IXHélas ! c’est une bien fragile barrière au consentement de la femme, la beauté de l’homme !
Un matin, madame Hélène ordonna qu’on sellât sa haquenée. Quand on l’eut amenée au perron, elle monta dessus, et, défendant expressément à son écuyer de la suivre, elle sortit du château.
Elle traversa la forêt, fit deux lieues dans la plaine, longea l’étang jusqu’au pont, franchit l’étang, fit encore plus de deux lieues, parvint à un château, et cria pour qu’on la vît. Aussitôt que les gens l’eurent vue, le pont se baissa, et la porte s’ouvrit toute grande.
C’était le château de Paisnel.
On alla prévenir Harold, qui accourut. Il plia le genou, et dit simplement : – Madame, vous êtes chez vous.
Madame Hélène, sans répondre, lui fit signe d’écarter ses serviteurs et de venir avec elle dans la salle. Quand ils y furent, elle baissa les yeux, et dit :
– Harold, vous savez tout.
– Tout ? répéta-t-il, comme ne soupçonnant pas ce qu’elle voulait dire.
– Oh ! poursuivit-elle, j’étais contre la porte de la maison du médecin le jour où, l’épée à la main, vous lui avez arraché le secret.
Le page se jeta à ses pieds.
– Faites-moi merci, madame, si je me suis emporté à cette violence, mais je ne pouvais quitter votre service sans être au moins sûr que c’était par le vœu d’un mourant, auquel nul chrétien n’oserait désobéir.
– Je vous pardonne, Harold, et je vous sais gré du bon sentiment qui vous a fait partir aussitôt sans me parler de ce que vous aviez appris. Vous avez agi en généreux homme, et je vous estime ; mais moi, est-ce que vous me méprisez ?
– Moi, vous mépriser ! et pourquoi ?
– Parce que je n’obéis pas au vœu de mon mari.
Le page hésita un moment.
– Ah ! vous me méprisez ! s’écria la malheureuse femme.
– Madame, dit le page, il y a de tels vœux qu’il est impossible d’y satisfaire.
– Vous êtes bon, Harold, et vous dites cela pour me consoler ; mais ce n’est pas votre pensée sur les vœux. Le premier jour où je vous ai revu, vous ne saviez pas ce qu’avait exigé le seigneur de Hambye, vous avez dit que les suprêmes paroles des mourants étaient sacrées et qu’on se perdait éternellement si l’on y désobéissait. Tout à l’heure encore, il vous est échappé que nul chrétien n’oserait y contrevenir. Ce sont là des mots de la conscience ! Je ne m’a***e pas ; mon âme est perdue, à moins que vous ne veniez à mon secours.
– Que puis-je ? demanda le page.
– Voici. Mais d’abord, j’espère que vous ne serez pas fâché de ce que je ne désire pas me remarier. Ce n’est pas à cause de vous ; mais je suis résolue à vivre dans le deuil et dans le souvenir, et je vous jure vraiment que ma main, n’étant pas à vous, ne sera jamais à personne. Et maintenant, écoutez-moi. Je vous conjure de m’aider ; c’est assez facile. Le seigneur de Hambye m’a enjoint de vous prendre pour mari, mais il ne vous a pas enjoint de me prendre pour femme. Il suffit que je me propose, mais vous n’êtes pas forcé de m’accepter. S’il vous plaît de faire avec moi cet arrangement, je pourrai donc être fidèle à mon mari sans me remarier. Je m’offrirai, et vous me refuserez ; voulez-vous ? Je vous en prie.
– Madame, répondit sérieusement Harold, si vous ne vous offrez qu’à condition d’être refusée, c’est pis que désobéissance, c’est dérision.
Madame Hélène revint à Hambye, fort découragée.
Au lieu de monter à sa chambre, elle alla dans la chapelle, où elle trouva le chapelain priant dévotement.
– Mon père, dit-elle, que croyez-vous des vœux des mourants ?
Le prêtre se leva.
– Est-ce que le seigneur de Hambye aurait fait un vœu ? fit-il.
– Oui, répondit-elle, mais ne me demandez pas lequel. Dites-moi seulement si, quel qu’il soit, je suis chrétiennement obligée d’obéir.
Le chapelain était un homme très savant et très sage qui avait observé ce que sont, d’ordinaire, les vœux des mourants. Comme il est peu d’hommes qui n’aient fait dans leur vie plusieurs actions dont ils sont inquiets devant la mort, c’est la pensée de presque tous les mourants de racheter leurs péchés ; et quel plus efficace rachat que de doter les couvents et les églises, de bâtir des chapelles, de léguer une forte somme d’argent monnayé à son chapelain pour des messes abondantes ? Ceux qui vont paraître devant Dieu sont d’autant plus prodigues à ce moment que ce n’est plus leur bien qu’ils donnent.
Le chapelain savait cela ; aussi ne balança-t-il pas à répondre à la dame de Hambye que, si considérable qu’il fût, le vœu des mourants était terriblement impérieux et qu’il y fallait obtempérer sous peine de damnation.
Madame Hélène le quitta tellement effrayée qu’elle aurait voulu être enterrée au lieu de son mari. À force de souffrir, elle était lasse. Qu’allait-elle devenir ? Elle n’oserait même plus aller dans la chapelle, où le caveau la menacerait du mort, et l’autel, de Dieu. Elle ne dormit plus, elle n’eut plus faim, elle tomba malade, et elle eut peur de mourir dans cet état et d’aller tout droit en enfer.