IIIElle fit aussitôt seller deux chevaux, et, accompagnée d’un écuyer, galopa vers la rive maritime.
La foudre ne serait pas tombée plus vite sur le village de pêcheurs qui regarde Jersey.
Le jour se levait, et aussi une vieille femme, qui ouvrit sa croisée au tonnerre des chevaux, et qui, lorsque cet ouragan lui demanda ce qu’elle avait fait du seigneur de Hambye, eut bien peur et, au lieu de répondre, referma sa fenêtre.
Madame Hélène poussa jusqu’à la grève, et d’un si furieux galop qu’elle ne s’arrêta que dans la vague même.
Il y avait là des femmes et des enfants qui venaient d’embarquer leurs maris et leurs pères partis pour la pêche. Elle demanda si l’on n’avait pas vu un homme d’armes ; ni les femmes ni les enfants ne répondirent. Croyant qu’elle n’avait pas été entendue, madame Hélène répéta sa question ; alors, deux ou trois femmes balbutièrent un non, mais si embarrassé, que l’écuyer se fâcha, et leur dit qui était madame Hélène, et qu’elles prissent garde à elles.
Alors, celles qui avaient dit non, effrayées, dirent : – Ce n’est pas nous, c’est la Fargette ! et elles touchaient du coude une jeune femme : – Parle donc !
Madame Hélène regarda fixement la Fargette, qui baissa les yeux.
– C’est que mon mari me grondera, dit-elle.
Mais les menaces de l’écuyer et les promesses de la dame la décidèrent. Elle raconta donc que son mari était homme de mer et avait la plus belle barque de toute la falaise ; qu’on était venu cogner à leur porte une demi-heure après minuit ; qu’elle s’était levée pour voir ; qu’elle avait vu deux hommes à cheval et armés, dont l’un appelait l’autre son page ; qu’ils avaient fait lever son mari et qu’ils l’avaient pris à part ; qu’ils lui avaient parlé tout bas ; qu’elle avait entendu ; qu’ils voulaient aller en l’île de Jersey tout de suite, sans attendre une minute ; que son mari avait dit : Bon ! et lui avait dit, à elle, de se recoucher, que ce n’était rien, qu’il allait revenir ; qu’elle avait fait semblant de se recoucher, mais qu’elle les avait suivis ; qu’elle les avait vus s’embarquer, hommes et chevaux ; qu’ils étaient en route depuis trois heures, et que, comme ils avaient bon vent, ils ne devaient pas être bien loin d’arriver.
– Vite ! dit madame Hélène, un bateau !
– Un bateau ? firent les femmes.
– Oui ; moi aussi, il faut que j’aille à Jersey, et tout de suite !
– Mais c’est qu’il n’y a plus une seule barque à terre ; elles sont toutes à la pêche.
– Comment ! toutes ! Mais elles vont revenir ?
– Pas avant ce soir.
– Mais ce soir il sera mort !
Et, brusquement, elle enfonça l’éperon au flanc de son cheval, qui fila tellement comme une flèche que son écuyer eut peine à la rattraper.
Elle courut le long de la grève, cherchant une barque. Elle visita les villages et les baies, les sables et les rochers ; inutile ; elle fit tant de chemin qu’elle ne voyait plus Jersey ; inutile. Ces pauvres gens des rivages n’ont que la mer pour les nourrir, et, s’ils étaient un jour sans pêcher, ils seraient un jour sans manger. Tous étaient donc au large ; pas une chaloupe ni un bachot. Madame Hélène avait deux grosses larmes dans les yeux, et elle était si désespérée qu’il lui prenait par instants la tentation de pousser son cheval dans l’eau jusqu’à ce qu’il se noyât avec elle.
Quand elle n’eut rien trouvé nulle part, elle revint au premier village, comptant qu’il serait arrivé un accident à quelque bateau de pêche, qui serait rentré avant les autres ; mais elle n’eut pas ce bonheur. Il lui fallut donc attendre, et ce lui furent de mauvaises heures, pendant lesquelles elle resta gisante plutôt qu’assise sur les galets, sans manger, sans parler, sans bouger, les yeux fixes, pâle comme une morte, sombre comme une veuve.
Enfin, un pêcheur arriva !
Il n’aurait pas fallu qu’il fût fatigué et qu’il refusât de se remettre en mer aussitôt ; elle ne lui aurait pas permis de dire le courant contraire ou le vent mauvais ; elle n’aurait pas souffert une tempête !
Le bateau n’eut pas plus tôt touché terre qu’il retourna, emportant la dame et l’écuyer, sans même débarquer son poisson, que madame Hélène acheta, et fit rejeter à l’eau, s’imaginant, je ne sais comment, qu’elle secourait ainsi son seigneur, et qu’en épargnant la vie bestiale elle mériterait peut-être qu’une bête épargnât la vie humaine.