II

3305 Words
II Au jour naissant, le Vésuve, élevant ses gerbes de flamme comme pour signaler l’entrée des Français à Naples, réveilla d’Hauteville. Mais il fût moins étonné de ce prestigieux spectacle qu’il ne fut touché de la paix subite des campagnes qui l’environnaient, après les tumultes de la guerre et ces résistances dont il avait fallu triompher la veille. Du verger où il était descendu aux premières lueurs de l’aube, il put admirer l’horizon étendu sous ses yeux, voir ces plaines où le coton d’Asie était déjà cultivé, quelques citronniers en fleur, des châtaigniers, et le reste de ce pays qui ressemble à une longue forêt parsemée de petites villes. C’est aux abords des eaux si claires de ce rivage que les habitants disparus d’Herculanum avaient placé leurs sirènes. Le temps a détruit les autres que les sirènes s’étaient creusées sous ces dunes escarpées ; la mer a depuis envahi de même les quais et une voie romaine ; mais, quand ces eaux bleuâtres ne sont ni agitées ni ternies, l’œil du voyageur retrouve quelquefois ces ouvrages de l’homme à une grande profondeur sous les flots du golfe. D’Hauteville songeait à ces rapides successions du temps, à l’Homère italien qui forma sur ce sol l’imagination qui devait l’immortaliser et le perdre ; sa pensée errait surtout vers les souvenirs de la France, quand un fruit tomba à ses pieds du haut d’un figuier. Son agresseur était Camille. Assise sur l’un des rameaux fourchus de l’arbre, elle tenait sur ses genoux un livre, et le capitaine ne fut pas peu surpris de reconnaître, en s’approchant d’elle, que ce livre était un de ceux qui lui appartenaient et qu’il abandonnait rarement le troisième volume de l’Émile. Camille assura, toutefois, qu’elle ne comprenait point le français ; mais en peu de jours il s’établit entre l’officier et l’enfant naïve, qui s’offrait en tous lieux pour être son compagnon, une de ces intimités, une de ces chastes libertés de rapports qui excluent tout danger, tout soupçon, comme toute gêne. D’Hauteville, souvent triste et désintéressé de tout, ne pouvait cependant s’empêcher de sourire quelquefois à l’ardeur de Camille pour les exercices du corps et tous les périlleux plaisirs. S’il errait le soir dans une barque autour de ces rivages à pic qui soutiennent les murs de Sorrente, Camille était mêlée aux personnes qui l’accompagnaient. C’était elle qui allumait sur la proue un de ces brasiers, sorte de phares errants par lesquels les pêcheurs napolitains attirent leur proie ; et souvent une espèce de trident à la main, elle s’efforçait comme eux de percer le poisson ébloui qui s’approchait de la barque. Dans ses courses à cheval, le capitaine se croyait-il suivi de son chasseur, c’était encore Camille qui pressait souvent les flancs de l’autre coursier et qui devançait tout à coup, en poussant de folâtres rires, celui qu’elle appelait son camarade avec une familiarité toute pleine de candeur. Lillo se prêtait sans peine à ces fantaisies, que les mœurs italiennes admettent mieux que les nôtres. Souvent, dans leurs Voyages de montagnes ou dans les traversées, lui-même avait fait revêtir à Camille des habits d’homme, et il attribuait à cette espèce d’habitude ce que son caractère montrait d’aventureux et de décidé. Bientôt le jeûne Français et ses deux hôtes semblèrent ne former qu’une famille, tant les sentiments politiques de d’Hauteville convenaient à Lillo, et tant Camille prenait de goût pour lui à cause de son intarissable complaisance. Ils firent de fréquents voyages à Naples, et les amis du Sicilien devinrent promptement d’affectueuses connaissances pour le Français. Une des personnes qu’il visitait souvent était cette fameuse Éléonore Pimentalé qui fut peintre, improvisatrice, et mérita une troisième renommée en tombant victime de son dévouement pour une noble cause. Déjà elle s’était enfermée au château Saint-Elme pour n’en sortir que victorieuse où morte, et les sentiments les plus vifs, les plus généreux, exprimés alors dans le Moniteur napolitain, passaient pour être les inspirations de sa plume. Chez elle, on se réunissait après les solennités du jour, soit au sortir de ces assemblées sur le largo San-Spirito, où le peuple avait élevé un pavillon national, soit après avoir entendu des hymnes autour de quelque peuplier, devenu, comme en France, le symbole d’une liberté orageuse. C’était là que, chaque soir, venaient ces femmes brillantes de grâces, des hommes jeunes et confiants qui voulaient régénérer un peuple. En les voyant s’enivrer de leurs espérances, sourire de leurs propres vertus, parler de l’avenir avec orgueil, d’Hauteville pensait quelquefois aux retours du sort, dont la révolution de son pays avait fourni tant d’exemples. En voyant quelle vive gaieté animait Hector Carafia, Granall, Torilla, Cimarosa, Velasco écoutant Vitagliani, qui, les yeux fixés sur les flots, laissait là dans l’embrasure d’une croisée ouverte errer ses doigts sur la guitare ; en admirant plus loin Nicolo Palumba dessinant des fleurs sur un album, il ne pouvait écarter quelques sinistres pressentiments. – Si une voix prophétique, disait-il à Éléonore, venait tout à coup révéler à chacun de nous sa destinée, que l’aspect de votre salon changerait ! Peut-être des confidences à moitié faites se glaceraient-elles dans les cœurs. Que de sourires s’effaceraient ! ou bien, des mains timides étreintes, se cherchant alors comme pour se défendre que d’aveux retenus s’échapperaient dans un cri de détresse ! – Je crois, lui répondait l’artiste, que Logotello ou Neri désireraient que ce voilé de leur avenir se déchirât, quelque tableau qu’il pût montrer, ne fût-ce que pour obtenir de la fière Juliette ou de la marquise de Pescaire cette attention qu’ils sollicitent en vain et voir une teinte de pâleur sur le front qu’ils adorent. Puis, combattant par un sourire ces noires idées : – Dieu, ajoutait-elle, nous a fermé la connaissance des jours futurs, et cette ignorance est un de ses bienfaits. Qui voudrait de sa vie s’il la connaissait tout entière ? Le mystère en est le charme : « Hier était affreux, aujourd’hui n’est pas beau ; mais demain !… » Et notre tâche ici-bas s’achève. Plusieurs fois d’Hauteville avait témoigné une vive curiosité de savoir ce qu’était Naples avant l’arrivée des Français et de juger, par un tableau fidèle, des mœurs et de l’esprit des princes qui avaient abandonné ce beau pays sans le défendre. On résolut de satisfaire ce besoin de vérité historique qui dominait son caractère ; on se prépara à lui donner satisfaction par quelques improvisations dramatiques, où devait briller toute la verve napolitaine avec son naturel, ses charges bouffonnes et tout son entraînement communicatif. Un soir donc que les hôtes de Sorrente avaient été particulièrement priés de se rendre à Naples, ils trouvèrent dans les salons d’Éléonore une espèce de théâtre, et on les avertit que la tragédie demi-sérieuse qui allait être jouée à leur bénéfice était intitulée Histoire de la cour, ou les Phases de la légitimité. Le rideau levé, le théâtre représenta le cabinet du feu roi. Là, un courtisan marchandait et achetait, pour cinquante mille onces d’or, la charge de précepteur de l’héritier du trône. Ce personnage était le prince de Saint-Nicandre, qui fut représenté avec des mouches et du rouge. Il se mit sur-le-champ à l’éducation de son disciple, et ce fut une chose risible à la fois et digne de pitié que d’entendre les instructions qu’il lui donnait : – Mon fils, voici une patte de héron qu’il faudra porter à votre boutonnière quand vous irez à la chasse ou à la pêche. Ne négligez point non plus d’avoir toujours sur vous une corne, et, si ce préservatif vient à vous manquer par négligence de votre valet de chambre, repliez sur eux-mêmes le pouce et les deux doigts du milieu de votre main gauche, afin de former cette figure de corne avec l’index et le petit doigt, toutes les fois qu’un homme inconnu s’approchera de vous pour vous parler. De cette manière, vous éviterez les maléfices. Les cornés sont faites pour crever les yeux de l’envie. « Si, en montrant cette défiance, vous craignez de blesser la personne que vous admettez à l’honneur de votre présence, cachez votre main derrière le dos ou sous le pan de votre habit plutôt que de manquer à prendre les précautions que je vous indique. Je vous donne cette petite cloche que j’ai autrefois dérobée moi-même, au trésor de Notre. Dame-de-Lorette : il suffira que vous l’agitiez pendant l’orage, en parcourant vos appartements, pour empêcher le tonnerre de jamais tomber sur le palais de Votre Majesté. » L’enfant écouta avec docilité ces préceptes, et on lui permit ensuite, parce qu’il avait été sage, de se livrer à ses récréations ordinaires : ce fut d’écorcher des lapins, d’assommer d’innocents lièvres à coups de bâton ou de faire berner dans une couverture des chiens, des chats et même des laquais, aux éclats de rire de Saint-Nicandre, du roi futur et de ses familiers. Puis, continuant cette manière de proverbe, ou, comme on eût dit en France à la même époque, cette espèce de charade en action, on vit venir un courrier du cabinet espagnol monté sur un bambou. Il apportait à Ferdinand IV une lettre de Charles III, son illustre père. On envoya chercher un religieux pour en connaître le contenu, car l’élève ni le maître ne savaient lire, et cette missive toute diplomatique mit fin aux amusements du maître des Deux-Siciles. Elle lui défendait de berner désormais autre chose que des animaux à quatre pieds. Sa Majesté, exceptant même les chiens, à cause de leur utilité pour la chasse, les prenait sous sa protection catholique et royale. – Historique ! historique ! s’écria plusieurs fois Lillo pendant le cours de ces scènes rapides, qui formèrent le premier acte d’un drame qui devait en avoir quatre autres. La scène changea rapidement à la manière de Shakespeare, et l’enfant qui avait représenté Ferdinand vint, après avoir fait place à un jeune homme chargé de poursuivre ce rôle, se reposer sur les genoux d’Éleonore, qui lui donna mille bonbons parce qu’il ne ressemblait nullement au personnage qu’il avait joué. – Qu’est-ce que c’est que cela ? demanda Camille à la vue d’une décoration nouvelle. – Un bosquet des jardins de Caserte : l’amoureux Ferdinand attend sa fiancée en pêchant des grenouilles, et vous allez voir le châle qu’on vous a emprunté tout à l’heure embellir une archiduchesse d’Autriche. En effet, Granali, des plumes sur sa tête, un éventail à la main, parut en archiduchesse d’Autriche, et on reconnut Caroline à l’habitude que singea l’acteur de mordre continuellement ses lèvres pour en ranimer le vermillon. On passa brusquement les cérémonies du mariage, et après la première entrevue particulière, qui fut grotesque, on vit Ferdinand IV épeler les lettres, de l’alphabet sous la direction de sa pédante épouse. Le roi sut lire au troisième acte. Là, cet époux de vingt-cinq ans livrait à sa chaste moitié, avec tous les lazzi de l’avarice, l’argent qu’elle destinait à payer les équipages de ses favoris ou les dettes d’honneur qu’ils avaient contractées au pharaon et dans les baseras. Le général Acton reçut la plus riche bourse ; le duc della Regina, la