VI - La chambre à coucher

1398 Words
VI La chambre à coucherJe passerai sous silence la description de la chambre à coucher de madame d’Obligny. – Il suffira de savoir que c’était un réduit délicieux, très élégamment et très richement orné, – trop richement peut-être, – mais on ne doit pas perdre de vue que nous sommes chez un financier. L’or brillait de toutes parts, amorti par le velours. Deux bougies seulement brûlaient, odorantes, sur un guéridon. Madame d’Obligny, en galant déshabillé de nuit, lisait, étendue dans une chaise longue et les pieds chaussés de ravissantes petites mules satin et argent. Un mantelet de mousseline claire enveloppait négligemment une taille divine. Un désespoir couleur de rose, agréablement noué sous le menton, couronnait un battant-l’œil sous lequel ses regards se faisaient plus tendres et moins perçants. Ses mouches et son rouge étaient sortis. Ainsi accommodée, au milieu du luxe qui resplendissait autour d’elle, – à cette heure nocturne, – elle était belle à troubler la raison d’un saint ou d’un mari. C’était une grande et blonde femme, aux yeux langoureux, à la peau blanche, au bras irréprochablement sculpté. Sa pose était magnifique, quoiqu’un peu molle. Elle releva doucement le front, au bruit que fit en entrant son mari, accompagné du chevalier de Pimprenelle ; mais elle garda le livre qu’elle tenait à la main, et se contenta de saluer avec un sourire. Rien sur son gracieux visage ne peignait le moindre trouble, n’indiquait la moindre altération. M. d’Obligny se sentit comme interdit à la vue de ce calme parfait, – de cette solitude parfumée et silencieuse. Il promena ses yeux autour de lui. Un moment il crut avoir rêvé, et il eut honte de son rêve. Par malheur, il réussit à s’arracher à cette illusion consolante, et, s’approchant de sa femme : – Mille excuses, madame, lui dit-il d’une voix qu’il tenta de rendre railleuse, si je viens vous déranger de votre lecture. Je n’ai pu résister au désir de vous amener – moi-même – M. le chevalier de Pimprenelle… que voici. Le chevalier s’inclina respectueusement. – Savez-vous bien, madame, continua le financier, que c’est au plus mal à vous de nous dérober de la sorte vos amis, surtout quand il se fait que ce sont précisément les nôtres ? Sans le hasard qui m’a livré cette heureuse découverte, jamais secret d’État n’eût été mieux gardé des deux parts. Madame d’Obligny contempla tour à tour son mari et le chevalier. Puis elle posa le volume sur le guéridon, et, croisant les mains, elle dit machinalement : – Ah ! monsieur est un de mes amis ? Le chevalier, qui regardait les peintures, s’inclina pour la deuxième fois. – Figurez-vous, poursuivit M. d’Obligny après une pause de muette indignation, la rencontre la plus originale, la plus extravagante qu’il soit possible d’imaginer, n’est-ce pas, chevalier ? – Nous soupions ce soir dans sa petite maison, une maison charmante, sur ma parole, lorsqu’au beau milieu du dessert, un grand maladroit de valet… – Comment nommez-vous ce butor, chevalier ? Est-ce que vous n’allez pas le faire bâtonner un peu, en rentrant ? – Certes ! murmura le chevalier de Pimprenelle en fermant le poing. – Lorsque cette espèce, dis-je, nous remet sans crier gare, au milieu de nos brocards et de nos plaisanteries indiscrètes, devinez quoi, madame ? – Je ne devine pas, monsieur, répondit sèchement la jeune femme. – Parbleu ! je le crois bien, pensa le chevalier, qui se mordit la lèvre. – Votre poulet ! – Mon poulet ?… – Tenez, madame, le voici encore – un peu chiffonné, il est vrai – c’est qu’il a passé par plusieurs mains avant de me revenir. Madame d’Obligny tendit le bras avec effort et approcha lentement le papier de la bougie. – Pendant qu’elle en faisait la lecture à voix basse, le financier, blême de fureur, l’examinait avec une surprise sans pareille. Nulle inquiétude ne s’était manifestée sur le visage de sa femme, aucun nuage n’avait passé sur son front pur, pas un signe n’avait altéré la parfaite harmonie de ses traits. C’était l’impassibilité personnifiée, l’immobilité faite chair. – Quand elle eut fini de lire, un sourire erra sur ses lèvres, et elle se prit à regarder plus attentivement le chevalier de Pimprenelle. Le chevalier s’inclina pour la troisième fois. – Eh bien ! madame ? s’écria le mari d’un air tragique, en essayant, – mais en vain, – de croiser ses bras sur son énorme poitrine. – Eh bien ! monsieur ? attendit-elle. – Avouez que cette aventure est au moins curieuse. – Très curieuse, en effet, répéta-t-elle sans détacher les yeux de dessus le chevalier. – C’est inimaginable, se dit celui-ci ; elle n’éclate pas comme je devais m’y attendre ; qu’est-ce que cela cache donc ? – Certes, reprit M. d’Obligny, – en lâchant cette fois les guides à sa verve maritale, – je n’ignorais pas que, depuis bientôt trois semaines, un homme