faisiez l’honneur de la demander en mariage : je trouve en elle, sur cela, tous les sentiments d’une fille bien née et toute la raison qu’on en peut attendre. Allez, allez, je ne crois pas qu’elle vous refuse son consentement.
M. LE COMTE
Madame, vous savez que je le désirais ardemment sur la seule réputation de mademoiselle ; mais, présentement que j’ai l’honneur de la voir admirable et charmante comme elle est, je vous avouerai que tout le bonheur de ma vie en dépend. J’ai un reproche à me faire là-dessus, que pourtant je ne mérite pas, c’est de ne m’être point mis à portée de rendre mes respects plus tôt à mademoiselle et d’acquérir, par une suite de temps, ses bontés et sa bienveillance. C’est bien à cela du moins que je compte appliquer tous les soins de ma vie. Je serais trop indigne de l’honneur que mademoiselle veut bien me faire si je manquais à la rendre la plus heureuse de toutes les femmes.
Mme DE SE…
Eh bien ! ma fille, consentez-vous à être heureuse ?
THÉRÈSE
Ma chère maman…
Mme DE SE…
Répondez donc et regardez-nous.
THÉRÈSE
Je ne consens à rien et je me soumets à tout.
M. LE COMTE
Vous avez raison, mademoiselle ; il y aurait de la barbarie à exiger de vous ce consentement, qui fait l’objet de tous mes vœux, au moment même où je vous rends mes premiers hommages ; mais ne les rebutez pas, je vous demande en grâce, et ne vous refusez point à connaître la pureté de mes sentiments : tôt ou tard, je les rendrai dignes des vôtres, et c’est à cela que je borne toute mon ambition.
THÉRÈSE
Monsieur, je vous demande pardon si je ne réponds pas aussi bien que je le devrais à ce que vous me faites l’honneur de me dire. Je suis toute confuse, tout interdite ; ma chère maman ne m’avait point préparée à un aussi grand évènement : pour moi, je n’en avais point la moindre idée ; j’en suis frappée comme d’un coup de foudre.
Mme DE SE…
Quoi ! ma fille, êtes-vous fâchée que nous soyons venus vous surprendre ainsi ?
THÉRÈSE
Non, ma chère maman.
Mme DE SE…
Vous en êtes donc bien aise, car il faut opter… Tenez, monsieur le comte, la voilà qui sourit.
M. LE COMTE
Oh ! madame, ce sourire me transporte ; me voilà dans l’excès de la joie de sentir que mademoiselle me voit ici et que cela ne lui déplaît pas ; sans cette malheureuse grille, je me jetterais tout à l’heure à ses pieds.
Mme DE SE…
Non, vous ne prendrez pas tant de peine… Ma fille, passez-moi votre main… Tenez, monsieur, voilà la main de ma fille !
THÉRÈSE
Ma chère maman, donnez-moi la vôtre, que je la b***e aussi.
M. LE COMTE
Vous me la retirez, mademoiselle !
Mme DE SE…
Demain, après-demain, elle aura plus de confiance. Oh ! ça, monsieur le comte, dès que les choses en sont à ce point-là, nous ne saurions trop tôt finir.
M. LE COMTE
Madame, vous savez que de ma part tout est fini et que si vous voulez, dès demain…
Mme DE SE…
Non, j’ai dit à ma fille qu’elle demeurerait encore six jours ici. Je veux, premièrement, qu’elle vous y voie et qu’elle se familiarise avec vous… Il vous faut de plus le temps de faire faire son linge, ses robes ; vous lui en donnez de si magnifiques et en si grand nombre que cela ne saurait être prêt si tôt… Ma fille, monsieur vous a choisi lui-même des boucles, un collier, une aigrette. Mais ce sont les plus beaux diamants du monde !
M. LE COMTE
Vous vous moquez, madame ; je ne les trouve pas aussi dignes qu’il faudrait : j’entends bien aussi que ce n’est que pour entrer en ménage. Ce qu’il y a de certain, c’est que parures, équipages, amusements de toute sorte, tout sera aux ordres de mademoiselle. Je veux et j’entends qu’elle dispose de toutes choses comme moi.
