Chapitre 3

2439 Words
Durant les trente premières minutes, rien de concret ne se passa. Pourtant il était là, je le sentais. Chase était dans l'air que je respirais, il était quelque part dans la pièce. Devant moi, derrière moi, à ma gauche, à ma droite ? Je n'aurai su le dire. Je ressentais son aura tout simplement. Mais enveloppée par un silence malaisant, je posais des questions dans le vide comme l'aurait fait une paumée. Il me semblait que je faisais tout ça pour rien. Le vendeur m'avait dit d'être patiente et de garder mon calme quoi qu'il arrive. Une bévue pourrait me faire bousiller la séance, une seule erreur et ma vie entière serait fichue. L'esprit - Chase ou un autre- aurait alors été lié à moi et il m'aurait été difficile de m'en défaire. Des cas de possession démoniaque étaient arrivés de cette façon. M'imaginer entrain d'être délivrée par un prêtre rendit ma gorge sèche et j'avalais péniblement ma salive. J'avais été élevée dans le catholicisme car l'orphelinat qui m'avait recueillie appartenait à des sœurs religieuses très pieuses. Elles auraient été très déçues en voyant ce que je m'apprêtais à faire malgré leurs enseignements prodigués. Je m'étais promis que après cette séance, que tout se passe bien ou non, je lirai la bible et adresserai une prière au Seigneur en demandant pardon afin qu'il m'accorde sa protection divine. En effet cette pratique était rejeté par le christianisme à cause du fait qu'elle permettait d'invoquer les forces démoniaques. Cependant ce ne fut pas assez pour m'empêcher d'aller acheter cette planche qualifiée de "satanique". Pourtant quelque chose me disait que tant que Chase serait là comme je le sentais, il ne laisserait aucun autre esprit se mettre entre nous. Venais-je vraiment d'employer le "nous" ? Il fallait croire que oui. J'avais hâte de vite en finir avec cette séance vaudouesque. Pour une âme aussi innocente que la mienne, ça n'avait rien de plaisant. Je continuais de demander à l'esprit s'il était là. Je sentais que j'étais sur le point d'abandonner car c'était épuisant de répéter inlassablement la même connerie du genre "esprit es-tu là ?". J'avais l'impression d'être actrice dans un film d'horreur. Vous savez, la conne de service qui commet des stupidités pas croyables sans écouter les avertissements des autres et qui crève au bout de quelques minutes. Or là, j'étais tout sauf dans un film, c'était la pure et dure réalité. Quant-à mourir, tout était possible. J'espérais quand-même sortir indemne de cette expérience en liaison avec l'au-delà. Finalement il dû avoir pitié de moi car il répondit enfin. Mes deux mains étaient placées sur la goutte sans y exercer de pression trop forte et je sentis une force la poucer très lentement vers le "oui". Mon sang se glaça et mon cœur rata pitoyablement un battement. Durant plusieurs secondes, je restai silencieuse en observant la planche de malheur. J'étais tétanisée. J'aurai dû préparer les questions et même si je les avais en tête quelques minutes plus tôt, maintenant elles s'étaient volatilisées de ma mémoire et ma langue refusait de se délier. La peur m'avait complètement paralysée. Après quelques longues secondes d'inspiration et d'expiration, mon corps se relâcha faiblement, juste ce qu'il fallait pour que je retrouve la faculté de parler. _ Chase, est-ce bien vous ? «Oui». Je soufflai enfin. Au moins c'était lui. Mais je ne devais pas crier victoire trop vite car une entité était parfaitement capable de duper en se faisant passer pour quelqu'un d'autre et en fournissant les réponses qu'on attendait de lui. Et si c'était bel et bien Chase, je devais savoir s'il était devenu un spectre malveillant. _ Allez-vous me faire du mal ? «Non». J'ai discrètement soufflé de soulagement mais il l'avait très certainement perçu. Alors que j'allais poser la question suivante, la goutte se déplaça sur des lettres alphabétiques pour ajouter une nouvelle réponse à laquelle je ne m'attendais pas vraiment et qui me surprit. «Ça dépend». _ D-de quoi ? avais-je demandé en balbutiant et en me sentant au plus mal. «De toi». Ses réponses étaient à la fois nettes, précises, mystérieuses et à double sens. À quoi jouait-il ? En gros, tant que je faisais ce qu'il voulait, tant que je ne le provoquais pas, je n'avais rien à craindre de lui. Au moins il ne s'amusait pas avec moi comme je m'y étais attendue. J'avais cru qu'il allait prendre un malin plaisir à agir comme un enfant malicieux le ferait pour irriter sa nounou. Par exemple il aurait pu faire en sorte que la goutte se mette à pointer les quatre bords de la planche, à dessiner un "8" au centre, à sortir de la limite rectangulaire. Il voulait juste me rendre encore plus nerveuse en se servant de mot au lieu d'utiliser