Dialogue Ier
LA MÈRE
Qu’est ceci, ma fille ? À peine êtes-vous hors de table que vous vous mettez à votre toilette, sans vous donner le temps de prendre votre récréation !
THÉRÈSE
Il est vrai, ma mère, que je suis entrée tout de suite dans ma chambre pour m’habiller ; c’est qu’on m’a dit que ma chère maman pourrait bien venir me voir cette après-midi.
LA MÈRE
Non, ma fille, elle ne viendra point ; j’en suis très sûre, elle me l’a mandé.
THÉRÈSE
N’importe, ma mère, puisque j’y suis, permettez que j’achève, quand ce ne serait que pour montrer à ma gouvernante, lorsqu’elle rentrera, que je sais bien, quand elle est absente, me passer d’elle et me coiffer toute seule.
LA MÈRE
Je vous trouve, ma fille, un air de contentement répandu sur tout votre joli visage.
THÉRÈSE
Cela doit bien vous prouver, ma mère, le plaisir que j’ai de vous voir.
LA MÈRE
J’ai bien peur que cela ne serve à prouver toute autre chose. Vous ne voulez point de nous, ma chère fille, vous ne songez qu’à nous quitter. J’avais invoqué notre saint fondateur ; je l’avais prié de vous appeler à lui, de vous inspirer le dessein d’embrasser sa règle. Soit qu’il n’ait pas voulu m’exaucer, soit que vous n’ayez pas voulu l’entendre, je m’aperçois déjà depuis quelque temps que vous vous éloignez de ce chemin-là et que les mauvais conseils qu’on vous donne aboutiront enfin à vous jeter dans les abîmes du grand monde.
THÉRÈSE
Hélas ! ma mère, je n’ai point de conseils à écouter là-dessus, je n’ai que des ordres à suivre, et ma chère maman fera de moi ce qu’elle voudra.
LA MÈRE
Vous n’auriez pas cette résignation, ma fille, si vous n’étiez bien assurée des sentiments de madame votre mère. Eh ! je les comprends aisément ; elle voudra vous avoir auprès d’elle et faire de vous une mondaine ; elle n’a pas, d’autres exemples devant les yeux ; elle ne connaît que la vie profane et ses délices ; elle compte pour rien les écueils qui s’y trouvent et le tourment qu’on y endure par toutes les effroyables passions dont on est agité ; elle y goûte peut-être de faux plaisirs qu’elle croit véritables. Tel est l’aveuglement des femmes du siècle, qui ne se font aucune idée des suavités de la vie religieuse et qui ne savent pas que si nous nous imposons des privations temporelles, nous en sommes dédommagées au centuple par les consolations intérieures que goûte une âme bien épurée, mais surtout par ces ineffables jouissances spirituelles devant lesquelles toutes les choses terrestres ne sont dignes que de mépris. Montez sur le Thabor, ma fille, et voyez en esprit ce qui se passe dans le monde d’ici-bas. Vous y apercevrez l’envie, la haine, la discorde, en un mot le péché, Satan lui-même, déguisé sous toutes les formes imaginables, s’emparant des cœurs et des esprits des hommes et les entraînant tous dans le chemin de la perdition. Vous y verrez des avares refuser de faire part de leurs richesses aux plus nécessiteux ; vous y verrez des ambitieux sacrifier leurs meilleurs amis pour marcher à la fortune ; ici, ce sera un mari jaloux, surprenant sa femme en adultère et lui ôtant la vie ; là, ce sera une femme abandonnée par un mari qui la laisse manquer du nécessaire.
THÉRÈSE
Ma mère, vous me faites frayeur ; finissez, de grâce.
LA MÈRE
Eh bien ! ma fille, quittez ces vilains objets ; rentrez parmi nous ; vous y verrez régner une charité chrétienne qui nous inspire et nous guide en tout ; une concorde, une affection tendre et réciproque, parmi des amusements choisis, et qui sont toujours sans reproches.
THÉRÈSE
Oui, ma mère, je connais, et par mon expérience, combien on est heureux dans cette maison. Je vous avouerai même que j’y suis si bien accoutumée que, s’il me fallait en sortir, je ne sais pas comment je pourrais me priver de voir tout ce qu’elle renferme, tant je me sens portée d’inclination pour toutes nos mères et pour la plupart des pensionnaires.
LA MÈRE
Tout de bon, mon enfant, ma chère enfant, auriez-vous du goût pour la maison ? Ah ! que vous y seriez aimée et caressée, et que nous en ferions de belles fêtes ! Ah ! ma chère fille, où est-on mieux qu’aux lieux où l’on nous aime ? Et quand c’est le bon Dieu qui nous aime, où est-on mieux qu’avec lui ? C’est ici sa maison, vous y êtes et vous ne serez vraiment heureuse nulle part comme ici.
THÉRÈSE
Ma mère, en vérité, je le pense de même.
LA MÈRE
Dieu soit béni ! ma chère fille, c’est lui qui vous inspire. Rendez-lui grâces, faites-lui une courte prière ; je vous demande, après cela, une demi-heure de méditation, puis je reviendrai vous rejoindre ici ; ou, si le ciel permet que vous ayez quelque chose de positif à me dire, je m’en vais dans ma chambre ; je vous y attendrai à genoux devant l’image de notre grand saint Augustin.