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Le Vieux Paris

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Extrait: "Sur la voie romaine, à l'endroit où est aujourd'hui situé le joli village d'Issy, on voyait en 508 un petit manoir en chaume, dépendant d'un vaste champ de vignes et d'oliviers, appartenant à Jehan de Mehun ; à gauche du paysage, un bras de la Seine servait de rendez-vous à toutes les blanchisseuses de l'ancienne Lutèce, appelée nouvellement Paris, et que, l'année d'avant seulement, le roi Clovis avait choisie pour capitale de ses États..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.

● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Chapter 1
I Jehannette la PaquoteSur la voie romaine, à l’endroit où est aujourd’hui situé le joli village d’Issy, on voyait en 508 un petit manoir en chaume, dépendant d’un vaste champ de vignes et d’oliviers, appartenant à Jehan de Mehun ; à gauche du paysage, un bras de la Seine servait de rendez-vous à toutes les blanchisseuses de l’ancienne Lutèce, appelée nouvellement Paris, et que, l’année d’avant seulement, le roi Clovis avait choisie pour capitale de ses États ; à droite finissait le Clos de Lias, ou jardin du palais des Thermes. Une jeune personne filait, assise sur un banc adossé aux murs de la chaumière ; son costume était celui des jeunes filles françaises des premiers temps. – Une cotte-hardie de laine brune, vêtement qui descendait du cou aux talons, serré d’une ceinture et fermé au poignet, cachait modestement ses épaules ; deux longues tresses de beaux cheveux noirs s’échappaient de dessous un morceau d’étoffe blanche qui couvrait le sommet de sa tête, et, encadrant ses joues, venait se croiser sous son menton, au moyen d’une arrête en bois souple et effilé. Des sandales, lacées par des cordons de laine rouge, laissaient à nu ses jambes fines et blanches et son joli pied d’enfant. Une crainte vague et ingénue se lisait sur le charmant visage de cette jeune fille ; loin de s’occuper de son ouvrage, ses doigts filaient au hasard le lin de sa quenouille ; son esprit paraissait être ailleurs. Tantôt ses yeux suivaient la ligne de l’horizon sur lequel le soleil descendait, un soleil d’hiver, pâle et brumeux ; tantôt les portant sur la voie romaine, du côté de Paris, elle semblait attendre quelqu’un qui ne venait pas. Quelquefois aussi elle prêtait l’oreille aux chants joyeux des blanchisseuses qui, ayant achevé leur besogne, entassaient gaîment leur linge mouillé dans de grandes corbeilles, qu’elles chargeaient ensuite sur leur tête. Une d’entre elles, dont l’âge avancé la forçait à se ployer sous la charge, traversa le champ où était situé le manoir de Jehan de Mehun ; en apercevant la jeune fille, elle marcha de ce côté. – Bonjour, Jehannette, lui dit-elle en approchant. – Bonjour, Marion la Pichone, répondit Jehannette ; voulez-vous entrer vous reposer et vous chauffer au fourneau qui brûle encore ? – M’est avis, jeune fille, que s’il brûle encore, mieux vaudrait être dedans à se chauffer, que dehors ; filant et guettant, reprit la vieille Marion en suivant, dans l’intérieur de sa cabane, Jehannette qui s’était levée pour l’y conduire. – J’attends mon père, dit la jeune fille ; je suis inquiète de son absence. – Pourquoi, Jehannette ? ton père n’est-il pas homme libre ? ce champ, ce manoir, tout cela ne lui appartient-il pas ? demanda la blanchisseuse, approchant ses mains gelées de la bouche du fourneau. – N’a-t-il pas des esclaves pour labourer ses vignes et tailler ses oliviers ? – Qu’importe, Marion ? je suis inquiète ; mon père est sorti depuis ce matin pour me chercher une colombe, et il n’est pas encore rentré. J’ai envoyé à sa rencontre les deux esclaves que nous avons, et personne n’est revenu. – Une colombe ! eh ! bonne Vierge, que veux-tu faire d’une colombe, Jehannette ? – Oh ! c’est un secret, la Pichone. – Un secret, Jehannette ! un secret pour moi, Marion la Pichone, blanchisseuse de la reine Clotilde ! J’ai gardé bien d’autres secrets que celui-là, Jehannette. – Eh bien, asseyez-vous et écoutez, dit Jehannette, approchant un banc sur lequel elle s’assit à côté de la blanchisseuse. Vous savez bien le puits Saint-Germain, dont l’eau fait tant de miracles, que la semaine dernière encore la femme à Saint-Romain, imagier, a été soudainement guérie d’un grand mal de tête… – Oui, en faisant chauffer l’eau de ce puits, et en s’y baignant trois fois les pieds jusqu’à la cheville ; n’est-ce pas Jehannette ? – Elle n’aurait pas fait chauffer l’eau, Marion, elle n’y aurait même trempé que le petit bout du petit doigt du pied gauche, qu’elle aurait été guérie tout de même… C’est une eau merveilleuse que l’eau de ce puits… Mais pourquoi secouez-vous la tête, Marion ? est-ce que, par hasard, vous ne croiriez pas aux miracles ? – À ceux de jadis, oui, Jehannette ; mais à ceux d’aujourd’hui… Hélas ! bonne sainte Vierge, nous sommes devenus trop méchants ; Dieu n’en fait plus. – Il ne faut pas dire ça, Marion ; il n’en fait plus lui-même, c’est vrai, mais ses reliques, mais ses châsses, mais ses lieux