XIV

573 Words
XIVIls se turent tous deux, lui épuisé, elle frissonnant. Mais ce pouvait être la démence du rêve qui avait parlé, et non la franchise de l’aveu. Madame Hélène s’efforça, et, interrogeant encore Harold, et le contraignant toujours, lui arracha enfin tout le récit de son crime. Le seigneur de Hambye lui avait confié son projet d’aller combattre le dragon, et l’avait même envoyé une fois en l’île jersiaise pour se renseigner plus exactement. C’est dans ce voyage que la pensée du forfait lui était venue, par amour pour la dame. Il avait rencontré le médecin et l’avait mis dans son intérêt en lui promettant autant d’or qu’il en pourrait souhaiter. C’est pourquoi, le jour du combat, le médecin était venu avec lui ; le mari de la Fargette les avait un peu gênés, mais ils l’avaient éloigné, ainsi qu’avait dit le médecin, comme pour avertir les insulaires de ne pas approcher. Le récit que le médecin avait fait du combat était un récit concerté entre eux d’avance ; il n’était pas vrai que le dragon eût meurtri le seigneur ; c’était, au contraire, le seigneur qui avait meurtri le dragon. Mais alors, lui, profitant de l’absence du mari de la Fargette, s’était rué par-derrière sur son seigneur, et l’avait durement frappé de son épée entre le casque et la cotte de mailles. Le médecin s’était approché ; ils avaient ensemble achevé le seigneur de Hambye, lui avaient froissé le cou dans la mâchoire de l’hydre pour cacher la blessure de l’épée, avaient même eu la précaution de mettre dans les dents du dragon un morceau du casque et un peu de la cotte ; puis, il avait, lui, tué son cheval, s’était couvert de sang, et s’était prosterné à terre comme expirant, et s’était si fort roidi que l’homme de la Fargette, en aidant à le porter, l’avait déclaré mort. Quant à son épée tirée contre le médecin pour lui faire dire les dernières paroles du seigneur de Hambye, c’était une querelle feinte : la dame ayant dit qu’on allât disposer le bateau pour Jersey, il avait soupçonné qu’elle irait au médecin ; il avait aussitôt sauté sur un cheval, s’était embarqué avant elle, et avait instruit le médecin ; bientôt, ils l’avaient vue arriver, et, dès qu’elle avait été à portée de leur voix, ils avaient simulé la lutte qui l’avait trompée. Madame Hélène lui demanda des preuves de sa forfaiture, et le misérable, impuissant à résister dans le sommeil, lui en donna. Il lui rappela que les fameux médecins avaient tout d’abord trouvé une vraie ressemblance entre la blessure mortelle du seigneur et la blessure d’une épée. Il lui rappela qu’il n’avait pas voulu que les fameux médecins le vissent seulement, car ils se seraient aperçus qu’il n’était pas blessé ; ce qui, au reste, était heureux pour lui, puisque le médecin n’était pas médecin et n’avait même jamais étudié, comme elle avait pu en juger au prompt trépas des gens et animaux qu’il avait soignés. Il lui rappela les audaces du faux médecin, qu’il n’avait pas pu empêcher, à cause de leur complicité. Madame Hélène se leva sans bruit, alla dans un réduit allumer une lanterne, et revint, ayant soin que la lumière ne tombât point sur les yeux d’Harold. Puis, écartant les couvertures et levant le linge, elle examina le corps. Elle eut beau le visiter partout, elle ne vit aucune cicatrice ni trace de plaie. Elle regarda la figure du page, qui alors lui parut horrible. Elle éteignit la lanterne et se recoucha. Il le fallait pour que le meurtrier ne se doutât de rien, le matin, en s’éveillant ; mais ce fut bien dur pour la pauvre dame de passer le reste de la nuit dans le même lit que l’assassin de son seigneur.
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