II
Le matin, à son réveil, Yvon essaya de reconnaître le pays où le hasard l’avait jeté. Il aperçut dans le lointain une maison grande comme une cathédrale, avec des fenêtres qui avaient cinquante pieds de haut. Il marcha tout un jour, avant d’y arriver, et enfin se trouva en face d’une porte immense, avec un marteau si lourd que la main d’un homme ne pouvait le soulever.
Yvon prit une grosse pierre, et se mit à frapper.
Entrez, dit une voix qui retentit comme le mugissement d’un bœuf ; au même instant la porte s’ouvrit, et le petit Breton se trouva face à face avec un géant qui n’avait pas moins de quarante pieds.
– Comment t’appelles-tu, et que viens-tu faire ici ? dit le géant, en prenant notre aventurier au collet, et en l’élevant de terre pour le voir plus à son aise.
– Je m’appelle Sans-Peur, et je cherche fortune, répondit Yvon, en regardant le monstre d’un air de défi.
– Eh bien, brave Sans-Peur, ta fortune est faite, dit le géant d’un ton de moquerie ; j’ai besoin d’un valet, je te prends à mon service. Tu vas entrer de suite en fonction. Voici l’heure où je mène paître mon troupeau ; tu nettoieras l’étable. Je ne te donne pas autre chose à faire, ajouta-t-il en riant du bout des lèvres, tu vois que je suis un bon maître. Fais ta besogne, et surtout ne rôde pas dans la maison, il y va de ta vie.
– Certes, j’ai un bon maître, l’ouvrage n’est pas rude, pensa Yvon, quand le géant fut parti. J’ai, Dieu merci, le temps de balayer l’étable. Que faire en attendant, pour me désennuyer ? Si je visitais la maison ? Puisqu’on me défend d’y regarder, c’est qu’il y a quelque chose à voir.
Il entra dans la première pièce ; il y avait une grande cheminée, avec une marmite accrochée à une crémaillère. Le pot bouillait, cependant il n’y avait pas de feu dans l’âtre.
– Qu’est cela, dit le Breton ; il y a du mystère là-dessous. Il coupa une mèche de ses cheveux, la trempa dans la marmite, et la retira toute cuivrée.
– Oh ! oh ! s’écria-t-il ; voilà un bouillon d’une nouvelle espèce ; à l’avaler, on se mettrait une cuirasse dans l’estomac.
Il passa dans la seconde chambre ; là encore était un pot suspendu à une crémaillère, et qui cuisait sans feu. Yvon y trempa une mèche de cheveux, il la retira tout argentée.
– Dans la maison des Kerver, pensa-t-il, le bouillon n’est pas si riche, mais peut-être a-t-il meilleur, goût.
Sur quoi, il entra dans la troisième pièce. Là aussi était un pot suspendu à une crémaillère, et qui cuisait sans feu. Yvon y trempa une mèche de cheveux, et la retira toute dorée. L’éclat en était si vif qu’on eût dit d’un rayon de soleil.
– Bon ! s’écria-t-il ; dans notre Bretagne, les vieilles gens ont un proverbe qui dit : Tout va de pis en pis ; ici, c’est le contraire ; tout va de mieux en mieux. Qu’est-ce que je vais donc trouver dans la quatrième chambre, une soupe aux diamants ?
Il poussa la porte et vit quelque chose de plus rare que les pierreries. C’était une jeune femme d’une si merveilleuse beauté, qu’à son aspect, Yvon, ébloui, se mit à genoux.
– Malheureux ! s’écria-t-elle d’une voix tremblante, que faites-vous ici ?
– Je suis de la maison, répondit le Breton ; ce matin le géant m’a pris à son service.
– À son service ! reprit la jeune femme. Que le Ciel vous en retire ! – Pourquoi cela ? dit Yvon. J’ai un bon maître, l’ouvrage n’est pas rude. Une fois l’étable balayée, ma besogne est finie.
– Oui, et comment vous y prendrez-vous ? dit l’étrangère. Si vous faites comme tout le monde, pour chaque fourche de fumier que vous sortirez par la porte, il en rentrera dix par la fenêtre. Mais je vous dirai ce qu’il faut faire. Tournez la fourche, balayez avec le manche, le fumier s’enfuira de lui-même et d’un seul coup.
– J’obéirai, dit Yvon ; sur quoi il s’assit auprès de la jeune femme et se mit à causer avec elle. C’était une fille de fée, dont le misérable géant avait fait son esclave. Entre compagnons d’infortune, l’amitié n’est pas longue à venir ; avant la fin du jour, Finette (c’était le nom de l’étrangère) et Yvon s’étaient déjà promis d’être l’un à l’autre, s’ils pouvaient échapper à leur abominable maître. Le difficile était d’en trouver le moyen.
