Chapter 3

999 Words
III– Entrez, dit Jehan de Mehun, qui fut le premier à reprendre ses esprits ; tirez la ficelle. Car dans ces temps-là on n’était pas mieux fermé chez soi ; un morceau de bois qu’on faisait jouer au moyen d’un bout de ficelle, servait de serrure à toutes les portes. La personne du dehors à qui s’adressaient les instructions ayant obéi, la porte céda, et le chaussetier, dont l’échoppe était adossée au clos de Lias, parut. – Cache-toi, Jehan de Mehun, les gens du fisc te cherchent, dit-il ; puis ayant jeté un regard à la dérobée sur Jehannette, qui le remercia des yeux seulement de son avertissement, il disparut presque aussi mystérieusement qu’il était entré. – Pas de temps à perdre ; vite, Jehan, cachez-vous, dit Marion parcourant la chambre des yeux pour y chercher une cachette. – Pas ici, pas ici, dit vivement Jehannette : au clos, père, vite, sous la paille qui garantit les oliviers de la gelée, vite, vite. Et Jehan, ayant trouvé le conseil bon, s’élança par la croisée que Marion s’empressa d’ouvrir et de refermer sur lui. Elle n’était pas retournée près de Jehannette, que celle-ci prononçait tremblante le nom du comte de Poissy, à la vue d’une multitude de personnes qui remplissaient la chambre et à la tête desquelles on remarquait un seigneur d’une haute et belle stature. Comme tous les Germains, son vêtement court et serré dessinait les formes de son corps ; mais ce qui marquait sa richesse et la haute origine de ce seigneur, c’était un petit manteau carré attaché sur son épaule droite, et ses cheveux qu’il portait aussi longs par derrière que par devant ; les gens du peuple et les esclaves, comme on le sait, étaient obligés de les couper. Son monde se composait de quelques écuyers et varlets portant des torches, et de plusieurs hommes armés, les uns de haches à deux tranchants qu’on lançait de près ; d’autres portaient l’augon ou javelot à crochet, quelques-uns, portaient une massue appelée cateil ; mais la plupart n’avaient pour arme qu’une espèce d’haste en fer, court, étroit, mais assez acéré pour qu’on pût s’en servir de près ou de loin, suivant que l’occasion le demandait, et qu’on nommait framée. Deux écuyers se tenaient près du comte de Poissy : l’un portait son bouclier, plus long que large, et peint de différentes couleurs ; l’autre avait à la main une épée dont la poignée de fer formulait une croix. Après avoir fait ranger les gens en cercle devant la porte pour empêcher la fuite du coupable, le jeune comte s’avança, l’air haut et fier, vers Jehannette ; mais à peine eut-il jeté les yeux sur cette jeune et charmante fille, dont la pâleur n’altérait en rien la naïve beauté, que ses traits se radoucirent singulièrement. – Mon épervier m’a été volé, jeune enfant, dit-il ; et dans ce moment, comme si l’épervier entendant la voix de son maître eût voulu de lui-même déceler le voleur, il fit entendre un léger croassement. – Il est ici, répliqua le seigneur ; et il n’avait pas achevé qu’un de ses varlets s’étant baissé, avait ramassé le paquet où gisait le pauvre oiseau, et le présentait à son maître. À cette vue, la figure du comte s’alluma. – Le voici le pauvre oiseau, étouffant sous l’enveloppe dont on l’a accablé ; qu’on le rapporte chez moi, ajouta-t-il parlant au varlet qui lui présentait l’oiseau, qu’on le remette dans la cage ; mais qu’avant on examine bien s’il n’est pas blessé. Son ordre étant exécuté, il se retourna vers la tremblante Jehannette. Tu fais là un joli métier, ma mie, lui dit-il : voler des éperviers ! Elle ! s’écria la vieille Marion avec impétuosité, elle ! Jehannette voler un épervier ! vous voyez bien, seigneur comte, que c’est impossible ! – Si ce n’est elle, c’est donc toi ! répliqua le comte remarquant pour la première fois la présence de la vieille blanchisseuse. – Moi ! à d’autres maintenant, dit Marion effrayée ; par Jupiter, où sa seigneurie veut-elle que mes vieilles jambes trouvent assez de vigueur pour grimper sur des murs, et mes mains décharnées assez de forces pour rompre des mailles de fer ?… – Ah ! on a grimpé sur le mur ; ah ! on a rompu des mailles de fer !… holà, esclaves, saisissez cette femme, et entraînez-la en prison ; elle connaît trop bien les circonstances du vol pour ne l’avoir pas commis. – Sur votre honneur, messire, s’écria Jehannette surmontant sa timidité pour s’élancer entre la Pichone et les gens du comte de Poissy, ne touchez pas à cette femme, elle est innocente du vol. – Alors, jeune fille, je répéterai mes paroles de tout à l’heure : si ce n’est elle, c’est donc toi. – Eh non ! par le nom de Jésus notre doux Seigneur, non, messire, ce n’est ni elle ni moi ! ne put s’empêcher de crier la blanchisseuse savante dans le Code pénal de ce temps-là. – Il y a alors un troisième personnage caché par ici ; qu’on le cherche, dit le comte. – Mon Dieu ! cria Jehannette près de se trouver mal ; et, pliant les genoux devant le comte, elle ajouta : Messire, le vol a été trouvé chez moi ; je suis prête à subir toutes les conséquences de cette faute. – Enfin, tu avoues ? reprit le comte, tandis que Marion stupéfaite regardait, la bouche béante et prête à affirmer le contraire, la pauvre jeune fille agenouillée en pleurant devant le leude ; eh bien ! que ce soit elle qu’on conduise en prison. Obéissant à l’ordre de leur chef, les soldats entourèrent Jehannette, et allaient porter leurs mains sur elle pour la contraindre à les suivre, lorsque, pour ainsi dire ranimée par la crainte du contact de ces hommes, elle se releva d’elle-même ; et, se reculant avec terreur et dignité à la fois, elle leur dit : – Ne me touchez pas, mes seigneurs, me voilà prête à vous suivre. – Arrêtez, arrêtez ! cria à ce moment une voix d’homme qui partait du dehors ; et la fenêtre ouverte avec violence laissa voir Jehan de Mehun s’élançant dans la chambre. – Voilà le coupable, dit-il ; qu’on laisse cette enfant en paix. À la vue de son père se livrant lui-même à ses bourreaux, Jehannette tomba évanouie dans les bras de Marion ; quand elle revint à elle, tout le monde s’était retiré, à l’exception de la blanchisseuse, qui lui jetait de l’eau froide au visage pour la rappeler à la vie. – Marion, Marion, toi qui sais tout, dis-moi ce qu’il faut faire pour sauver mon père ! s’écria Jehannette fondant en larmes à la vue de l’escabeau de son père, vide et inoccupé. – Demain nous y aviserons, répondit la blanchisseuse en prenant son paquet de linge pour se retirer : la nuit porte conseil.
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