VII
Dix heures sonnaient à la grande horloge du château de Blois.
L’antichambre royale regorgeait de courtisans.
On attendait le lever du roi.
Car le roi dormait encore, ou du moins ses pages de service n’avaient point osé pénétrer dans sa chambre.
Quélus et Schomberg causaient à voix basse dans l’embrasure d’une croisée.
Schomberg disait :
– Ce butor de Maugiron, avec son histoire de petite fille, a amené l’orage. Le roi s’est couché de méchante humeur, et il nous a tourné le dos à tous.
Quélus répondit d’un air nonchalant :
– Le roi a bien fait : il faut être enragés comme vous l’êtes, d’Épernon, Maugiron et toi, pour déranger d’honnêtes gentilshommes qui viennent de souper, et les conduire, à travers le brouillard, à la recherche d’une aventure désagréable.
– Sais-tu que cet enragé Gascon nous aurait tous tués, l’un après l’autre ?
– Y compris le roi, dit Quélus ; aussi, je m’explique sa mauvaise humeur, car le roi n’aime pas rencontrer des gens de sa force en escrime.
– As-tu vu Maugiron ce matin ?
– Il a passé une mauvaise nuit. La tête est enflée comme une citrouille, et il a la fièvre.
– Et ce diable de chevalier de Crillon, reprit Schomberg, que nous étions parvenus à faire prendre en aversion au roi, et qui est rentré en grâce d’un seul coup.
Comme les mignons parlaient ainsi, il se fit du bruit dans la salle d’attente, et une certaine agitation se manifesta parmi les courtisans. On avait entendu le son clair et argentin du timbre sur lequel Henri III avait coutume de frapper avec une baguette d’ébène et qui était placé près de son lit, sur un dressoir.
Le roi s’éveillait enfin.
Deux pages qui, assis sur une banquette, semblaient attendre ce signal, se levèrent avec empressement et pénétrèrent dans la chambre royale.
Quélus, qui, outre sa situation de favori, remplissait les fonctions de premier valet de chambre, les suivit…
Henri III s’était mis sur son séant, et il avait ouvert un livre d’Heures.
Chaque matin, le roi en s’éveillant, récitait une oraison, lisait ensuite quelques versets d’un psaume, et disait un meâ culpâ en se frappant la poitrine.
Durant cette triple besogne dévotieuse, les pages et les gentilshommes de service demeuraient debout, silencieux et recueillis ; après quoi, Quélus, sur un signe de Sa Majesté, venait le premier lui donner l’accolade.
Puis Schomberg et les autres lui succédaient.
Alors le roi oubliait ses pratiques religieuses et se mettait à causer de choses plus profanes pendant qu’on apprêtait ses vêtements.
Ce jour-là, d’Épernon n’avait osé se montrer, Maugiron était dans son lit, et Schomberg, prudent comme un Allemand qu’il était, demeurait dans la salle d’attente.
La scène nocturne qui avait précédé le coucher du roi ne présageait pas un réveil aimable.
Quélus seul, par la nature même de ses fonctions, n’avait pu se dispenser d’entrer.
Tout au rebours de ses craintes, Quélus fut bien reçu.
– Bonjour, mon mignon, lui dit le roi en posant son livre d’Heures ; comment as-tu dormi cette nuit ?
– Mal, Sire.
– C’est comme moi, Quélus, mon mignon ; je n’ai même pas dormi du tout, mais j’ai réfléchi.
– Ah ! dit Quélus, qui se demandait si le roi était de bonne ou de mauvaise humeur, tant son visage était impassible.
– Oui, continua Henri III, j’ai beaucoup réfléchi, mon mignon, et je crois avoir trouvé le secret de toutes les calamités qui affligent l’humanité, de toutes les catastrophes qui bouleversent les empires.
– Diable ! fit Quélus, Votre Majesté a trouvé cela ?
– Oui. La cause première de tous les malheurs de l’homme, c’est la femme.
– Ah ! s’écria Quélus, le roi parle d’or.
– N’est-ce pas, mon mignon ? cet être faible, rusé, dissimulé, effronté, rempli d’impudeur, la femme, en un mot, est la cause de toutes nos misères.
– C’est vrai, Sire.
– Ainsi, regarde, dit le roi, et frémis.
– D’avance, Sire ?
– Oui, d’avance : frémis en songeant à ce qui aurait pu arriver cette nuit… Ce damné Gascon a failli me tuer… il m’a touché à l’épaule… Sans cette médaille que je porte toujours au cou, et dont la vertu m’a protégé…
Quélus ne pouvait laisser échapper une occasion si belle d’être flatteur.