Les heures passent vite quand on cause de cette façon, le soir approchait ; Finette renvoya son nouvel ami en lui recommandant de balayer l’étable avant l’arrivée du géant.
Yvon décrocha la fourche, et, sans être trop défiant, il voulut s’en servir comme il avait vu faire dans son vieux château ; mal lui en prit, et il en eut bientôt assez ; car en moins d’un instant il y eut tant de fumier dans l’écurie que le pauvre garçon ne savait plus où se mettre. Il fit alors comme Finette lui avait dit, il tourna la fourche et balaya avec le manche. En un clin d’œil l’étable fut aussi propre que si jamais bétail n’y était entré.
La besogne finie, Yvon s’assit sur un banc à la porte de la maison. Aussitôt qu’il aperçut le géant, il leva la tête au ciel, et fit danser ses jambes en chantant une chanson de son pays.
– As-tu nettoyé l’étable ? demanda le géant en fronçant le sourcil.
– Tout est prêt, notre maître, répondit Yvon sans se déranger.
– C’est ce que nous allons voir, hurla le géant ; il entra dans l’écurie en grondant, trouva tout en ordre, et sortit furieux.
– Tu as vu ma Finette, cria-t-il, ce n’est pas de ta cervelle que tu aurais tiré cette malice.
– Qu’est-ce que c’est que Ma finette, dit Yvon, en ouvrant la bouche et en fermant les yeux. C’est-y une bête de ce pays-ci ? notre maître, faites-la-moi voir.
– Tais-toi, imbécile, répondit le géant ; tu ne la verras que trop tôt.
Le lendemain, le géant rassembla ses brebis pour les mener aux champs, mais, avant de partir, il ordonna à Yvon d’aller, dans la journée, lui chercher son cheval, qui était au vert sur la montagne.
– Après cela, lui dit-il, en riant du bout des lèvres, tu pourras te reposer tout le long du jour. Tu vois que je suis un bon maître. Fais ta besogne, et surtout ne rôde pas dans la maison, sinon, je te coupe la tête.
Yvon laissa passer le Cyclope, en clignant des yeux.
– Certes, disait-il entre ses dents, tu es un bon maître ; la malice ne t’étouffe pas ; mais, malgré tes menaces, je vais entrer dans la maison, et causer avec ta Finette ; reste à savoir si ta Finette ne sera pas à moi plutôt qu’à toi.
Il courut à la chambre de la jeune fille :
– Victoire, cria-t-il en entrant, je n’ai rien à faire de la journée que d’aller à la montagne pour en ramener le cheval.
– Très bien, lui dit Finette ; comment vous y prendrez-vous ?
– Voilà une belle question, reprit Yvon. Est-ce chose malaisée que de conduire un cheval ? j’imagine que j’en ai monté de plus méchants que celui-là.
– Ce n’est pas aussi facile que vous pensez, répondit Finette ; mais je vous dirai ce qu’il faut faire. Quand vous approcherez de l’animal, flamme et feu sortiront de ses naseaux comme d’une fournaise ; mais prenez le mors qui est caché derrière la porte de l’écurie, jetez-le droit entre les dents du cheval, aussitôt il deviendra doux comme un mouton, et vous en ferez ce que vous voudrez.
– J’obéirai, dit Yvon.
Sur quoi il s’assit auprès de Finette, et se mit à causer avec elle. De quoi parlèrent-ils ? De toutes choses et d’autres encore ; mais, si loin qu’ils allassent dans leurs fantaisies, ils en revenaient toujours là, qu’ils s’étaient promis d’être l’un à l’autre ; et qu’il fallait échapper au géant. Les heures passent vite quand on cause de cette façon. Le soir approchait ; Yvon avait oublié le cheval et la montagne ; Finette fut obligée de le renvoyer, en lui recommandant de ramener l’animal avant l’arrivée du maître.
Yvon prit le mors qui était caché derrière la porte de l’écurie, et courut à la montagne. Et voilà un cheval presque aussi gros qu’un éléphant qui approche au galop, en jetant feu et flammes par ses naseaux.
Yvon attendit de pied ferme l’énorme bête, et, quand elle ouvrit une mâchoire béante, il y jeta le mors. Aussitôt le cheval devint doux comme un mouton.
Yvon le fit mettre à genoux, lui grimpa sur le dos, et revint tranquillement au logis.
La besogne finie, notre Breton s’assit sur le banc, à la porte de la maison. Dès qu’il aperçut le géant, il leva la tête au ciel et fit danser ses jambes, en chantant une chanson de son pays.
– As-tu ramené le cheval ? demanda le géant en fronçant le sourcil.
