III

1520 Words
III Cependant, le roi et ses mignons couraient les rues. La nuit était brumeuse, nous l’avons dit, et les bourgeois, intimidés par la présence de la cour à Blois, avaient depuis longtemps couvert leurs feux et éteint leurs lumières. Henri était sorti du château par une petite porte. Ni les gardes, ni les gentilshommes ordinairement attachés à sa personne, ne l’avaient vu passer. Quand ils furent hors du château, les mignons se prirent à causer tumultueusement. – Tu es donc amoureux de cette petite, toi, Maugiron ? demanda le roi. – Oui et non, Sire. – Comment cela, mon mignon ! – Mais, dame ! oui, si Votre Majesté ne la trouve point à son goût. – Heu ! heu ! dit le roi, il y a longtemps qu’aucune femme ne m’a flatté l’appétit. Et toi, Quélus ? – Moi, Sire, je me borne à l’amitié, c’est moins trompeur que l’amour. Le roi reprit en ricanant : – Ainsi, Maugiron, mon chéri, la petite ne te plaît qu’autant que son minois me semblera vulgaire ? – Hélas ! Sire, mais j’ai bien peur que Votre Majesté ne la trouve adorable. – Nous verrons, dit le roi ; mais chut ! voici que j’entends marcher derrière nous. Dispense-toi donc de m’appeler Majesté. – Soit, dit Maugiron qui marchait en avant d’un pas rapide. Du reste, nous approchons… – Ah ! fit Henri III. C’est dans cette ruelle ? – Oui. Tenez, voyez ce grand mur, la maison est derrière… Quélus disait à d’Épernon : – Maugiron est plein d’esprit. Il va enlever la jeune fille pour le roi, et, comme le roi la dédaignera, il la revendiquera pour son compte personnel. – Mais c’est qu’elle me plaît aussi, dit le chevalier de Schomberg. – Eh bien ! prends-la, dit Quélus. – Et si elle me plaisait aussi ? fit d’Épernon. Pour le coup, Quélus se mit à rire. – Mes chers seigneurs, dit-il, ce que je vois de plus clair en tout cela, c’est qu’elle plaît à tout le monde, excepté au roi et à votre serviteur… – Tu ne l’as pas encore vue. – Peuh ! les femmes ne me font pas faire de folies ; je suis philosophe, moi. – Soit… mais le roi ? observa d’Épernon. – Le roi a mes opinions, répliqua Quélus. Il trouve que la plus belle fille du monde ne vaut pas un drageoir rempli de confitures. – Amen ! murmura Schomberg : mais je te jure, Quélus, que si le roi fait fi de la belle, Maugiron ne l’aura pas sans dégainer. – Ah ! mes enfants, dit Quélus, comme le proverbe qui dit qu’une poule amène bataille de coqs est vrai ! Nous sommes tous amis, et voilà que pour cette donzelle vous voulez en découdre !… – Morbleu ! murmura d’Épernon, je suis de la partie, moi aussi. – Je le veux bien, reprit Quélus avec insouciance ; seulement, convenez d’une chose, c’est que le roi ni moi qui n’avons point le martel de l’amour en tête, nous n’avons vraiment rien à faire ici. Quélus fut interrompu dans son cours de morale par la voix aigre du roi. Henri III était arrivé au pied du mur, devant l’huis à deux vantaux de chêne ferré, et il disait à Maugiron : – Mais tu es fou, mon mignon, de croire qu’on pénètre aisément en ce logis. Voilà une maîtresse porte qui se fera joliment maltraiter avant de perdre un clou de sa ferrure ou de ses gonds. – Que Votre Majesté, répliqua Maugiron, ne se tourmente pas pour si peu. – Que comptes-tu faire, mon chéri ? – Aller chercher une échelle, Sire. – Où donc cela ? – Là, Sire, dans la maison d’un bourgeois dont je cultive la connaissance depuis hier. C’est un sacristain de la paroisse voisine ; un bon catholique qui hait les gens de la religion et soupçonne la jeune fille et le vieillard d’être initiés au culte nouveau. – Pouah ! dit Henri, une fille huguenote, cela ne me séduit pas beaucoup. – Je souhaite sa beauté à toutes les catholiques, reprit Maugiron, même à madame la duchesse de Montpensier, la sœur du duc de Guise et l’amie de Votre Majesté. – Passons, dit le roi. Tu vas donc demander une échelle ? – Au sacristain, dont j’ai fait la connaissance, et qui m’a donné de précieux détails. – Oh ! oh ! voyons ! – Il paraît que cette porte si solidement ferrée, si bien fermée au dehors, n’est maintenue en dedans que par une lourde barre de fer. – Très bien, très bien, je crois comprendre, dit le roi. – Or donc, continua Maugiron, je vais appliquer l’échelle contre le mur, je grimperai jusqu’au couronnement, et je prendrai garde de me couper aux tessons de bouteilles qui le couvrent. Puis je sauterai dans le jardin. – Et, soulevant la barre de fer, tu nous ouvriras la porte. – Votre Majesté l’a dit. Sur ces mots, le sire de Maugiron alla frapper à l’huis d’une maison basse, aux murs noircis, à l’aspect humide et délabré : la vraie maison d’un homme d’église habitué à l’atmosphère moisie des sacristies de province. Le couvre-feu était sonné depuis longtemps ; pas un pauvre rayon de clarté ne brillait à l’intérieur de la maison, et cependant la porte s’ouvrit tout de suite. En même temps, une