V - Le drame

805 Words
V Le drameCette fois, le trajet fut silencieux. Chacun des personnages emportés par cette voiture était agité de pensées si confuses et si incohérentes, qu’il n’aurait su que dire en prenant la parole. Quelquefois, la lueur soudaine d’un réverbère passait, – illuminant les acteurs de cette scène étrange, et les montrant fantastiquement groupés dans une ellipse rougeâtre. Assise devant lui, la danseuse pinçait les genoux du petit collet, qui ronflait à tue-tête et se retournait à chaque coup d’ongle avec des soubresauts d’Encelade. – Tous les deux représentaient le côté bouffon de ce drame après boire, qui avait commencé dans une loge d’actrice, et qui allait se dénouer dans une alcôve conjugale. La tête doucement renversée sur les coussins du carrosse, les jambes croisées, la main dans son gilet, – le chevalier de Pimprenelle réfléchissait au bizarre et à l’imprévu de sa situation, sans toutefois songer aux moyens d’en sortir. Il semblait, au contraire, trouver un certain plaisir à s’enfoncer davantage au sein des complications qui l’attendaient. Semblable à ces malades singuliers qui, par un esprit de contradiction inexplicable, s’acharnent à raviver une douleur demi-éteinte, et goûtent une sorte de jouissance dans l’excès de leurs propres maux, – il se plongeait et se roulait avec délices dans les difficultés qu’il s’était créées lui-même. Comment cela finirait-il ? Il l’ignorait et il voulait l’ignorer. Il était à la fois son acteur et son spectateur. Il se regardait faire d’un air curieux, et il se promettait de rire beaucoup de ce qui allait lui arriver. Ce qu’il y avait là-dedans de plus clair pour lui, c’est que M. d’Obligny le conduisait chez sa femme. Il avait plusieurs fois entendu parler de madame d’Obligny comme d’une personne fort belle et parfaitement à la mode. En cela son valet de chambre s’était ponctuellement conformé à ses intentions. – Lui-même n’était pas sûr de ne l’avoir point rencontrée dans quelque salon ; mais ce jour-là elle lui était si bien sortie de la mémoire qu’il lui aurait été tout à fait impossible de déterminer la nuance de ses cheveux. Un moment, il eut la pensée de se renseigner auprès du mari. Mais en levant les yeux, il en eut une compassion réelle. Ses mains étaient crispées autour de sa haute canne ; son haleine se dégageait mal de ses poumons oppressés ; ses gros yeux regardaient sans voir à travers la vitre humide de sa respiration. Il était évident que le financier se trouvait en proie à l’un de ces cauchemars moraux sans exemple jusqu’à présent dans son existence alourdie par la sensualité. Non pas que madame d’Obligny lui tînt tellement au cœur qu’il ne pût se défendre à son égard d’un reste de tendresse ; non pas que sa vertu se fût toujours présentée à ses yeux avec des rayonnements également purs ; mais il y avait dans la façon dont cette nouvelle injure lui avait été révélée quelque chose de si spontané et de si inattendu, que le mari le plus cuirassé des deux mondes en eût été terrifié comme d’une poudre fulminante qui serait tout à coup partie sous son nez. Aussi, lorsque le marchepied de la voiture s’abaissa devant l’hôtel, le chevalier éprouva-t-il un dernier sentiment charitable ; – et au moment où il se levait pour descendre, le corps plié en deux par la courbe de la voiture, il se retourna vers le Mondor et lui dit : – Tenez, financier, si vous voulez m’en croire, nous remettrons la partie à un autre jour, et nous pousserons jusque chez Tonton pour terminer de sabler du champagne ; quitte ensuite, demain matin, à nous couper réciproquement la gorge, si tel est votre bon plaisir. Le financier eut un frisson. Mais il s’était trop avancé. – Pour unique réponse, il se leva avec effort derrière le chevalier, qui se décida à mettre pied à terre, disant à part lui : – Maintenant, advienne que pourra ! Au coup de marteau qui alla ébranler l’hôtel jusque dans ses plus intimes profondeurs, un laquais se présenta sur le seuil, tenant un flambeau de cire. – Où est madame ? lui jeta à la figure M. d’Obligny. – Madame vient de se retirer dans sa chambre à coucher, répondit le laquais. – Éclairez-nous. Puis, ils montèrent l’escalier, de compagnie. À la porte de l’antichambre, ils rencontrèrent une soubrette qui les regarda d’un air ahuri et fit mine de leur barrer le passage. – Eh bien ! Céphise, qu’est-ce que c’est ? Ta maîtresse est-elle donc ce soir tellement agitée par ses vapeurs qu’elle ait donné l’ordre de ne laisser pénétrer personne auprès d’elle ? – Tu sais bien pourtant qu’une telle consigne ne saurait atteindre M. le chevalier de Pimprenelle. La suivante fixa le nouveau venu. – C’est bon, mon enfant, tu feras ton métier d’étonnée un autre jour. En attendant, va-t’en prévenir madame de notre arrivée, – entends-tu ? – C’est que… monsieur… balbutia-t-elle, madame vient de renvoyer sa femme de chambre, et j’ignore… je ne sais… – Tiens, coquine ! fit le Mondor avec impatience en lui jetant une bourse ; entre et annonce-nous. La suivante obéit en poussant un soupir. Elle revint, au bout de cinq minutes, introduisant M. d’Obligny et M. le chevalier de Pimprenelle. M. le chevalier tira, avant d’entrer, un petit miroir de sa poche, – et répara du mieux qu’il lui fut possible les incongruités que les cahots de la voiture avaient occasionnées à sa perruque en queue de veau.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD