Chapitre 4

2944 Words
Lorsque je refermai à nouveau la porte, je ne sentis plus la présence de Chase. Où était-il ? S'il était parti, c'était tant mieux. Pendant près d'une heure, je fis le cent pas dans ma chambre en m'attendant à le voir surgir. Finalement je rangeais rapidement le salon et partie me coucher la peur au ventre. J'ignorais si j'avais raison de m'inquiéter autant à propos de cette séance mal clôturée mais ça m'effrayait tout de même. Maudit Darren, il a choisi le mauvais moment pour se pointer. Étais-je vraiment entrain de maudire ce pauvre Darren à cause de cette ordure qu'était Chase ? me suis-je subitement demandé en retrouvant ma raison. En plus, j'avais peur de me faire v****r par Chase. Même si je ne l'avais jamais vu en chair et en os, je savais qu'il dégageait quelque chose d'écrasant. Il représentait une énorme menace pour moi, pas seulement à cause du sombre dessein qu'il avait à mon sujet, mais aussi et surtout parce que je ne savais pas encore si j'allais pouvoir y échapper. Il aurait pu attaquer n'importe où et n'importe quand en me prenant par surprise. Je n'aurai eu aucun moyen de me défendre. J'aurai dû partir loin de là, ne serait-ce que pour aller m'installer dans le motel de la ville aussi miteux soit-il. Mieux encore, j'aurai dû agir en femme intelligemment sensée et ramasser mes effets pour fuir, retourner à New-York, demander à mon chef de me reprendre. J'avais été un bon élément dans son équipe alors il m'aurait reprise sans une once d'hésitation. Je ne comptais plus le nombre de fois où il m'avait appelée pour me supplier de revenir sur ma décision. Mais une force inconnu -autre que Chase- me retenait solidement en me gardant prisonnière de cette maison hantée. Je fouillai dans mes tiroirs à la recherche d'un objet que j'avais honteusement négligé au cours des dernières années et qui aurait pu me protéger bon nombre de fois. Il s'agissait du petit crucifix qu'une nonne m'avait offert juste avant ma sortie de l'orphelinat. Il était en argent, mesurait quatre centimètres de longueur, deux de largeur et était fin. À chaque extrémité et au centre, reposait un faux petit rubis ressemblant à une goutte de sang. Les gemmes étaient donc cinq au total. La médaille avait préalablement été bénite par un prêtre. Je l'accrochai à une mince chaîne en argent et la passai autour de mon cou. Le contact du métal froid me rassura quelque peu. Je passai la nuit à prier à genoux au pied de mon lit avec la sainte Bible posée sur mon matelas et ouvert devant moi. Ça m'avait manqué. Je me rendis compte à quel point j'avais négligé mon Dieu depuis que tout allait bien dans ma vie. Il a fallu que je sois accablée par les problèmes avant de me souvenir à nouveau de lui. Mais comme on le disait si bien : il valait mieux tard que jamais. Vers cinq heures du matin et après la lecture de plusieurs psaumes et versets bibliques, je finis par m'endormir de fatigue et sans m'en apercevoir. Je me réveillai plus tard avec des courbatures à cause de la position dans laquelle j'avais sombré dans le sommeil. La montre murale m'indiquait qu'il était plus de neuves heures du matin. Après avoir fait ma toilette, j'appelai Darren pour lui donner mon accord en ce qui concernait le rendez-vous du soir. J'avais cruellement besoin de décompresser et de sortir de cette maison un temps soit peu. Il parut satisfait et on convint qu'il viendrait me chercher à dix-neuf heures devant devant chez moi. Je passai le reste de la journée à travailler en ayant l'esprit ailleurs. À force, je commis des bêtises et faillis gâcher la robe de mariée d'une cliente. Par chance, je pus réparer la catastrophe. Le soir venu, je m'apprêtai pour mon rendez-vous Darren. En m'examinant dans le miroir, je réalisai que j'avais des cernes horrible, ma peau était blafarde. J'essayai de camoufler tout ça à l'aide de maquillage. J'enfilai ensuite une robe chemise cache-cœur de couleur bordeaux et qui m'arrivait au dessus du genou. Elle était léger et fluide. Je me fis une demie queue de cheval serrée et laissai l'autre moitié libre dans mon dos. Le médaillon fut le seul bijou que je m'autorisai à porter car je ne voulais pas en faire trop. Ce n'était pas un rendez-vous amoureux et même si ça avait été le cas, je n'étais pas d'humeur. Tout au long du processus de préparation, mes sens étaient à l'affût du moindre bruit ou de la moindre sensation négative pouvant me mettre en état d'alerte. Mais rien ne se produisit d'anormal. Sans me parfumer, je pris les clés de la maison et mon portefeuille pour ensuite les glisser dans la poche de la robe. Je ne comptais pas m'encombrer d'un sac à main. Darren klaxonna à ce moment précis. Toujours aucune présence de Chase et c'était tant mieux. Après avoir pris le soin d'éteindre les lumières du rez de chaussée, je sortis avec ma croix au cou, ma main était jalousement posée dessus. Il faut dire qu'elle ne m'avait pas quittée depuis que je l'avais mise ce matin là. Darren attendait sagement en étant appuyé contre une des portières. Il ne portait pas son sempiternel uniforme de travail mais une tenue décontractée et simplette qui lui allait bien. _ Bonsoir beauté. _ Hey shérif Myers ! lui avais-je répondu avec une douceur teintée de tristesse qu'il ne parut pas remarquer. _ Votre carrosse est avancé mademoiselle. Sa bonne humeur était si contagieuse que je ne pus m'empêcher de rire malgré mes soucis. Il était si naturellement spontané et jovial pour un shérif. J'aimais ça. Mon regard se posa une fois de plus sur l'automobile qu'il me présentait avec une galanterie exagérée. _ Est-ce bien judicieux d'utiliser sa voiture de service pour venir chercher un rancard ? lui avais-je malicieusement demandé. _ Je suis le patron alors j'ai le droit, avait-il souri grandement. Je suis heureux de voir que tu me considère déjà comme un rancard. Mes joues chauffèrent et j'eus un peu honte d'avoir parlé sans réfléchir. Mon but n'était pas de précipiter les choses avec lui. Il dut comprendre ma gêne car sans plus rien ajouter, il ouvrit la portière-avant de la voiture afin que je puisse m'installer sur le côté passager. Quelques secondes plus tard, il prit le volant et se mit en route. _ Joli crucifix. _ Merci. C'est un cadeau. _ D'un petit-ami resté à New-York ? Je compris qu'il tâtait le terrain pour voir si le champ était libre. L'image d'un Chase menaçant s'imposa à mon esprit et sans savoir pourquoi, je répondis énigmatiquement à Darren au lieu de nier avoir une quelconque relation. _ De quelqu'un, c'est tout. À lui d'interpréter les choses dans le sens qu'il souhaitait. Ma réponse ne l'avait pas satisfait et il se plongea dans un silence gênant en restant concentré sur la route. De mon côté je n'ouvris pas la bouche moi non plus car mes idées restaient fixées sur Chase McKay. Nous rendre au cinéma en voiture nous avait pris à peine dix petites minutes. Darren retrouva le sourire lorsqu'il m'ouvrit la portière. J'étais surprise de voir combien l'endroit était moderne. Il y avait plein de jeunes venus voir la projection du film qui datait quand-même un peu. Darren remarqua mon air surpris et me demanda: _ Ça ne va pas ? _ Oh si, bien-sûr que si. C'est juste que l'endroit à l'air si citadin et moderne. Sourcils froncés, Darren me considéra avec étonnement. _ Tu n'es jamais venue ici depuis que tu t'es installée à West-Sosa ? _ Non. Je dois dire que je ne sors pas beaucoup et quand je le fais, ce n'est pas pour aller bien loin. En fait, je m'attendais à un bâtiment... _ Malfamé ? _ Un peu. Disons plutôt vieillot. Il rigola et m'expliqua que c'était le cas il y a environ deux ans. Mais vu le nombre important de jeunes dans la petite ville qu'était West-Sosa, il fallait bien trouver de quoi les divertir car ils n'allaient sans doute pas apprécier de venir dans un coin ressemblant à un repère pour les vieux. Ça les aurait pousser à partir vers d'autres horizons. C'est alors que les personnes importantes de la ville s'étaient organisés pour cotiser afin de donner un visage nouveau au local cinématographique. D'après Warren, la ville ressemblait avant à un endroit abandonnée ou à une agglomération de fermes. Mais depuis que l'actuel maire avait été élu, les choses évoluaient petit à petit. _ Pour toi qui est né ici, ces changements ont dû être énormément bénéfiques. _ En effet, me confirma-t-il gentiment avant de me conduire à l'intérieur du local moderne. Il devait en savoir plein de choses. Je mourais d'envie de le questionner à propos de Chase mais je craignais de commettre une bévue en en disant trop. Je décidai donc de garder tout ça pour moi pour le moment. *** J'avais trouvé le film émouvant comme toujours avec Whoopi Goldberg qui avait su jouer son rôle à la perfection. J'avais rit, versé quelques larmes et chanté silencieusement les paroles de "Unchained melody" durant la scène de l'argile avec des deux acteurs principaux. Je n'avais pas pu m'empêcher de comparer cette histoire dramatique à la mienne. Il y avait autant de similitudes que de points de divergence entre elles. Il y avait une fantôme en scène et ce dernier essayait de communiquer avec moi. Mais contrairement à l'héroïne du film, je n'étais pas amoureuse de ce spectre. Lui et moi n'étions pas en couple et on ne se connaissait pas avant son décès. De plus, Chase ne cherchait pas à entrer en contact avec moi pour les bonnes raisons. Il voulait juste abuser sexuellement de moi. Putain, l'âme d'un mort éprouvait du désir pour moi qui était bel et bien vivante. Quelle histoire digne d'un roman d'horreur. J'aurai pu écrire un best-seller avec ça si j'avais été doué pour l'écriture. Je croyais toujours nager en plein rêve. Je m'attendais toujours à me réveiller dans mon ancien lit et dans mon appartement à New-York. J'aurai narré les faits à Bill mon ancien colocataire. Il m'aurait alors - comme à son habitude - ri au nez. Mais il ne fallait pas se leurrer : j'étais bel et bien à West-Sosa, très loin de New-York et j'avais réellement un maudit fantôme aux fesses. Ma situation était critique et anormalement inquiétante. Après avoir quitté le vieux cinéma quelques heures plus tard, nous avons décidé d'aller dîner chez "Violet's House". D'après Darren, on y cuisinait la meilleure nourriture de tout l'État. S'il le disait, alors c'était vrai et je lui faisait confiance pour ça. Je n'avais pas vraiment faim mais n'avais pas non plus le cœur à lui dire non. Nous nous y sommes donc rendus alors qu'il était plus de vingt-deux heures. On y servait de la nourriture jusqu'à minuit donc on n'aurait pas dérangé les serveurs et les cuisiniers. Alors qu'on nous installait à une table et que Darren saluait chaleureusement la propriétaire, je tombai sur le vieux Abraham venu lui aussi manger un morceau. Enfin, "manger" était un bien grand mot. Une bouteille de bière était coincée sous son bras tandis que trois autres vidées jonchaient la table qu'il occupait quelques secondes plus tôt. Son regard était aussi fuyant que le mien était accusateur. Il paya rapidement son addition et prit la fuite comme s'il avait peur que je lui fasse subir une séance d'interrogation. Je n'avais plus son temps. J'allais me débrouiller seule à présent pour éradiquer le danger que représentait son maudit neveu. J'allais trouver un moyen de me débarrasser de Chase, avais-je subitement décidé en retrouvant un élan de confiance. Une idée me traversa l'esprit. En effet la voyante m'avait dit que je pouvais revenir lui parler. Je me suis alors dit qu'elle serait peut-être d'une aide précieuse. Elle devait en connaître tout un rayon sur le sujet. L'esprit ailleurs, je commandai un repas léger constitué d'une salade et d'un verre d'eau. Je fus obligé de revenir sur terre en entendant vaguement Darren me demander quelque chose. Je dus lui demander pardon pour qu'il répète. _ Je demandais si tu ne voulais pas autre chose. La salade ça ne me semble pas assez consistant. _ Ne t'inquiètes pas, ça me suffit largement. Je n'aime pas manger lourd lorsqu'il est plus de dix-huit heures. _ Tu n'as pas l'air dans ton assiette ce soir. Tu as des soucis personnels ? _ Non, c'est simplement que ce film me laisse toujours pensive, avais-je mentis avec brio. _ Et moi qui pensais te le faire découvrir. Tu aurais dû me dire que tu l'avais déjà visionné. Il y avait aussi "La nonne" au programme. Un film d'horreur ? Pas question. Comme si ma vie n'était pas déjà assez cauchemardesque. _ Ce n'est pas grave. De toute façon, je ne me lasse jamais de regarder ce film encore et encore, avais-je avoué pour rassurer Darren. Nos repas arrivèrent rapidement et nous mangeâmes en discutant comme de bons amis. Près de dix ans nous séparaient mais ça ne nous empêchait pas de nous comprendre. Parfois mon esprit s'égarait et je pensais à Chase. Mais je revenais très vite à moi pour me concentrer sur Darren. Je le trouvais de plus en plus beau et charmant. Cette ride qui naissait à gauche de ses lèvres lorsqu'il me faisait un sourire en coin, cette mimique qu'il avait lorsque je le contredisais gentiment, tout ça me rappelait combien c'était mal de désirer Chase -un mort de surcroît- alors que Darren lui était bel et bien vivant. Chase n'aura jamais l'attitude naturel de Darren. Aussi, j'avais peur qu'il s'attaque au shérif. Je n'avais pas encore expérimenté la colère de Chase et je ne voulais prendre aucun risque. D'une part, tant que cette histoire ne n'aurait pas été réglée, Darren et moi, ça devait attendre. Mais d'autre part, je devais récolter assez d'informations pour en apprendre plus sur Chase et éradiquer le mal qu'il était. J'avais dit que je n'allais pas demander à Darren qui était en réalité Chase McKay mais c'était devenu plus fort que moi. Je sentais que les pistes étaient nombreuses et plus larges que je le pensais. Ne pouvant pas avoir confiance en Abraham, je devais faire avec les moyens de bord. _ Dis-moi ... _ Oui ? m'avait-il incitée après avoir englouti une bouchée de macaronis au fromage et à la sauce tomate. Je ne pus que remarquer à quel point il était mignon en parlant la bouche pleine. _ Tu connaissais l'ancien propriétaire de la maison que j'habite ? On dit qu'il est décédé. Darren arrêta instantanément de mâcher. Il me considéra d'un air indéchirable avant d'avaler ce qu'il avait en bouche. Il prit le temps de s'essuyer les lèvres avant de me répondre avec lenteur comme s'il choisissait ses mots avec soin. _ En effet, un tragique accident qui aurait pu être évité et qui malheureusement lui a coûté la vie pendant une nuit orageuse. _ Où l'a-t-on enterré ? _ Dans le vieux et unique cimetière de West-Sosa évidemment. Mais pourquoi tu veux savoir tout ça ? _ Simplement par curiosité. C'est normal il me semble vu que la maison m'appartient désormais. Il haussa les épaules et vida sa bouteille de Coca-Cola. _ Tu devrais questionner à Abraham Gallagher. Il est le mieux placé pour te répondre, m'avait-il conseillé d'un air étrangement sombre. D'ailleurs je crois l'avoir vu assis quelque part tout à l'heure lorsque nous sommes entrés. Il sillonnant la vaste pièce du regard mais en vain. _ Oui, il était là mais il est parti juste après que nous nous soyions installés. Et j'ai déjà essayé de lui parler mais c'était plutôt l'alcool qui me répondait à sa place. _ Ça ne m'étonne pas venant de ce sale vieux schnock, il maugréa. Je l'ai déjà arrêté plusieurs fois pour conduite en état d'ivresse. En plus son vieux pickup jaune tout cabossé est un véritable danger public qu'il ne cesse pourtant de trimballer dans la ville. J'ai beau en parler au maire Mills à ce sujet, il le laisse faire car ce sont de bons amis. Tiens tiens, j'en apprennais des choses. Ainsi donc le vieux maire et Abraham se connaissaient au point qu'il lui faisait des faveurs en le libérant à chaque fois que Darren l'arrêtait. _ Tout compte fait, évite de t'approcher de ce fou, Darren trancha sèchement. _ Pourquoi ? _ Évite, c'est tout. Depuis la mort de Chase, personne ne l'apprécie plus dans les environs. Sauf notre très cher maire bien-sûr. Tout le reste de la population de cette petite ville te dira que Abraham Gallagher est un farfelu. Et pour cause, Chase était quelqu'un qu'on appréciait tous. Il ne devait pas mourir, pas comme ça et encore moins à son âge. Je ne comprenais pas pourquoi on détestait tant Gallagher à cause du décès de McKay. C'était quoi le lien ? Selon moi la communauté aurait plutôt dû apporter tout son soutien à Abraham vu que c'était lui qui avait perdu son neveu, la famille qu'il lui restait. En plus Darren avait l'air ému et plongé dans ses souvenirs. L'histoire du décès de Chase était triste mais le shérif paraissait trop touché par ça. _ Tu as l'air d'avoir connu Chase plus que son oncle même. _ ... _ J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? avais-je demandé en voyant un fugace éclair de peine dans ses yeux. J'avais visiblement tiré sur une corde sensible. Avant même qu'il ne me réponde, je fis approximativement le lien.
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