Chapitre 10

2711 Words
La première chose que je fis lorsque je rentrai fut de chercher à entrer en contact avec mon prétendu âme sœur. Je m'en fichais complètement qu'il fasse jour. D'ailleurs, je n'avais allumé aucune bougie, je n'avais pas non plus fermé les fenêtres. J'avais simplement désactivé les appareils électroniques. Les autres règles n'étaient à présent que futilité à mes yeux. Ce n'était pas la présence de la lumière du jour qui allait empêcher son esprit de se manifester. En plus j'avais trop soif de réponses à mes questions. Cette fois-ci il me répondit presque immédiatement, il ne me fit pas poireauter. On aurait dit que lui aussi cherchait à me parler. Je compris aussitôt que le temps d'amusement était révolu. À présent, nous étions passés aux choses sérieuses. _ Chase ? «Je suis là». Comme à chaque fois, j'entendis sa voix dans ma tête même si je ne connaissais pas sa réelle tonalité. Je l'imaginais à côté de moi, prêt à satisfaire ma curiosité et à répondre à mes questions. Étrangement je n'avais pas honte par rapport à ce qui s'était passé entre nous la dernière fois. Je n'aurai même pas dû être entrain de faire ce que je suis entrain de faire. Non, j'aurai dû rester loin de cette satané planche. Pourtant l'envie d'éclaircir toute cette histoire avait fini par prendre le dessus. À présent je ne souhaitais qu'une chose : que justice soit faite. Mais comment cela aurait-il pu être possible ? Abraham était libre et peinard. Je me demandais aussi pourquoi Chase ne s'était pas vengé à son tour en lui ôtant la vie. Je me souvenais de la brutalité dont il avait fait preuve avec moi. C'était Abraham qui méritait un tel traitement, pas moi. _ J'ai quelques questions à vous poser, avais-je dit d'une voix tremblante. «Je m'en doutais». _ Vous m'avez suivie aujourd'hui ? «Non» _ Pourquoi ? «J'avais besoin de réfléchir». _ À quoi ? «À la vie, à la mort, à toi». Sa réponse si mystérieuse me laissa un peu perplexe. Il avait pensé à la vie, à la mort et à... moi ? Que voulait-il dire par là ? S'il ne m'avait pas suivie comme je m'y étais attendue, alors il n'avait pas vu l'altercation qu'il y avait eu entre moi et son oncle, compris-je. «Tu aurais voulu que je te suive ?» avait-il alors demandé en interprétant mal l'expression qu'il avait lu sur mon visage. _ J'ai croisé Abraham. Un long moment d'attente s'en suivit avant qu'il ne fasse déplacer la goutte en bois. Il avait compris que mes questions ne tournaient pas autour de nous deux mais plutôt de lui et son oncle. «Pose-moi tes questions» m'autorisa-t-il finalement. J'avais senti l'intonation glaciale que dégageait cette mise en droit de satisfaire ma curiosité. Apparemment lui non plus n'aimait pas en parler et je ne pouvais que le comprendre. Qui pourrait bien aimer discuter des circonstances de sa mort, surtout quand celle-ci avait été prémédité par un être proche de vous. _ Je veux savoir pourquoi il vous a tué, je veux savoir pourquoi vous l'avez laissé vivre impunément malgré ça. D'après ce que j'ai pu constater, il avait assez de force pour attaquer un homme vivant. Il me l'avait prouver en me faisant du mal la dernière fois alors pourquoi ne pas avoir fait subir la même chose à Abraham ? Comme si la réponse lui coûtait, il marqua un léger temps d'arrêt avant de se manifester. «Le tué ? Oui je pourrais. Mais à quoi cela me servirait-il ?» _ À rendre justice bien entendu. «Justice, un mot bien illusoire. Il n'y a pas de justice Kyla. Encore moins pour les morts. De toute façon c'est fini pour moi». Comment pouvait-il dire ça ? J'étais dégoûtée par son manque d'intérêt. À quoi je m'attendais au juste ? Ça fait des années que cet accident s'est produit et il a laissé cet homme s'en sortir aussi facilement. S'il n'avait pas réagi bien avant, ce n'est pas aujourd'hui qu'il allait le faire, encore