seconde ; la troisième fut donnée à Pic d’Anceni, l’homme le plus stupide de la Calabre, mais le patron des danseurs de Saint-Charles, l’inventeur ou l’introducteur des ballets en Italie. Cet Hercule de coulisses fut copié dans ses discours et ses gestes avec un rare talent d’imitation par l’avocat Palmieri. Ce fut un tableau qui tenta les crayons de d’Hauteville, que celui que formaient Caroline et ce groupe dans un angle du cabinet où se tenait le conseil : une main de la reine était dans celle d’Acton, si reconnaissable à son encolure de pirate ; un de ses pieds pressait le pied du danseur, et, d’un œil lubrique, elle indiquait sur une pendule au duc della Regina l’heure à laquelle l’introduirait la camérière. Mais la voilà en tête-à-tête avec son royal époux : – Ma chère maîtresse, disait l’innocent disciple, fais-moi le plaisir de déchiffrer pour moi ce petit papier doré. Je ne sais pas lire l’écriture bien, couramment, et je soupçonne que celle-là m’est venue, de la part de la duchesse de Lusciano. – Et vous me prenez, sire, pour la confidente de vos infidélités ? – Je n’en ai point commis ; mais je m’ennuie quelquefois, et j’ai résolu d’accepter de ta main une petite distraction. – Ce ne sera pas celle-là, dit Caroline après avoir parcouru le billet. Effrontée ! elle feint la passion, vous propose à Venafio un rendez-vous et refusé vos présents ! C’est une intrigante. – Tu crois, ma pauvre Caroline ? – Sire, il faut l’exiler. – Attendons quelques mois. – Vous balancez ? Vous n’êtes pas digne de la jalousie qu’on a pour vous. – Je l’exilerai si tu veux ; mais que me restera-t-il ? Je ne connais qu’une seule femme dans ma cour qui m’ait donné de ces idées-là. – Eh bien ? – Mais celle-là est vertueuse. – Impertinente ! Et quelle est-elle ? – Son nom ne fait rien à l’affaire. – Je le veux savoir. – Ne te fâche point : c’est la duchesse de Cassano-Serra ; mais garde-moi le secret. – Refuser Votre Majesté ! C’est un affront que vous ne pouvez souffrir. La Serra affecte sans doute des mœurs pour vous humilier ! Sire, elle aussi a mérité… – L’exil peut-être ? – Précisément. C’est une ambitieuse. Débarrassez-vous de ces deux personnes. Le roi traça docilement son nom en lettres de trois pouces de longueur au bas d’une espèce d’ordre que rédigea la reine, et celle-ci, fière de la double victoire qu’elle venait de remporter, continua : – Sire, pendant que tu es en train de rendre la justice, pourquoi n’envoies-tu pas aussi vivre un peu dans ses terres ton marquis d’Alta-Villa ? – Mauvaise plaisanterie, madame : Alta-Villa est un homme essentiel, un des plus utiles soutiens de la monarchie. – Est-ce parce qu’il prend mieux qu’un autre des grives au Roccolo, ou qu’il contrefait le cri d’un marcassin pour attirer les sangliers ? – Ne vous raillez pas de mes plaisirs : est-ce que je trouble les vôtres ? – Mais Alta-Villa est un porteur de caducée, et le protéger, c’est avouer des turpitudes. – Tais-toi, mes amours. – Sire, vous êtes un niais. Et la conversation s’anima de telle sorte, que tous deux parlèrent en ce patois du môle, de la plus vile, de la plus basse, de la plus criarde espèce, et jusque-là que Ferdinand, levant la main sur son interlocutrice, allait laisser tomber un soufflet royal ; mais un souvenir l’arrêta : – Si tu ne m’avais pas appris à lire, dit-il, je te ferais mourir sous le bâton. Le pédagogue femelle s’éclipsa en tirant la langue à son auguste époux et emporta pour consolation le double exil de ses rivales. Cette reine si susceptible en matière de vertus de cour, cette fille de César, qui crut déroger en montant sur un petit trône d’Italie, on la vit, au quatrième acte, accueillir dans ses intimités une courtisane : c’était lady