voix qui tremblait légèrement dit : – Monseigneur, voilà l’échelle ! – Eh ! mon gaillard, fit le roi en frappant sur l’épaule de Maugiron, je vois que tu avais tout prévu. – Je ne cacherai pas plus longtemps à Votre Majesté, dit Maugiron, que si elle dédaignait la beauté de cette petite… – C’est probable ! dit le roi, qui recommençait à s’ennuyer. – Je serais le plus heureux des hommes, ajouta Maugiron. Et il prit l’échelle que le sacristain lui tendait. Quant à celui-ci, tandis que Maugiron courait au mur, il referma prudemment sa porte en marmottant nous ne savons plus quel verset de quel psaume. L’échelle appliquée contre le mur, Maugiron prit son épée aux dents et monta. Puis, arrivé au couronnement, il chercha avec ses mains un endroit dépourvu de tessons de bouteilles, et, l’ayant trouvé, il se mit à califourchon sur le mur. Henri et ses trois autres mignons s’étaient groupés au bas de l’échelle. Maugiron regarda dans le jardin, où tout était immobile et calme, puis se penchant du côté de la rue : – Plus de lumière, dit-il, personne dans le jardin… pas même un chien… la colombe dort au colombier. – Eh bien ! dit le roi, saute dans le jardin et ouvre-nous… Il fait un froid de loup, messeigneurs. Maugiron disparut, et le roi entendit le bruit de sa chute sur le sol gelé et retentissant du jardin. Le saut était rude, Maugiron en fut étourdi, et il demeura quelques secondes immobile. – Ah ! ma foi ! tant pis ! murmura-t-il, je vais leur ouvrir… et le roi est trop juste, puisque je l’amuse, pour ne point décider que la petite m’appartient. Et Maugiron fit deux pas et examina attentivement la porte et le système de fermeture qui lui avait été appliqué à l’intérieur. Le sacristain n’avait pas menti. Cependant il avait oublié un détail, c’est que la barre de fer était maintenue dans une gâche par un cadenas. – Oh ! oh ! dit Maugiron, il va falloir faire le serrurier. Il prit sa dague à sa ceinture, la tira du fourreau et en introduisit la pointe dans le cadenas, afin de le forcer. – Dépêche-toi donc, il fait froid ! cria le roi à travers la porte. Mais Maugiron n’eut pas le temps de répondre. Il venait de recevoir un coup terrible sur la tête. Ce horion, qui semblait tombé du ciel, était un coup de pommeau d’épée, sous lequel le toquet à plume du mignon s’était écrasé comme du vieux linge. Maugiron se retourna tout étourdi, – si étourdi même, qu’il n’eut pas la force de crier. Un homme était devant lui. Cet homme lui portait au visage la pointe d’une épée nue. Ce que voyant, Maugiron recula d’un pas, s’adossa à la porte et mit flamberge au vent. – Drôle ! dit l’homme à l’épée nue, aussi vrai que je suis gentilhomme et que tu n’es qu’un vil coureur d’aventures nocturnes, je vais te clouer contre cette porte ! – À moi ! cria Maugiron. Et puis il croisa le fer. Derrière la porte, Henri III et ses mignons entendirent le cliquetis des épées. – Messieurs, dit Henri, la petite est gardée. Que comptez-vous faire ? – J’ai envie de m’aller coucher, dit Quélus, qui comprenait peu qu’on exposât sa vie dans des aventures amoureuses. D’Épernon, en homme prudent, garda le silence. Mais Schomberg, qui était un brave Alsacien, s’écria : – Allons à son secours ! – Soit ! dit le roi, qui eut un affreux bâillement. Aussi bien, c’est un moyen de se réchauffer. Car il fait froid, messieurs, bien froid ! Schomberg était déjà sur l’échelle. En ce moment, le défenseur de Berthe Mallevin et le sire de Maugiron s’escrimaient avec acharnement. Deux fois l’épée de l’inconnu avait effleuré la poitrine au mignon, et son sang avait coulé. – Ah ! tu es un beau seigneur de la cour de France, mordioux ! s’écriait le Gascon. Eh bien ! nous allons voir… Maugiron était un élève de Henri III, qui passait pour le premier tireur de France. Il fit une feinte habile, se ramassa sur lui-même, glissa sous l’épée du Gascon et fila pour lui planter sa dague au flanc, car il n’avait point cessé de la tenir de la main gauche. Mais le Gascon, prompt comme l’éclair, leva le bras, puis le laissa retomber, et un deuxième coup de pommeau fut si bien appliqué sur la tête de Maugiron, que le mignon laissa échapper sa dague et son épée et roula évanoui sur le sol. Mais, en même temps aussi, Schomberg parut en haut du mur. – Oh ! oh ! dit le Gascon, ils étaient deux ! Schomberg sauta. Un nouvel ennemi apparut encore sur le mur : – Ah ! par saint Jacques de Compostelle ! s’écria le Gascon, je crois qu’il en pleut, de ces gaillards-là… Eh bien ! nous allons jouer le rôle du soleil, ventre-saint-gris ! et faire cesser la pluie. Parlant ainsi, le protecteur de Berthe, la pauvre orpheline, s’adossa, à son tour, à la porte ; puis il se mit en garde avec la magistrale assurance de feu maître Guasta Carne, le célèbre armurier de Milan !
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