XIII
La tête de brochetUne jeune paysanne alla un jour herser dans le clos de ses parents. Elle travaillait depuis longtemps lorsqu’on l’appela à la maison pour manger des beignets. Elle quitta le clos en y laissant le cheval et la herse. « Puisque je vais revenir, ils peuvent bien rester là », pensa-t-elle. Mais le voisin avait un fils qui était un imbécile. Depuis longtemps ce garçon avait des vues sur la jeune fille et il ne savait comment arriver à ses fins. Ayant aperçu le cheval et la herse, il franchit la haie, détela l’animal et l’emmena dans son clos ; la herse, il la laissa à sa place, mais il prit les limons, les fit passer à travers la haie et remit le cheval au brancard. Grande fut la surprise de la paysanne quand elle revint dans son clos : « Qu’est-ce que cela veut dire ? Le cheval est d’un côté et la herse de l’autre ? » Elle commença à allonger des coups de fouet à sa rosse : « Quel diable t’a emmené ? Tu as su sortir du clos, tu sauras bien y rentrer ; allons, allons, arrive ! » Le jeune homme l’écoutait en riant. « Si tu veux, je t’aiderai, dit-il, seulement permets-moi… – Soit », répondit la rusée jeune fille. Elle avait remarqué par terre une vieille tête de brochet qui traînait là avec la bouche béante ; elle la ramassa, et la fourra dans sa manche. « Je n’irai pas près de toi, dit-elle au jeune homme, ne viens pas non plus ici, il ne faut pas qu’on nous voie ; passe-moi plutôt ton affaire à travers la haie et je la mettrai où tu sais. » Le gars s’empressa de faire ce qu’on lui disait ; la jeune fille prit la tête de brochet et, après en avoir écarté les mâchoires, y introduisit l’objet qui y était présenté. Sentant une douleur cruelle, le jeune homme retira au plus vite son membre ensanglanté et se sauva chez lui, où il s’assit dans un coin. « Ah ! peste soit d’elle ! se dit-il, son c.n mord d’une façon terrible ! Pourvu seulement que ma blessure se cicatrise ! Désormais je ne rechercherai plus les faveurs d’aucune fille. »
Voilà qu’au bout d’un certain temps les parents de ce gars s’avisèrent de le marier ; ils le fiancèrent à la fille du voisin et le mariage eut lieu. Un jour, deux jours, trois jours se passent, puis une semaine, deux semaines, trois semaines : le jeune homme n’osait pas toucher à sa femme. Sur ces entrefaites, les époux durent aller voir la mère de la mariée ; ils se mirent en route. Pendant le voyage, la jeune femme dit à son mari : « Écoule, cher Danikoula, pourquoi, m’ayant épousée, n’as-tu pas de relations avec moi ? Si tu ne peux pas, quel besoin avais-tu de faire le malheur de ma vie ? – Non, répondit Danilo, à présent tu ne m’y repinceras plus ! Ton c.n mord. Il m’en a cuit dans le temps, et ce n’est pas sans peine que j’ai été guéri. – Tu plaisantes, reprit-elle, alors je t’ai fait une farce, mais maintenant n’aie pas peur ! Allons, essaie un peu ici, dans le traîneau, toi-même tu trouveras ça bon. » Excité par ces paroles, le jeune homme retroussa la robe de sa femme : « Attends, Varioukha, dit-il, laisse-moi d’abord te lier les jambes ; comme cela, s’il commence à mordre, je pourrai me sauver. » Là-dessus, il détacha les guides et les noua autour des cuisses nues de Varioukha. C’était un mâle vigoureux que ce mari ; il assaillit sa femme avec tant de violence qu’elle jeta les hauts cris. Le cheval était jeune, il prit peur et partit à grand galop ; Danilo roula à terre et Varioukha, emportée à toute vitesse, arriva, les cuisses toujours nues, dans la cour de sa mère. Celle-ci, qui regardait par la fenêtre, reconnut l’équipage de son gendre. « Sans doute, se dit-elle, il apporte du bœuf pour la fête. » Elle alla au-devant de lui et se trouva en présence de sa fille. « Ah ! ma mère, cria la jeune femme, délie-moi vite, que personne ne me voie en cet état. » Quand elle l’eut déliée, la vieille se mit à la questionner : « Et ton mari, où est-il ? – Le cheval l’a jeté en bas du traîneau. »
Entrées dans l’izba, les deux femmes aperçurent par la fenêtre Danilka, qui arrivait. Des enfants jouaient aux osselets dans la cour ; il s’approcha d’eux, puis s’arrêta et regarda autour de lui. La maîtresse de la maison dit à sa fille aînée d’aller le chercher. La jeune fille se rendit auprès de son beau-frère. « Bonjour, Danilo Ivanitch ! commença-t-elle. – Bonjour. – Viens à la maison, on n’attend plus que toi. – Varvara est chez vous ? – Oui. – Est-ce qu’elle ne saigne plus ? » La jeune fille lança un jet de salive et s’éloigna. La vieille envoya alors sa bru au-devant du visiteur. « Viens, Danilouchka, fit celle-ci, il y a longtemps que le sang a cessé de couler. » Elle le conduisit à la maison, où il fut reçu par sa belle-mère, qui lui dit : « Sois le bienvenu, mon cher gendre ! – Varvara est chez vous ? demanda-t-il. – Oui. – Est-ce qu’elle saigne encore ? – Il y a longtemps que c’est fini. » À ces mots, Danilo sortit son membre de son pantalon et le montra à sa belle-mère en disant : « Voyez-vous, matouchka, je lui ai logé toute cette alène dans le corps ! – Allons, allons, assieds-toi, il est temps de dîner. » On se mit à table et chacun commença à manger et à boire. On servit une omelette ; l’imbécile eut envie de la manger tout entière à lui tout seul et s’avisa pour cela d’un stratagème ingénieux : il exhiba son membre, frappa dessus avec sa cuiller et dit : « L’alène que voici a été tout entière dans le corps de Varioukha ! » Ensuite, il se mit à tailler l’omelette avec sa cuiller. Naturellement, tous les convives quittèrent la table ; Danilo mangea seul l’omelette, après quoi il remercia sa belle-mère de son hospitalité.