– Oui, notre maître, répondit Yvon sans se déranger. C’est une jolie bête et qui vous fait honneur ; c’est doux, bien gentil et bien élevé. Il est là qui mange à l’écurie.
– C’est ce que nous allons voir, hurla le géant ; il entra en grondant, trouva tout en ordre et sortit furieux.
– Tu as vu ma Finette, cria-t-il ; ce n’est pas de ta cervelle que tu aurais tiré cette malice-là.
– Notre maître, dit Yvon, en ouvrant la bouche et en fermant les yeux, c’est donc toujours la même histoire. Qu’est ce que c’est que Ma finette ? Une bonne fois pour toutes, faites-moi voir ce monstre-là.
– Tais-toi, imbécile, répondit le géant ; tu ne la verras que trop tôt.
Le troisième jour, dès l’aurore, le géant rassembla ses brebis pour les mener aux champs ; mais, avant de partir, il dit à Yvon :
– Aujourd’hui, tu iras en Enfer toucher ma rente. Après cela, continua-t-il en riant du bout des lèvres, tu pourras te reposer tout le long du jour. Tu vois que je suis un bon maître.
– Un bon maître, soit, murmura Yvon ; mais la tâche n’en est pas moins dure. Allons voir ma Finette, comme dit le géant ; j’ai grand besoin qu’elle me tire d’affaire aujourd’hui.
Quand Finette eut demandé à son ami quelle était la besogne du jour.
– Eh bien ! lui dit-elle, comment vous y prendrez-vous cette fois ?
– Je n’en sais rien, dit tristement Yvon ; je n’ai jamais été en Enfer ; et, quand même j’en connaîtrais le chemin, je ne sais pas ce qu’il y faut demander. Parlez, je vous écoute.
– Voyez-vous ce grand rocher là-bas, dit Finette, c’est une des portes de l’Enfer. Prenez ce bâton, vous frapperez trois fois sur la pierre, et alors sortira un démon tout ruisselant de feu. Vous lui direz l’objet de votre visite ; il vous demandera : Combien voulez-vous ? Ayez soin de lui répondre : Pas plus que je n’en peux porter.
– J’obéirai, dit Yvon ; sur quoi il s’assit auprès de Finette, et se mit à causer avec elle. Il y serait encore si, à l’approche du soir, la jeune fille ne l’avait envoyé au grand rocher, pour faire la commission dont le géant l’avait chargé.
Arrivé au lieu désigné, Yvon trouva un gros bloc de granit, qu’il frappa trois fois avec le bâton ; le roc s’ouvrit. Il en sortit un démon tout en flammes.
– Qu’est-ce que tu veux ? cria-t-il d’une voix effroyable.
Qu’est-ce que tu veux ? cria-t-il d’une voix effroyable.
– Je viens chercher les rentes du géant, répondit Yvon, sans s’émouvoir.
– Combien veux-tu ?
– Je n’en veux jamais plus que je n’en peux porter, répondit le Breton.
– Il est heureux pour toi que tu n’en demandes pas davantage, répondit l’homme en feu ; entre dans cette caverne, tu y trouveras ce qu’il te faut.
Yvon entra, et ouvrit de grands yeux. Partout de l’or, de l’argent, des diamants, des escarboucles, des émeraudes ; il y en avait autant que de sable au bord de la mer. Le jeune Kerver emplit un sac, le jeta sur son épaule, et revint tranquillement au logis.
La besogne finie, notre Breton s’assit sur le banc à la porte de la maison. Aussitôt qu’il aperçut le géant, il leva la tête au ciel, et fit danser ses jambes en chantant une chanson du pays.
– As-tu été en enfer chercher mes rentes ? demanda le géant, en fronçant le sourcil.
– Oui, notre maître, répondit Yvon, sans se déranger. Le sac est là qui vous crève les yeux ; le compte y est.
– C’est ce que nous allons voir, hurla le géant. Il défit les cordons du sac qui était si plein, que l’or et l’argent roulèrent de tous côtés.
– Tu as vu ma Finette, cria-t-il ; ce n’est pas de ta cervelle que tu aurais tiré cette malice-là.
– Notre maître, dit Yvon, en ouvrant la bouche et en fermant les yeux, vous ne savez donc qu’une chanson ? c’est toujours le même refrain : Mafinette ; Mafinette. Une bonne fois pour toutes, montrez-moi donc cette chose-là.
– Bien, bien, dit le géant qui rugissait de fureur ; attends jusqu’à demain, je te ferai faire sa connaissance.
– Merci, notre maître, dit Yvon ; c’est gentil de votre part ; mais je vois bien à votre mine réjouie que vous vous gaussez de moi.