la goutte. Et ça, c'était cent fois pire. _ Savez-vous qui je suis Chase ? l'avais-je questionné d'une voix que je ne reconnaissais même pas tellement mon calme était mis à rude épreuve. «Oui». Soudain la goutte quitta le "oui" pour sélectionner des lettres, le trou au centre encerclait ces dernières en évoluant lentement comme pour me narguer encore plus. Le fantôme prenait au moins cinq secondes avant de sélectionner chaque lettre servant à constituer ses phrases. C'était un dur travail pour moi car je devais mémoriser les lettres choisies et les souder au fur et à mesure si je ne voulais pas oublier les précédentes. « Évidemment que sais qui tu es Kyla Cunningham.» J'avalais ma salive de travers. J'avais l'impression d'entendre sa voix. Hypnotisante, cette dernière s'imposait à mon esprit, je l'imaginais rauque et basse, dangereuse comme son propriétaire. Celui-ci me parlait avec une manipulation subtilement faite. Les esprits étaient ainsi. Ils flattaient et mentaient pour arriver à leurs fins, ils étaient doués pour ça. _ Pourquoi vous faites tout ça ? Que voulez-vous ? «Tu sais parfaitement bien pourquoi je fais ça.» _ Non je ne le sais pas. «Menteuse». Il savait que je n'étais pas honnête. Lisait-il dans les pensées ? Non, je ne croyais pas. Ma voix et mon expression suffisaient à elles seules à me trahir. C'était comme si je jouais à un jeu d'échecs avec un adversaire assis en face de moi. J'imaginais très bien Chase dans ce rôle, surveillant mes moindres faits et gestes. Peut-être qu'il se trouvait présentement devant moi face à l'échiquier qu'était la planche. Peut-être qu'il me fixait avec un sourire malicieux pouvant en un rien de temps se transformer en sourire cruel. Pour éviter de l'énerver, je tentai une autre approche. _ Où vous trouvez-vous précisément en cet instant où nous discutons ? «Est-ce important ?» _ Pour moi oui ça l'est. «Pour moi non». C'est bien ce que je pensais. Il jouait avec les mots. Ne pas savoir où il était exactement positionné me frustra. Je me suis alors dit que peut-être qu'il évoluait dans la pièce, changeant ainsi de place. Je décidai de faire avec et de poser d'autres questions. _ J'aimerais mieux vous connaître. «Abraham t'a dit assez de choses sur moi il me semble». _ Comment savez-vous que je suis allée voir votre oncle ? Il habite à l'autre bout de la ville. M'avez-vous suivie ? _ «Lui seul possédait cette photo que vous détenez à présent. C'est mal de voler Kyla, très mal. Vilaine fille.» Cet homme que Abraham qualifiait de froid avait également une nature taquine. Mais moi, sa malice ne m'amusait guère. Elle me donnait l'impression de marcher sur de la braise ardente. _ Je la lui rendrai. «Garde-la. Elle te sera plus utile qu'à cet ivrogne. Ainsi tu pourras garder un souvenir de moi. Moi aussi j'aime t'observer. Mais ça, tu le sais déjà n'est-ce-pas ? Je te regarde quand tu couds, quand tu nages dans le lac et même quand tu te douches nue. Ton corps est sublime à admirer, ça me fait cruellement bander.» À chaque mot formé par les lettres sur lesquelles la goutte s'arrêtait, je rougissais violemment. Cette fois-ci Chase les sélectionnait beaucoup plus rapidement, ce qui traduisait son excitation. Il était le chasseur et moi la proie. Mais la victime que j'étais était fragile. Cette situation était tramatissante mais stupide que j'étais, je ressentais de l'excitation venue de je ne sais où. «Je suis content que ce soit toi et pas une autre qui soit venue vivre dans ma maison.» Après ça, la bordure de la robe se souleva. Je baissai le regard vers ma jambe. J'étais assise en tailleur, ce qui facilita les choses pour lui. J'ai instantanément eu la chair de poule et mes poils se sont hérissés en percevant la présence d'une main invisible sur ma cuisse. Il était donc à ma droite, du moins pour le moment. De façon paranormal, un espace se créa sous la jupe de ma robe en formant la main de Chase. Elle était grande et virile tout comme lui. Je ressentais tout comme si j'étais en contact avec un homme fait de chair et d'os. Si j'avais fermé les yeux, j'aurai pu y croire sincèrement tellement son toucher était naturel. Un souffle venant de l'homme invisible s'écrasa sur ma joue. Il était proche, beaucoup trop proche de moi. Les battements de mon cœur s'accélérait anormalement. Mais aussi intense que soit la peur, je m'interdissais de délaisser la goutte pour chasser sa main effroyablement baladeuse. Ça pourrait nuire à la séance. «Tu la sens n'est-ce-pas ? Sens-tu a quel point notre connexion est forte ?» _ Stop. «Je te rends nerveuse Kyla ?» Évidemment que si. Mais montrer à un esprit que vous étiez effrayé pouvait gonfler sa fierté et son égo. C'était des choses qu'ils sentaient et voyait alors avoir une