Hamilton, effrontément épousée par le vieil ambassadeur d’Angleterre : À la vérité, l’amiral Nelson était son amant public. Le nouveau scandale excusait l’ancien, et l’adultère rehaussait singulièrement ce mariage. Un geste, un coup d’œil, commencèrent l’intelligence entre ces deux cœurs féminins : un billet tombé devant le roi allait compromettre Caroline, l’Anglaise, sollicitée par un regard de la reine, avait su rougir à propos et redemander pour elle-même cette lettre. – J’ai vu cela de mes propres yeux, disait Torilla pendant qu’on représentait la scène. D’abord complices, elles devinrent bientôt amies, et cette fière lady n’a jamais pu me pardonner, à moi, de m’être souvenu qu’à Rome je l’avais admirée sans aucun voile quand, sous le nom d’Emma Lionna, elle servait de modèle dans un atelier de peinture. – Voilà, voilà la marée fraîche ! Achetez, messieurs, les canolichi de Procida, les trilles et les ancines pêchés cette nuit même au cap de Misène ! Ces cris annoncèrent le nouveau roi des Deux-Siciles. Le lieu de la scène devint le quai de la Margeline, et, du milieu d’un groupe de lazzuroni disputant grain à grain sur le prix de chaque palaïa, on distingua des altercations bizarres : – Est-ce que Ta Majesté ne sait pas que les huîtres sont diminuées depuis le règne de Masaniello ? – Oui, mon galant homme, et les cordes renchéries. – Quand tu es de mauvaise humeur, tu nous vends plus cher. Est-ce notre faute, à nous, si la lamproie fraye quelquefois avec le menu fretin ? – Laisse-la faire ; cela croise les races. – Comment se portent ta femme et le général Acton ? – Il ne s’agit point de mes amis ; achète-moi mes huîtres. – Et ce capitonné, combien, sire ? – Deux paules. – Autant que tu as de couronnes ? – Pourquoi n’en aurai-je pas deux ? Notre saint-père le pape en a bien trois ! – Veux-tu me vendre ton royaume par-dessus le marché ? – Prends mes huîtres, imbécile ; celles-là sont parquées dans les réservoirs de Fusaro : elles ne t’échapperont pas. – Oh ! pour le coup, interrompit d’Hauteville, voilà de l’invraisemblable et de la caricature, mes amis. Vous tombez dans le bas comique, et il vous faudrait le masque d’el signor Pulchinella pour autoriser de pareils discours. – Copie exacte, propres paroles entendues de la bouche du roi, répondit son représentant, abandonnant tout à coup son rôle pour celui d’avocat de la vérité, et l’intérêt de l’illusion pour l’intérêt de l’histoire. – Voilà comme on ne comprend point notre bonheur dans les autres pays de l’Europe ! Notre prince, à nous, s’est rarement essayé dans le langage et les mœurs de quelques classes privilégiées ; il ne sympathisait qu’avec les gens du môle et des faubourgs : c’est un monarque littéralement populaire. Combien de fois n’ai-je pas entendu les acheteurs finir avec lui les altercations par une injure qu’il feignait toujours de ne pas entendre ! – Comment l’appelait-on ? demanda aussitôt le parterre. – Scaldaletto di Cristo. Et le salon demi-aristocratique-imita la gaieté de la mauvaise compagnie. Pour tâcher de comprendre cette allusion grossière, intraduisible en français autrement que par bassinoire ou chaufferette du Christ, il faut se souvenir que le Sauveur du monde, né en hiver dans une étable, y fut réchauffé par la présence de deux animaux dont l’un avait de grandes oreilles et l’autre de fort grandes cornes. Mais déjà le cinquième acte, la péripétie et le dénouement s’avancent. Il s’agit de déclarer la guerre aux Français : le bon sens de Ferdinand s’y oppose ; le conseil assemblé hésite encore. Qui décidera cette grave question ? Entendez-vous siffler sous les fenêtres du palais ? C’est le signal que le premier veneur a promis de donner si une pose d’oiseaux rares