– Peuh ! dit-il, Votre Majesté suppose-t-elle donc que la Providence n’y regarde pas à deux fois avant de laisser tuer un roi de France ?
Cette s*****e fit sourire Henri III.
– N’importe ! dit-il, je l’ai échappé belle. Mais danger de mort n’est rien encore.
– Votre Majesté en a donc couru un autre ?
– Tu me le demandes ?
– Dame !
Le roi fit un signe aux deux pages, qui se tinrent à distance.
Alors il attira Quélus à lui, et, se penchant à son oreille :
– Mais malheureux ! si j’avais été reconnu, qu’une patrouille de l’échevinage nous eût surpris, les gens de la religion auraient fait un tapage d’enfer.
– C’est juste, Sire.
– Et tout cela, mon Dieu ! pour une femme… une simple femme, dont je ne me souciais guère, ni toi non plus.
– Parbleu ! dit Quélus d’un air indigné.
– J’ai envie de proscrire les femmes, poursuivit le roi, en commençant par la reine, que j’exilerai dans quelque château. Quand il n’y aura plus de femmes à la cour, tu verras comme on s’amusera.
– C’est une bien belle idée, dans tous les cas, Sire.
– En attendant, habille-moi.
Et le roi sortit une jambe du lit, tandis que Quélus prenait sa chemise des mains d’un page.
– D’abord, reprit le roi, je vais faire un exemple.
– Ah ! dit Quélus.
– J’exile Maugiron.
– Vraiment !
– Oui, et tu le lui annonceras de ma part. Quélus s’inclina.
– J’exile Schomberg…
– Aussi ? fit Quélus.
– Oui, Maugiron et Schomberg sont des hommes corrompus par la galanterie et indignes de mon amitié.
– Et d’Épernon ? demanda Quélus, qui commençait à être inquiet pour lui-même.
– Hum ! fit le roi.
Et il se prit à réfléchir.
– Ne t’a-t-il point semblé, dit-il enfin, que d’Épernon ne nous suivait qu’à regret, hier ?
– C’est comme moi, Sire.
– Alors gardons d’Épernon.
Mais, tout en parlant ainsi, le roi se frappa le front :
– Ah ! j’y songe ! dit-il.
– À quoi songe Votre Majesté ?
– Au Gascon.
– J’espère que Votre Majesté va le faire pendre haut et court.
– Non pas… il me plaît… c’est un fin tireur, mon mignon. Et puis ce diable de Crillon l’a pris sous sa protection.
– Voilà qui est différent, ricana Quélus. Eh bien ! ce Gascon ?…
– Il doit venir.
– Où ?
– Ici.
– Ici ! murmura Quélus scandalisé.
– Je lui ai donné rendez-vous à mon lever.
– Mais, Sire, un chevalier d’aventures…
– Ta ! ta ! ta ! fit le roi. Il a fort bon air. Chut ! j’entends du bruit.
Il y avait au pied du lit royal une petite porte recouverte d’une draperie et qui ouvrait sur les corridors intérieurs du château.
C’était à cette porte que l’on grattait.
– Ouvre, dit le roi à Quélus.
Quélus obéit et se trouva face à face avec un gros homme à cheveux gris, à trogne rouge, que le roi apostropha de ces mots :
– Eh mais ! c’est maître Fangas, l’écuyer du chevalier de Crillon !
– Lui-même, Sire, répondit Fangas, qui salua avec aisance.
– Et que me veut le chevalier si matin ? demanda le roi.
– Personnellement, rien, Sire ; mais on m’a chargé de conduire auprès de Votre Majesté certain gentilhomme gascon…
– Ah ! fort bien, je sais…
Et le roi sauta à bas de son lit, passa ses chausses et endossa un pourpoint.
– Eh bien ! où est-il, ce Gascon ? dit-il.
– Là, Sire, dans le corridor.
– Qu’il entre !
– Pardon, Sire, dit Fangas, mais il m’a prié de rappeler à Votre Majesté que le roi lui avait promis un entretien secret.
– C’est juste.
Le roi fit un signe à Quélus.
– Va-t’en, mon mignon. Dis, en sortant, que je ne recevrai pas ce matin.
Quélus se dirigea vers la porte en faisant une grimace de mauvaise humeur.
– Et, ajouta le roi, annonce à Maugiron et à Schomberg qu’ils me feront plaisir de quitter la cour au plus vite.
– Qu’est-ce donc que ce Gascon ? pensa Quélus. Et il sortit inquiet.
Alors Fangas souleva la draperie de la petite porte, et le gentilhomme gascon entra.