confirmation verbale de votre part leur faisait toujours plaisir, surtout si vous faire peur était le but ce qu'ils cherchaient à atteindre. J'allais alors répondre "non" mais son "menteuse" raisonna dans mon esprit telle une douce petite menace. Je ne devais plus lui mentir sinon qui sait comment il allait le prendre ? Il n'allait pas toujours être si calme. Son invisibilité était un atout pour lui, je ne verrais pas les coups venir. _ Je parle avec un défunt alors oui, vous me rendez nerveuse Monsieur McKay. Ôtez votre main s'il-vous-plait, l'avais-je supplié avec calme. «Je n'en ai pas envie.» Son refus me signifiait que si j'insistais, ça allait mal finir. J'étais faite comme un rat. Sa main continuait son chemin et se rapprochait de ma culotte. Mes doigts étaient crispées sur la goutte qui continuaient à se déplacer. «Tu es à moi Kyla. Je vais bientôt te posséder de gré ou de force et tu vas aimer ça.» Je m'étais pétrifiée d'effroi. Je ne m'étais pas attendue à ce qu'il lâche ça aussi crûment. Cet homme était démoniaque. J'aurai mille fois préféré tomber sur une entité tout droit venue des tréfonds de l'enfer. Lui au moins n'aurait très certainement pas eu l'intention d'abuser de moi. C'était trop. J'allais couper la communication lorsqu'on frappa quelques coups à ma porte. Dans un sursaut, je rompis le contact entre mes doigts et la goutte en bois. Celle-ci quitta aussitôt la limite de la planche et fut projetée contre le mur en même temps que la main disparaissait de sous ma jupe. Le bruit se répercuta dans la pièce et je le trouvai horrible. C'était sûrement Chase qui avait fait ça par colère. Mais pourquoi ? Dans tous les cas, la communication avait été coupée de la mauvaise manière. J'aurai dû dire au-revoir en déplaçant la goutte sur l'endroit où se trouvait le mot en question. Le mal était désormais fait. Il allait encore plus être collé à moi et c'est justement ce que je ne souhaitais pas voir arriver. Dehors la personne insistait. Et si c'était toujours Chase qui s'était amusé à faire ça pour me déconcentrer ? Si c'était lui, il avait réussi son coup. Néanmoins je m'approchai de la porte et demandai craintivement: _ Qui est-ce ? _ C'est le shérif Myers. Je fus très étonnée d'entendre la voix de Darren. J'ouvris en débloquant la porte et en passant la tête à travers l'encadrement. Il se tenait sous le pas de ma porte et étant encore vêtu de son uniforme. Son chapeau était coincée sous son bras. La lumière de la lampe d'extérieur accrochée au plafond rendait sa chevelure blonde encore plus immaculée. Son visage laissait transparaître une certaine nostalgie que je ne compris pas. _ Darren? Que fais-tu là ? _ Bonsoir Kyla. Je peux entrer ? Il cherchait à voir l'intérieur de la maison mais je lui barrais la vue. Je jetai un bref coup d'œil à mon salon. La planche était toujours posée sur le sol. Je n'avais pas eu le temps de la cacher ni d'éteindre la multitude de bougies. Il allait trouver ça étrange alors il valait mieux ne pas le laisser entrer. J'inventai alors une excuse bidon tout en refusant d'ouvrir grandement la porte. _ C'est que... Il se fait tard et... On peut parler ici si ça ne te dérange pas. _ C'est bon, je comprends. Je lui fut reconnaissante de ne pas le prendre mal, il me facilitait la tâche. _ En quoi puis-je t'aider ? _ Je me demandais si te dirait d'aller au cinéma avec moi demain soir. Je ne m'attendais pas à une telle proposition et le choc dû se faire voir sur mon visage car il m'offrit un sourire rassurant. _ C'est sans aucune arrière pensée, je te le promets. Je sais que j'aurai dû appeler mais je me suis tardivement rendu compte que je n'avais pas ton contact. En plus je n'ai pas pu terminer mon travail plus tôt aujourd'hui. _ Ça pouvait attendre un autre jour non? lui avais-je souri de façon crispée. _ Ils projettent "GHOST" demain. C'est une occasion à ne pas rater. Ghost ? J'adorais ce film et je trouvais ça ironique qu'il me propose d'aller voir cette séquence sans même savoir qu'un fantôme me tournait autour. Néanmoins j'avais besoin de me changer les idées alors pourquoi pas? Mais en attendant, j'avais un problème plus urgent à régler. _ Je te donnerai ma réponse demain matin d'accord ? _ Super. Je lui laissai mon contact afin qu'il puisse s'en aller au plus vite. Par politesse, je lui demandai si lui et ses hommes avaient retrouvé l'enfant disparu lors de la fête foraine. Il me répondit que oui et que c'était seulement une fausse alerte. En effet le gamin s'était planqué pour faire peur à sa mère. Après nous être souhaité une bonne nuit, nous nous dîmes au-revoir. Il monta dans sa voiture de service et démarra avant de disparaitre dans la nuit sombre.
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