consacrés en font… – Voyons ton miracle, Jehannette. – L’année dernière, mon père, bien qu’il ne fût ni serf ni esclave, n’en avait pas moins quitté ses foyers, moi et ses champs, pour assister à la bataille livrée à dix lieues au midi de Poitiers, dans laquelle bataille notre roi Clovis tua, de sa propre main, Alaric, roi des Visigoths. Seule en notre logis, je m’ennuyais beaucoup ; l’ennui est une maladie, dit-on, et je me disposais à aller consulter un juif fameux qui guérit toutes les maladies, lorsque ma nourrice Agnès, vous savez, celle qu’on appelle la Charronne, parce que son mari est charron, me conseilla de me rendre seule, à midi, au puits Saint-Germain, avec un gobelet d’étain, et de boire de cette eau entre deux ave. Le conseil était sage et bon, je n’eus garde de ne pas le suivre, et le lendemain, le dixième jour après Pâques fleuries, le soleil était au-dessus de notre tête, lorsque je me mis en route. Voilà qu’en passant près du clos de Lias, la fantaisie me prit de le traverser ; il faisait très chaud, et l’ombre des sicomores me parut préférable à la poussière des rues. J’avais à peine fait quelques pas dans la grande allée qui conduit au palais, lorsque je vis venir à moi un jeune leude, le fils du comte de Poissy, dont notre fief dépend. Il portait une colombe, et était suivi d’un esclave tenant un épervier ; l’épervier faisait de vains efforts pour se jeter sur la colombe ; la colombe effrayée, se serrait tremblante, et essayait de se cacher sous les plis de la tunique du leude. Celui-ci riait et agaçait le farouche épervier, ce qui redoublait l’effroi de la timide colombe. Malgré moi, et sans songer à l’inconvenance de mon indiscrétion, je m’arrêtai, inquiète sur le sort de la jolie colombe ; j’aurais donné, je crois, le plus beau de mes oliviers pour l’arracher au péril qui la menaçait. Le comte m’aperçut : Jeune fille, me cria-t-il, cela t’amuserait de voir déchirer cette colombe par cet épervier ? tiens, regarde. Et aussitôt, comme honteuse et rouge de cette apostrophe, j’étais restée sans réponse, il lâcha sa colombe, fit signe à l’esclave, qui lâcha l’épervier ; l’épervier poursuivit sa proie, mais avant qu’il ait pu l’atteindre, je poussai un cri d’horreur et m’enfuis épouvantée. Poursuivie par ce terrible spectacle, l’oreille remplie des cris discordants de cet oiseau vorace, et des accents plaintifs de son innocente victime, je traversai les jardins du palais des Thermes ; je sortis par la porte qui ouvre sur la Seine, et ne repris haleine que dans la rue, par laquelle on va du Petit Pont à la place Saint-Michel, et qu’on appelle, je crois, la rue de la Calandre ; de là je gagnai la place Saint-Germain, et j’arrivai au puits encore toute émue. Une foule de monde l’entourait ; impossible d’approcher de la mardelle du puits ; j’allai m’asseoir à l’écart, sous un des chênes antiques qui ombragent ces lieux consacrés. Bientôt, soit la chaleur, soit la fatigue, le Sommeil me prit, je m’endormis, et revis en songe cet épervier poursuivant toujours la colombe. Quand je me réveillai, la foule s’était éloignée du puits, et, à l’exception d’un vieux ermite qui puisait de l’eau, la place était déserte. Je m’approchai de lui ; il avait une de ces figures saintes et belles, douces et tristes qui appellent la confiance ; je lui racontai mon rêve, et comme j’avais perdu mon gobelet en route, je le priai de me prêter le sien pour puiser de l’eau. Il le fit avec bonté, puis il me dit : Tout rêve est un présage heureux ou malheureux, jeune fille ; voici comment j’explique le tien : Si tu peux avoir la colombe, tu seras heureuse ; si, par un hasard que je ne puis définir, tu te trouvais posséder l’épervier ; garre à toi !… Disant ces mots, et comme j’avais bu, il reprit son vase et disparut : depuis, je ne l’ai plus revu… Mais, depuis ce temps, Marion, je n’ai qu’une idée, celle d’avoir cette colombe… Je ne dors ni jour ni huit, tant cette fantaisie me tient au cœur ; j’ai perdu le boire et le manger, si bien que mon père a fini par s’apercevoir de ma pâleur ; il m’a questionnée, et je lui ai tout avoué… Depuis ce matin il est sorti pour s’informer ; de ce qu’était devenue la colombe, et me l’apporter si elle est encore en vie… Jugez de mon inquiétude ; voici la nuit, et il n’est pas rentré. Dans ce moment, un homme grand et maigre, vêtu d’un vêtement à peu près semblable à celui de la jeune fille, à l’exception toutefois qu’il était plus court et plus étroit, mais qui s’appelait aussi cotte-hardie, se précipita dans le manoir, en refermant soigneusement la porte derrière lui. Si tu peux avoir la Colombe, tu seras heureuse,….– J’espère qu’ils auront perdu ma trace, dit-il, puis, tirant de dessous le petit manteau que les hommes libres de ce temps-là portaient attaché sur l’épaule droite, un objet enveloppé dans un linge, qui s’agitait et faisait entendre un croassement, sourd, il ajouta : Je n’ai pu avoir la colombe, mais voici l’épervier, Jehannette. – Malheur ! murmura sourdement Jehannette en faisant le signe de la croix.

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