moins à ma demande. Et moi comme une idiote, je voulais qu'il se fasse justice. Mais visiblement, il n'était pas disposé à m'écouter. _ Vous allez le laisser s'en sortir aussi facilement ? « Je n'ai pas envie de mener cette bataille». _ C'est tout ce que vous avez à dire ? m'étais-je époumonnée avec fureur. Savez-vous combien celui qui était votre plus proche ami souffre de vous avoir perdu ? Il ignore que c'était prémédité par votre oncle, mais dès qu'il le voit, il a envie de lui tirer dessus. Et vous, vous allez laisser passer ça comme si de rien n'était. Décidément vous ne méritez pas la tristesse qu'éprouve Darren depuis votre mort. «Ne prononce plus le nom de Darren». Je pouvais sentir la jalousie émanant de lui. Mais au lieu de me taire, je continuai sur ma lancée. _ Pourquoi ? C'est pourtant la vérité. C'était votre ami non ? Il serait si déçu de vous. «Ne parle pas de choses dont tu ignores tout». _ Croyez-moi, je sais assez de choses pour me rendre compte qu'en fait vous êtes un lâche tout comme votre soulard d'oncle. Je ressentis aussitôt une poigne autour de mon avant bras. Je baissai le regard sur ce dernier et je vis la peau se tordre et se plisser sous l'assaut de sa main invisible. La partie qu'il tenait se déforma comme une pâte à modeler. Refusant de lui montrer ma peur, je ne lâchai pas la goutte. J'attendis simplement qu'il arrête de son propre chef. Je ne comptais pas supplier cet imbécile. Lorsqu'il concéda enfin à ôter sa main de mon bras meurtri, ce fut pour former ces questions : «Et que veux-tu que je fasse petite sotte ? Que je le tue à mon tour ? Que je devienne un assassin comme lui ? Je ne veux pas salir mon âme». Énervée, j'achevai la séance de façon brutale et balançai la planche au loin avant de me tirer les cheveux. Je ne comprenais pas. Pourquoi ?! Pourquoi j'avais tant mal de le voir si indifférent ? Où était l'être v*****t qui avait failli me tuer l'autre nuit ? Chase avait tant de facettes, tant de personnalités que j'avais du mal à les discerner correctement. Ça me déroutait de le voir si calme et résigné à propos des agissements d'Abraham. Chase malmenait mon esprit dans tous les sens du terme. Tantôt doux, tantôt froid, tantôt sournois, tantôt rude. Tant que je vivrai sous ce toit qui est avant tout le sien, je devrais m'y faire. Mais pour l'heure, j'étais énervée. J'avais l'impression que Abraham avait gagné une fois de plus. *** Depuis cette nuit là, Chase ne s'était plus manifesté. Du moins je ne ressentais plus sa présence. Peut-être parce que je n'avais plus exprimé le désir de lui parler. Je lui faisais clairement la tête et ça avait duré une semaine environ. Il m'arrivait même de me demander s'il n'était pas parti pour de bon. Cette idée me rendait triste malgré moi et malgré tout mon ressentiment envers lui. Chase avait-il réellement osé m'abandonner ? Il avait gagné mon cœur sans que je ne m'y attende. Il était devenu le centre de ma vie, un être surnaturel pour lequel je voulais réclamer vengeance mais qui s'en foutait pour sa part. Durant cette courte période, je m'étais enfermée chez moi. Je ne sortais plus vraiment parce-que je ne voulais voir personne, surtout pas Abraham. Qui sait ce que j'aurais été capable de lui faire. Plus les jours passaient, plus cette pourriture me répugnait. À plusieurs reprises, Darren était venu frappé à ma porte mais je ne lui ouvrais pas. J'avais besoin d'être seule et c'est ce que je lui répondais à chaque fois qu'il m'écrivait des messages. J'étais trop absorbée par l'absence de Chase pour me concentrer sur autre chose. Puis comme un fleur celui-ci s'est ramené un beau matin. J'étais entrain de coudre quand ça s'est produit. Un subtil parfum que je reconnaîtrai entre mille flotta dans l'air. J'eus à peine le temps de m'en nourrir qu'un délicat b****r appuyé s'écrasa