Chapitre 3

661 Words
Chapitre 3 Au même moment, mais à plusieurs centaines de kilomètres de là, la cour d’une petite école tourangelle bruissait de cris, de rires, d’invectives, de vie. Cette école pilote avait été choisie parmi d’autres afin de tester la semaine de cinq jours. Les enfants avaient donc classe le mercredi matin. L’après-midi était consacrée au sport, à la musique et aux arts plastiques. Un petit groupe d’élèves de CP se tenait à l’écart des autres et, si la maîtresse, de surveillance dans la cour, avait particulièrement prêté attention à ces quatre bambins, il n’eût pas été certain qu’elle aurait remarqué leurs mines de conspirateurs. Après la cantine, la récréation battait son plein et il fallait avoir l’œil partout. — Alors ? T’es décidé ou quoi, Hugo ? Si tu le fais, bienvenue au club ! Si t’es pas cap, t’es pas un vrai mec ! Devant l’objet que Jérémy laissait entrevoir et qui boursouflait la poche de son jeans, le jeune Hugo hésitait encore. Maman m’a interdit de faire des trucs comme ça. Elle dit que c’est très dangereux ! Valentin, un rouquin au regard déluré, serra un poing menaçant sous le nez d’Hugo. — T’as pas cafté, j’espère ? Sinon, t’es mal ! — Non, non, j’vous jure ! s’empressa de se disculper Hugo. C’est juste qu’on a vu ça à la télé, aux infos. J’ai rien dit sur vous ! Martin, qui dépassait ses trois copains d’une demi-tête, essaya de prendre l’air blasé de circonstance. Il soupira : — Bon, les mecs, on se casse. Il f’ra pas. C’est qu’une fiotte ! Goguenards, les trois amis s’éloignèrent, laissant le jeune Hugo désemparé. Il allait se retrouver seul, une fois encore. Du revers de sa manche, il essuya ses larmes. C’était si difficile de se faire des copains ! Il avait horreur du foot et n’arriverait jamais à jongler avec les pieds comme Martin. Et, en plus, il admirait tant Jérémy, Martin et Valentin ! Jamais ils ne chialaient quand le maître les grondait. Et c’était souvent. Et puis, Valentin, il était trop rigolo… Des fois, quand le maître écrivait les lettres au tableau, il se levait et faisait une grimace derrière son dos ! Il voulait pas être un « Rémi », l’insulte préférée de son grand frère. La bouche de l’enfant tressaillit sous l’assaut d’un sanglot. De l’autre côté de la cour, ses trois copains ne faisaient déjà plus attention à lui. Alors, pris d’une pulsion qu’il savait irréversible, Hugo se décida et courut vers eux. — C’est d’accord, les copains ! Je suis pas une fiotte ! — Crie pas si fort, cornichon ! lui intima Martin. Madame Terrel est en train de nous regarder ! — Rendez-vous derrière les chiottes ! proposa Simon. Si l’air content de ses amis galvanisait l’héroïsme d’Hugo, le futur impétrant n’en menait pas large toutefois. Il avait mal au ventre déjà mais chassa de sa mémoire les recommandations sévères de ses parents. Parvenus sous la frondaison d’un tilleul centenaire qui ombrageait les toilettes, les petits s’arrêtèrent. Jérémy sortit de sa poche un inoffensif foulard de soie jaune, emprunté à sa mère, le matin même. Entouré de ses copains, Hugo ferma un instant les yeux et prit une profonde inspiration pendant que Jérémy lui plaçait le foulard autour du cou. Hugo connaissait ce rite initiatique pour l’avoir déjà observé à trois reprises. Le record appartient à Valentin, lui répéta Martin. Il a tenu quinze secondes. T’as pas oublié, hein ? Dès que tu vois les étoiles blanches, tu lèves la main et on arrête ! Hugo acquiesça d’un mouvement de tête et le supplice commença. Martin et Jérémy tenaient chacun un bout du foulard tandis que Valentin, tout en épiant les environs, comptait à haute voix. Ainsi étranglé, Hugo faillit rendre les armes au bout de cinq secondes. Mais il ne voyait pas encore d’étoiles. 6-7-8… Sa cage thoracique allait exploser. Une atroce douleur irradiait tout son corps… Valentin comptait trop lentement… Il faisait exprès pour garder le record… 10-11-12… Il avait l’impression que ses yeux lui sortaient des orbites. C’est par là, peut-être, que partirait la douleur… 12,5-13-13,5… C’est pas du jeu ! crut entendre Hugo à travers un brouillard épais comme du coton. Compte normalement, Jérémy ! À 14,5, sa langue voulut s’échapper de sa bouche. Il ne sentait plus ses muscles et aurait été incapable de lever la main. D’ailleurs, il n’avait plus mal… Il avait réussi à sortir de son corps… Pas d’étoiles. Dans une nuée blanche, flottait devant lui le visage d’un grand garçon brun, éclaboussé de lumière… L’enfance est dangereuse parce qu’elle se croit immortelle.
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