VIIHarold, dès qu’il entra, mit un genou en terre.
– Madame, dit-il, excusez-moi si j’ai tardé à me venir joindre à votre deuil et si je n’étais pas présent aux funérailles de mon seigneur.
– Je sais, dit-elle, que vous étiez retenu pour vous être dévoué.
– Mais maintenant, je suis guéri, et je reviens à votre service pour ne plus le quitter.
– Impossible ! fit-elle.
Le page la regarda, comme ne comprenant pas.
Madame Hélène avait laissé échapper ce mot malgré elle, mais, puisqu’il était lâché, tant mieux ! Elle continua :
– Vous ne pouvez désormais être notre serviteur. Ce que vous avez fait pour votre seigneur défunt vaut salaire. Nous avons près d’ici le fief de Paisnel ; je vous le donne, et allez-y ce jour même.
– Madame, vous me renvoyez ! s’écria le page.
– Allez, sire de Paisnel, prendre possession de votre manoir.
– Je n’accepte pas, dit Harold, qui se releva, étant resté à genoux jusqu’à ce moment. Si madame ma maîtresse juge, comme je le crois à la froideur de son accueil, que j’ai démérité au point de ne plus pouvoir vivre près d’elle, je partirai, je retournerai chez mon père, ou je m’en irai guerroyer n’importe où ; mais je m’en irai pauvre comme je suis venu et je ne mangerai pas le pain de celle qui m’aura chassé.
– Et l’on dira, reprit madame Hélène en pleurant, que la dame de Hambye n’a pas récompensé le défenseur de son mari.
– Ah ! madame, ma récompense était de vous servir !
– Écoutez, dit-elle, ne me croyez pas ingrate et ne vous fâchez point de mon visage ; savez-vous ce qui se passe en moi ? Puisque vous avez été généreux pour votre seigneur, soyez-le de même pour votre dame. Acceptez Paisnel, et je ne veux pas vous renvoyer, je vous reverrai, plus tard, de loin en loin. Il vous faut une plus célèbre récompense que de rester ce que vous étiez, ou autrement les gens me mépriseraient.
Et comme elle vit qu’Harold ne changeait pas de regard, elle chercha une raison qui pût le résoudre, et, pleine du vœu du mourant, elle ajouta :
– Et vous déplairiez à votre seigneur, car c’est lui qui vous donne Paisnel. Il a exprimé ce vœu avant de mourir.
– Je sais, répliqua gravement Harold, que les vœux des mourants sont chose sacrée et qu’en y désobéissant on perd son âme pour l’éternité ; aussi aimerais-je mieux être écartelé vif que de résister au dernier désir de mon seigneur. Mais comment pouvez-vous le connaître, puisque mon seigneur était mort lorsque vous l’avez vu ?
Madame Hélène ne répondit pas d’abord, tant elle était troublée de ce qu’Harold avait dit touchant les vœux des mourants. Elle fit un effort pour parler.
– Le médecin était présent, dit-elle. Mais je me sens un peu fatiguée. Allez, restez encore au château ; je vous ferai appeler.
Harold s’inclina et sortit.
Madame Hélène était fort tourmentée. Elle n’avait pensé jusque-là qu’à la honte de se remarier, à son cœur navré qui n’était plus fait pour les fiançailles, au jugement de ses serviteurs si elle épousait son page ; maintenant elle pensait au jugement des anges si elle ne l’épousait pas. Désobéirait-elle au vœu d’un mourant ? Se livrerait-elle aux peines éternelles et, pour ne pas se marier avec Harold, se marierait-elle avec Satan ?
Elle ne fit pas appeler le page, ni ce jour, ni le lendemain, ni après.
Une semaine s’écoula ainsi, au bout de laquelle madame Hélène dit tout à coup qu’on fît préparer le bateau, et qu’elle irait ce jour-là en l’île de Jersey. Elle donna pour raison le tombeau de son mari ; mais, à peine débarquée à la Roque-Plate, elle dit à ses serviteurs d’aller devant, qu’elle les rejoindrait, et, quand ils se furent éloignés, elle se dirigea toute seule vers la maison du médecin.
Elle voulait lui faire répéter les paroles de son seigneur, espérant qu’il les lui avait mal rapportées la première fois, qu’elle avait mal entendu, qu’il n’avait même pas parlé, qu’elle s’était imaginé ce discours dans le désordre de son premier désespoir.
Comme elle n’était pas très loin de la maison, elle fut étonnée d’un fort tumulte qui était dedans.
En avançant, elle distingua bientôt la voix du médecin et celle d’Harold, qui criaient.
– Parleras-tu ? disait Harold.
– Grâce ! suppliait le médecin.
– Parle, ou meurs !
Madame Hélène hâta le pas. Elle était sur le seuil de la maison quand elle entendit ces mots du médecin :
– Il a dit que sa dame vous prît pour mari.
Elle n’entra pas, ne voulant pas au moins que ces mots eussent été dits devant elle. La porte était entrebâillée, et elle vit le médecin à terre sous le genou d’Harold, qui lui menaçait la gorge de son épée.
Harold lâcha le médecin, qui se redressa tout échevelé et tout déchiré.
– Pourquoi m’avais-tu caché cela ? demanda le page.
– J’avais juré le secret à la dame de Hambye, et vous ne m’auriez pas fait parler autrement que par violence.
– Adieu, dit Harold.
Madame Hélène se jeta énergiquement derrière l’angle de la muraille, et laissa partir le page, qui retourna vers la mer. Puis, sans entrer dans la maison, elle s’en alla vers la place où ses serviteurs l’avaient précédée. On commençait à creuser le terrain pour le sépulcre du seigneur de Hambye, mais elle était préoccupée autrement ; elle regarda à peine le travail des pioches, et se fit ramener chez elle.
Remontant à sa chambre et arrivée à la dernière marche de l’escalier, elle y trouva le page qui, fort respectueusement, lui demanda de l’écouter, promettant que ce serait la dernière fois. Très émue et tremblante, elle lui fit signe de parler.
– Madame, dit Harold, j’ai réfléchi. Vous m’avez fait la grande faveur de me proposer le manoir de Paisnel ; je l’accepte, et, si vous le trouvez bon, je partirai dans ce moment même.
– Eh bien ! allez, fit-elle ; tout est préparé depuis longtemps, et vous n’aurez qu’à vous présenter aux portes.
Il la salua, sans même lui b****r la main, et redescendit l’escalier. Presque aussitôt, madame Hélène entendit son cheval qui piaffait dans la cour, et le pont qu’on baissait, et le bruit du galop qui diminuait peu à peu.