la peau de ma nuque dégagée par une queue de cheval haute ramenée sur le côté. C'était des lèvres chaudes et sans que je ne puisse le réfréner, un soupir de plaisir m'échappa. Je me rappelai aussitôt de ce qu'il avait dit concernant Abraham et de la raison de mon éloignement. Je ne devais pas oublier ça. Il avait choisi Abraham, eh bien qu'il aille habiter chez lui. Ou mieux, qu'il disparaisse de ma vie pour de bon. J'abandonnai ce que je faisais et m'éloignai de lui. Il ne chercha pas à me retenir et pourtant il aurait pu. J'étais encore énervée et il le savait. Mais apparemment il n'était pas prêt à faire des concessions ou à faire le premier pas. Je voulais qu'il fasse du mal a Gallagher, je voulais qu'il se venge mais ça ne faisait pas peu dire ses plans à lui. Mais s'il croyait pouvoir m'attendrir avec des caresses, il se trompait. Ce petit jeu continua plusieurs autres jours. N'importe où dans la maison et à n'importe quelle heure, il me prenait par surprise. Il m'effleurait toujours de façon délicate mais je me soustrayais aussitôt malgré le plaisir que je ressentais. Une fois il avait même essayé de m'embrasser. Il aurait presque réussi si sa poigne dans ma chevelure avait été beaucoup plus ferme. Et moi, je le rejetais incessamment parce que je refusais de comprendre son choix de laisser les choses ainsi. Et plus il continuait, plus j'avais l'impression de me priver de ce que j'aimais. Car oui, je commençais à ressentir plus que de l'attirance sexuelle pour lui. Je... Je l'aimais. J'étais pitoyablement entrain de tomber amoureuse d'un fantôme et ce malgré tout le mal qu'il avait pu me faire dans le passé. J'en avais honte et ça me rendait folle. Ça me poussait à le repousser plus brutalement lorsqu'il me touchait. Un samedi matin ensoleillé, je décidai d'aller faire les courses car mon garde-manger était quasiment vide. Je n'avais plus que deux boîtes de biscuits et quelques cannettes de boissons gazeuses. Je ne pouvais pas me nourrir uniquement de cookies, encore que je n'en avais plus beaucoup. Puisque je comptais rester enterrée quelques jours de plus, il me fallait me ravitailler au plus vite. Je m'habillai donc et me mit en route pour la supérette. J'avais choisi la plus proche pour croiser le moins de personnes possible mais ce fut inévitable. Certains habitants de la ville m'avaient reconnue. Ils me demandèrent si j'allais bien et pourquoi j'avais disparu durant ces quelques jours. Je leur mentis en disant que j'étais simplement malade. Pour mettre fin aux incessantes séances d'interrogation, je décidai de vite terminer mes achats. Après avoir complété ceux-ci en y ajoutant des produits laitiers et des pizzas surgelés, je me rendis à la caisse. Je réglé le tout en remerciant le vendeur qui me regardait étrangement. C'était vrai que j'avais une tête d'enterrement, l'abattement se faisait lire sur mon visage. Alors que je marchais vers la sortie, je faillis heurter une femme qui entrait. _ Kyla ! s'exclama Lucianna visiblement ravie de me revoir. Elle n'était pas encore partie celle-là ? Elle me prit dans ses bras mais je restai inerte car j'avais des sacs de courses en main et je ne pouvais pas les lâcher. _ Lucianna ? Qu'est-ce-que- _ Rick et moi avons décidé de nous installer définitivement à West-Sosa. Du moins jusqu'à ce qu'on se lasse de l'endroit. _ Oh..., fut tout ce que j'avais trouvé à dire. _ Comme tu peux le voir, je commence à prendre de l'âge et j'ai besoin de me poser. Cette ville peut paraître ennuyeuse d'un premier abord mais il y a des choses intéressantes qui s'y déroulent lorsqu'on y prête un peu plus attention, avait-elle dit avec un clin d'œil. Je compris instantanément qu'elle parlait de moi. _ Heureuse d'être divertissante pour toi, avais-je grommelé. Je vois que mes problèmes te servent de séries télévisées. _ Oh