s’arrêtait sur les pins de Portici ou dans les rochers de la côté. Le pauvre roi s’agite sur son-fauteuil, où il tient encore bon ; mais Caroline à tout prévu : les sons du cor de chasse, les abois de la meute ont retenti. Adieu le conseil, le roi s’élance ; le manifeste tout rédigé est rendu public, et le courrier qui le porte est parti. Voici le bataillon surnommé Macédonien rencontré par le roi au sortir des portes de Naples. – Où allez-vous donc, mes enfants ? – Sire, au-devant des Français. – Allez, mes braves, et vous serez bien étrillés ! Ils vous arrangeront, soyez tranquilles. Déjà, en effet, l’armée revient de Rome. Ces héros qui, arrivés sur la frontière et apercevant Terracine au-delà, s’étaient écriés : « Ah ! que le monde est grand ! » ces conquérants qui demandaient encore hier à Viterbe, si Paris était bien loin, ils n’ont montré à l’ennemi que les basques de leurs vestes à la hongroise et la giberne couverte de toile cirée, peinte en peau de tigre. – Que vous disais-je ? répétait le roi ; et quand vous me consultiez pour faire rembourrer les uniformes ? Que c’était dans le dos et non sur la poitrine. Mais la peur a gagné tous les esprits. Les matelots anglais viennent charger les meubles sur leurs épaules dans les résidences de Caserte et de la Favorite, tandis que les frégates de l’État la Parthénope, le Guiscard, le San-Joachim sont brûlées dans le port. La fumée entre par toutes les fenêtres. Les épagneuls sont embarqués ; il ne s’agit plus que des enfants. La reine oubliera si elle le peut le moribond duc de Sora, car la sœur de Joseph II désire n’élever que des princesses, afin de faciliter à l’Autriche la succession au trône de Naples. Mais qu’est-ce que Ferdinand peut attendre encore pour partir ? et d’où vient qu’il est reste seul au palais avec l’amiral Nelson ? Il attend de s’être montré sur le balcon royal et d’avoir harangué son peuple. – Napolitains, je demeure au milieu de vous ; je veux partager vos périls, et vous me verrez mourir à votre tête avant qu’on puisse entrer dans cette sainte capitale ! – Bravo ! Vive à jamais notre souverain légitime ! – Amiral illustrissime, vous êtes certain que la retraite est assurée d’ici au vaisseau de mon cousin Georges III ? – Yes, gracious king. – Napolitains, j’ai nommé Pignatelli mon vicaire général ; mais je ne cesserai point moi-même de veiller à votre conservation. – Ainsi soit-il. – Je crois qu’ils se moquent de moi ; allons-nous-en, monsieur le duc. – What says your, Majesty ? – Que je vous fais duc de Bronté si nous nous retirons sains et saufs. – A little patience and dignity ! – Regardez cette canaille qui croit que je suis enchanté d’être l’objet de ses criailleries. Ne feriez-vous pas mieux, fainéants, d’aller essayer à dérouiller vos hallebardes et faire raccommoder vos chausses, si vous en avez ! – Vive le roi, le roi et sainte Marie du mont Carmel ! – Oui, oui ; mais vous crieriez plus fort si on me menait pendre ou si seulement mounsiou Championnat était ici à ma place. Et la Majesté bouffonne se rapprocha alors des balustrades, et, envoyant autour d’elle des baisers au bout de ses doigts : – Je vous méprise comme une troupe de bassets qui a perdu la piste. Enfin, posant une de ses mains sur sa poitrine, tandis qu’elle laissait doucement glisser l’autre le long de ses reins : – Je vous porte tous dans mon cœur, mes enfants. Tout le monde comprit que la farce était jouée. – Une belle et noble chose que le gouvernement d’un seul ! dit Albanèsé. Quand le pouvoir absolu prend la fuite, que nous laisse-t-il ? L’anarchie, le découragement, la discorde… – Tâche de ne jamais savoir ce qu’il rapporte en revenant, dit Logotello.
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