VIIIElle se sentit soulagée, car c’eût été trop dur pour elle de vivre face à face avec lui, maintenant qu’il savait le vœu de son seigneur. Les premiers jours, elle se crut tranquille.
Mais, lorsqu’elle ne souffrit plus de ce côté-là, elle souffrit de l’autre. Donc, elle avait décidément répudié celui que son seigneur avait commandé qu’elle prît pour mari ; elle avait offensé la suprême parole d’un mourant ; à présent, c’était fini, elle était damnée. Elle avait des agitations extraordinaires ; la nuit, elle se réveillait en sursaut et allait dans le caveau où l’on avait déposé son mari, pour lui demander pardon, mais le mort ne répondait pas.
Elle passa de cette façon des jours et des semaines, très malheureuse. Elle en voulait à son mari ; elle trouvait qu’il n’aurait pas dû la mettre dans cet embarras ; elle se disait qu’il n’était donc pas si amoureux d’elle, puisqu’il avait désiré qu’elle appartînt à un autre, et alors elle se demandait si elle n’était pas insensée de lui conserver, au péril de son âme, un corps dont il était si peu soucieux.
Ou bien, elle pardonnait à son mari ; mais alors elle songeait qu’elle lui témoignait mal son amour en lui désobéissant, et que par fidélité elle était infidèle.
Une chose qui faisait que, tout en lui étant odieuse, la pensée de se remarier ne lui était pourtant pas aussi absolument insupportable qu’elle aurait pu être, c’est qu’elle n’aimait pas Harold. Du moins, si jamais elle obéissait au vœu de son seigneur, ce serait par piété envers le mort et non par tendresse envers le vivant. Elle se repentait même de lui avoir donné une seigneurie, parce qu’il eût été tout à fait impossible qu’une dame s’éprît d’un serviteur. Elle aurait souhaité qu’au moins il ne fût pas jeune et beau ; vieux et difforme, c’eût été clair pour tous qu’elle ne l’aurait pas pris par amour, mais par fidélité. Malheureusement, Harold avait le même âge qu’elle, dix-neuf ans ; il avait la grâce sur le front avec le commandement dans les yeux ; il était vraiment joli, bien fait, beau diseur, ferme en selle, habile à la nage, adolescent sous la soie, homme sous le fer ; quant à sa bravoure, on la connaissait. S’il avait été lâche, maladroit, borgne, manchot et c*l-de-jatte, elle l’aurait épousé probablement.