Mme DE SE…
Voilà, ma fille, l’époux que je vous donne, le plus aimable et le plus généreux de tous les hommes. Vous voyez que le bonheur de votre vie est entre vos mains, et qu’en rendant à votre mari tous les égards qui lui sont dus et en observant avec lui une conduite sans reproche, comme j’en réponds et comme j’en suis bien sûre, vous jouirez d’un état qui sera digne d’envie. Monsieur, votre premier appartement n’est-il pas en état ?
M. LE COMTE
Oui, madame, il y a plus de quinze jours.
Mme DE SE…
Vous voulez donc absolument que la noce soit faite chez vous et que ma fille y reste dès le même jour ?
M. LE COMTE
Madame, c’est ma mère qui le veut et qui se meurt d’envie d’en faire la fête, à moins que mademoiselle ne veuille en décider autrement.
THÉRÈSE
Monsieur, je ne sais point encore ce que c’est que d’avoir une volonté, et si jamais il m’en vient une, je vous réponds bien qu’elle sera favorable à ce que vous pouvez souhaiter de moi.
Mme DE SE…
Au reste, ma fille, je vous avertis que j’ai vu la mère prieure, que je lui ai confié à elle toute seule le secret de votre mariage. Mais je vous recommande très fort de n’en rien dire à personne dans ce couvent, surtout à vos petites camarades. Cela occasionnerait des caquets inutiles, et il sera assez temps de leur en apprendre la nouvelle en leur disant adieu.
THÉRÈSE
Il y en a quelques-unes, ma chère maman, qui me suivront de près, et heureusement, ce sont mes bonnes amies.
Mme DE SE…
Ah ! ah ! et qui donc ?
THÉRÈSE
Mlle de Ri…, que nous appelons Auguste, et Mlle d’A…, que nous nommons Rose.
Mme DE SE…
Sont-elles de même âge que vous ?
THÉRÈSE
À peu près.
Mme DE SE…
Et comment savent-elles cela ?
THÉRÈSE
C’est qu’elles y pensent et que je crois qu’on les en a prévenues. Ce n’est pas comme moi, qui ne pensais à rien moins il y a une heure.
Mme DE SE…
J’avais mes raisons, ma fille ; je voulais, avant toutes choses, convenir avec monsieur et prendre mes arrangements avec lui, afin de vous parler de cela comme d’une chose finie et vous épargner des inquiétudes que des affaires incertaines occasionnent toujours.
M. LE COMTE
Je vous avouerai, mademoiselle, que je n’ai point pressé là-dessus madame votre mère, et que je n’envisageais qu’en tremblant le moment où l’on vous parlerait de moi, dans l’appréhension mortelle où j’étais que vos dispositions ne fussent pas aussi favorables que j’avais à le désirer.
THÉRÈSE
Vous ne vous rendiez pas justice alors, monsieur ; mais présentement, je crois que vous nous la rendez à tous deux.
M. LE COMTE
Oui, je vous la rends, mademoiselle, car je vous trouve adorable.
Mme DE SE…
Oh ! çà, nous avons bien des affaires ; allons-nous-en.
THÉRÈSE
Quoi ! déjà, ma chère maman ?
Mme DE SE…
C’en est assez pour une première entrevue ; mais, puisque celle-ci ne vous déplaît point, il y en aura d’autres, et pendant toute cette semaine, monsieur vous rendra des visites plus longues ; ce sera vous alors qui en ferez la règle et la durée. Adieu mon enfant.
M. LE COMTE
Mademoiselle, que deviendrai-je ce soir, cette nuit, puisqu’il faut que tout cela passe avant qu’il me soit permis de vous revoir !
THÉRÈSE
Demain, monsieur, à l’heure qui vous plaira.
M. LE COMTE
Mademoiselle, que ce soit dès le matin.
THÉRÈSE
Très volontiers. Adieu, adieu, ma chère maman.