XIIUne autre chose également singulière, c’est que, tout en étant toujours aussi éperdu de madame Hélène que la première nuit de son mariage, Harold, par moments, devenait tout à coup triste et morne. Dans ces moments-là, il était farouche, brusque avec les gens, on n’aurait pas été prudent de le contrarier ; il était seul des journées entières ; il ne venait même pas au souper ; il allait prier à la chapelle, mais il ne se confessait pas.
Il restait immobile dans son fauteuil ; et puis subitement, il se levait, criant : En chasse ! et il fallait que piqueurs, chevaux et chiens fussent prêts en un clin d’œil. Et il se lançait au galop jusqu’à dépasser la meute, et il se démenait orageusement dans la forêt, ne s’apercevant pas des ronces qui le déchiraient aux jambes et des branches qui le souffletaient au visage.
La nuit, il avait un sommeil agité et v*****t. Souvent, madame Hélène, réveillée par ses gestes, l’entendait proférer des paroles sans suite. Dans ces paroles, il se croyait toujours au combat contre le dragon. Il déplorait la mort de son seigneur, et s’écriait : – Ah ! monstre ! ah ! misérable assassin ! ah ! traître et parjure !
Ces mauvais sommeils furent si fréquents que madame Hélène l’en avertit pour qu’il fît quelque remède. Il parut fort troublé et demanda ce qu’il avait dit ; madame Hélène répondit qu’il avait pleuré son seigneur et accusé le dragon ; il demanda encore si c’était bien tout ; elle répondit que c’était tout ce qu’elle avait compris.
Il fut alors plus calme et dit à madame Hélène de ne pas s’inquiéter, qu’il était en effet sujet à rêver tout haut, dès son enfance, qu’il tenait alors toutes sortes de propos incohérents et insensés, ne sachant pas ce qu’il disait, invectivant à tort et à travers, accusant les innocents, et qu’elle aurait tort d’écouter. Le soir, il lui dit qu’il l’aimait trop pour la déranger ainsi de son sommeil, et que dorénavant ils auraient chacun leur chambre. Et, cette nuit-là même, il coucha dans une chambre la plus éloignée de celle de madame Hélène et la plus voisine de celle du médecin jersiais.