XIIIMais amour est le naufrage de prudence. Après quelques jours, Harold n’eut pas le courage de renoncer à une dame qui lui était si chère ; il ne put se résigner à se faire lui-même volontairement le Tantale d’une telle grappe de beauté. Il revint donc auprès de madame Hélène, puis il n’y revint pas, puis il y revint encore, et il vécut ainsi plusieurs mois, étant quelquefois une semaine sans elle, et soudain entrant avec précipitation.
Dans les heures qu’il passait avec madame Hélène, il lui arrivait encore souvent de rêver à haute voix, mais elle ne l’en avertissait plus, et quand il lui demandait, le matin, s’il avait parlé, elle répondait qu’elle n’avait rien entendu.
Une nuit, il parla plus que de coutume ; il était dans un désespoir extrême ; il invoquait son seigneur, il demandait merci, et non pas avec des larmes, mais avec des sanglots. Et il disait :
– Un si bon maître ! ah ! félon ! Et il ajoutait :
– Ah ! serpent ! tu iras en enfer !
Il semblait si malheureux, que madame Hélène l’aurait bien réveillé, mais ç’aurait été lui apprendre qu’il avait toujours le même sommeil. Elle se souvint d’avoir ouï que les gens qui parlaient en dormant entendaient parfois ce qu’on leur disait, et elle essaya de le consoler.
– Apaisez-vous, pauvre ami, dit-elle doucement.
Mais il criait toujours :
– En enfer ! oui, en enfer !
Elle essaya encore :
– Monseigneur, l’enfer n’est pas pour les serpents.
Cette fois, il entendit, et, sans se réveiller :
– Oh ! si, répondit-il, quand les serpents sont hommes.
Elle ne sut pas ce qu’il voulait dire ; mais elle fut si émue qu’elle cessa de parler. Et lui se remit à soupirer lamentablement et à dire :
– Ah ! malheureux, tu as tué, mais tu mourras !
Elle lui dit :
– Mais il est déjà mort.
Harold, toujours endormi, répondit :
– Non.
Elle reprit :
– Oui, le dragon est mort.
– Le dragon n’est pas le serpent, murmura-t-il.
– Et qui donc est le serpent ? demanda-t-elle.
Mais, au lieu de répondre, il cria :
– Grâce ! grâce !
– Grâce pour qui ?
– Pour le serpent.
– Quel serpent ? répéta-t-elle.
Il ne répondit pas. Il fut même quelque temps sans rien dire. Mais madame Hélène avait maintenant dans l’esprit un soupçon épouvantable. Elle insista :
– N’est-ce pas le dragon qui a tué le seigneur de Hambye ?
– Non, dit Harold.
– Qui est-ce donc ?
Il se tut.
Elle recommença :
– Qui est-ce donc ?
Il répondit :
– Je ne le dirai jamais !
– Je veux que tu le dises !
– Jamais !
Mais elle n’y consentit pas, et, d’un accent irrité :
– Qui est-ce donc ? qui est-ce donc ?
Harold, craignant d’obéir malgré lui, fermait la bouche, et madame Hélène entendait craquer ses dents serrées.
Elle continua :
– Parle, je le veux ! Quel est le meurtrier ?
Il dit :
– Pitié !
– Non, parle !
– Et elle était sur son séant, et ses yeux luisaient dans la nuit, et elle le questionnait d’une voix basse si hautaine qu’Harold se tordait, sentant sa volonté lui échapper.
– Parle ! Qui a tué le seigneur de Hambye ? Réponds, je le veux, il le faut, tu parleras. L’assassin ! l’assassin ! l’assassin !
Harold, vaincu, balbutia faiblement :
– C’est moi.