ne fais pas cette tête ma jolie. C'était juste une blague. Mais avec tes tribulations, on ne s'ennuie pas. _ Je ne trouve pas ça drôle. Toi plus que quiconque connaît la tempête qui secoue ma vie actuellement. Je ne vis même plus, je survis. _ À ce propos, j'attendais ta visite mais tu n'es plus revenue. Pourquoi ? _ Je- _ Non, ne dis rien. Allons ailleurs pour en parler tu veux ? Je hochai la tête et acceptai car elle avait raison. L'endroit était bondé alors ce n'était pas approprié pour parler de Chase. Lucianna m'entraîna dehors en posant une main sur le bas de mon dos comme si nous étions de vieilles amies. Dans un sens ça ne me gênait pas car elle connaissait cette partie de mon histoire, cette séquence si intime de ma vie. Alors oui, je pouvais la considérer désormais comme une amie. Nous trouvâmes un coin tranquille à quelques pas de la supérette. C'était une sorte un air de repos. Cependant il n'y avait personne et cela nous convenait tout à fait. Je déposai mes fardeaux sur la table d'un banc fait de bois et nous prîmes place côte à côte. _ Où se trouve ton mari ? _ Il travaille. En me voyant hausser les sourcils elle argumenta. _ Quoi ? Tu pensais qu'on vivait seulement de mes dons de voyance ? _ Euh... oui j'avoue. _ Rick était banquier avant de me rencontrer. Ma nature bohème l'a séduit et il s'en est imprégné en laissant tout derrière. Dans chaque ville où nous allons, il fait de petits jobs. Actuellement il est chez Monsieur Mills. Ton ami le shérif... Comment il s'appelle déjà ? _ Darren? _ Oui c'est ça. Il l'a aidé à trouver du travail chez le Maire. Rick lui sert de comptable ou un truc du genre. _ Et toi tu vas faire quoi ? _ Prédire l'avenir des habitants de West-Sosa bien-sûr. Tu serais étonnée de voir le nombre de personnes que je reçois chaque jour pour des consultations. Les gens ont de sacrés problèmes par ici contrairement à ce qu'on peut penser. Mais assez parlé de moi, tu as beaucoup de choses à me dire il me semble. Où en es-tu avec le fantôme de Chase ? Son regard perçant me déstabilisa comme toujours et je baissai les yeux en me tripotant les doigts. J'avais honte de lui révéler ce que j'étais sur le point de lui avouer. Je savais qu'elle n'allait pas me juger, mais c'était plus fort que moi parce-que la conscience me soufflait que j'avais tort d'aimer un mort. _ Je crois que j'aime Chase, j'avais soufflé d'une petite voix. _ Ah... Tu ne veux plus l'emprisonner dans une boîte ou l'éradiquer de ta vie n'est-ce-pas ? Elle avait dit cela en souriant à mon égard avec une indulgence maternelle que je n'avais jamais savouré chez aucune autre femme. Cela m'ébranla profondément. _ Tu sais Kyla, je m'y attendais. Je savais que ça finirait comme ça. C'était quasiment inévitable. Je ne t'ai pas prédit cette partie de ton avenir parce que j'avais peur que tu fasses tout pour la modifier, même si personne ne peut changer son destin. Tu es une femme têtue et bornée. Il a réussi à te faire oublier ton objectif sans même que tu ne t'en aperçoive. _ Je sais. Je me dégoûte. _ Non, non, non ! Ne dis pas ça. Il n'y a rien de mal. Tu n'as fait que suivre mon conseil : lâcher prise. S'est-il passé autre chose entre vous ? _ Autre chose ? avais-je répété en faisant mine de ne pas comprendre. _ De plus intime je veux dire. Je m'empressai de secouer négativement la tête et elle perçut aussitôt mon mensonge. _ Kyla, tu ne sais vraiment pas mentir. Tu ne peux rien me cacher mon enfant. À force d'avoir lu dans l'avenir des autres, j'ai fini par acquérir une tonne d'autres sens au point que j'ai l'impression de vivre sur terre depuis des siècles. J'ai vu trop de choses dans ma vie pour que tu puisses me duper avec tes tiques nerveux. Alors ? Je fermai les yeux et honteuse, je lui déballai la vérité.
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