s’introduisait tous les soirs par la porte dérobée de l’hôtel, – que cet homme, qui avait gagné l’un après l’autre tous mes gens, était reçu par vous dans ce même appartement où, en cas d’éveil, il pouvait trouver un refuge dans ce cabinet de toilette ; – que cet homme enfin avait été plusieurs fois aperçu sortant d’ici à la pointe du jour… Mais, par la maugrebleu ! madame, j’avoue que j’étais loin de songer à M. le chevalier de Pimprenelle, – et que j’eusse plutôt incliné pour mon jeune cousin, le vicomte de Trublay ! La jeune femme était devenue, à ces mots, d’une pâleur de marbre, et un tremblement nerveux agita son corps. – Permettez ! permettez ! s’écria le chevalier, qui avait écouté attentivement, et dont les oreilles tintaient au cliquetis de ces dernières paroles ; – qu’est-ce que vous dites donc là, s’il vous plaît ? Vous confondez… Un regard de madame d’Obligny, prompt comme l’éclair, vint clouer sur sa bouche la suite de son apostrophe. – Que voulez-vous dire ? demanda le Mondor. – Recommencez-moi mon histoire, mon cher. Voyons. D’abord, dites-vous, je m’introduis tous les soirs dans votre hôtel par une porte dérobée. – Oui. Germain m’a tout avoué. – Bon. Ensuite, je suis reçu ici par… – Le nierez-vous peut-être ? – Mais… je ne dis pas, reprit-il après avoir regardé madame d’Obligny. – Et enfin, je me cache, au besoin, dans un cabinet attenant sans doute à cette chambre, n’est-ce point ? – Celui-ci. – Ah ! ah ! fit le chevalier en se dirigeant de ce côté ; je ne suis pas fâché de reconnaître un peu les localités… La financière l’avait suivi jusque-là avec une anxiété croissante ; – et au moment où, s’approchant d’un air curieux, il poussa du doigt le bouton qui ouvrait le mystérieux cabinet, elle s’élança vers lui avec un cri d’effroi. Le chevalier referma la porte, – mais il avait eu le temps d’apercevoir dans l’ombre un quatrième personnage. – Ne craignez rien, madame, dit-il galamment ; nous n’ignorons pas qu’un cabinet de toilette est comme un sanctuaire, où la déesse et ses grands prêtres ont seuls le droit de présence. Puis, se retournant vers M. d’Obligny, dont l’accablement paralysait toutes les facultés : – Vous êtes parfaitement renseigné, monsieur, et je vois que rien n’échappe à votre œil vigilant. Il est donc inutile d’empêcher plus longtemps le repos de madame, qui me permettra de prendre congé d’elle et de vous. – Ainsi, s’écria le Mondor d’un ton désespéré et comme pour qu’il ne lui restât plus un seul doute sur son – malheur – ainsi vous avouez, madame, avoir écrit ce billet au chevalier ? Vous reconnaissez votre écriture ; c’est bien vous qui avez tracé ces lignes coupables ?… – Oui, monsieur. À son tour, le chevalier de Pimprenelle ne put retenir une exclamation de surprise. – Il regarda fixement la jeune femme, dont une faible rougeur vint colorer la joue, et qui baissa les yeux non sans quelque marque de confusion. – Allons, pensa-t-il, je vois ce que c’est ; je paye pour M. le vicomte de Trublay ; c’est là une femme d’esprit ou je ne m’y connais pas – et je m’y connais. Et il fit quelques pas en arrière pour se retirer. Le financier, sortant enfin de sa pétrification absolue, reprit son chapeau sur l’ottomane où il l’avait posé en entrant, passa sa canne de sa main droite dans sa main gauche, et saluant sa femme avec toute la gravité dont il était capable : – J’espère, madame, lui dit-il, qu’après le retentissement que cette affaire court risque d’avoir sous peu de jours, vous comprendrez la nécessité d’aller passer quelque temps en Touraine, au sein de votre famille. Une rupture à l’amiable et sans bruit nous épargnera les tracas toujours inséparables d’une action judiciaire. Madame d’Obligny, – bien vite remise de son émotion de tout à l’heure, – n’eut pas un geste, pas un mouvement qui trahît sa pensée. Elle resta belle et froide. – Pour nous deux, chevalier, reprit-il avec un effort, c’est une affaire à vider sur un autre terrain. Nous nous reverrons. – À votre aise, monsieur, fit le chevalier en tourmentant son jabot. La financière se leva pour reconduire les deux visiteurs. À la porte de sa chambre, elle s’inclina une dernière fois devant le chevalier de Pimprenelle en lui lançant un éloquent regard qui semblait dire : – Comptez sur ma reconnaissance. À quoi M. le chevalier de Pimprenelle répondit par un sourire d’une impertinence victorieuse, et qui pouvait se traduire par ces mots : – Je l’espère bien. Au bas de l’escalier, M. le chevalier remonta dans le carrosse qui l’attendait, – et se fit reconduire chez lui, après avoir reconduit la danseuse. Quant à l’abbé Goguet, il fut impossible de l’arracher de la place où il s’était pelotonné et où il ronflait comme une trompette marine. Il passa donc la nuit dans la voiture. La voiture passa la nuit dans l’écurie.
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