XI

544 Words
XIMadame Hélène, pour affligée qu’elle fût, ne se courrouça pas de ce changement et de ces transports, car il n’y a rien que les femmes pardonnent aussi aisément que d’être trop aimées, même de ceux qu’elles n’aiment pas. Elle fut plutôt touchée de cette grande tendresse, et du mystère qu’Harold lui en avait fait, sans doute pour ne pas influencer sa décision parce qu’elle était trop noble et trop riche, et elle l’admira de l’avoir presque refusée, l’aimant à ce point. Cet emportement d’amour durait depuis trois semaines, lorsqu’un mardi, vers la tombée du jour, on vit arriver au château le médecin de Jersey. Le nouveau seigneur de Hambye alla à sa rencontre, l’accueillit comme quelqu’un qui lui avait sauvé la vie, et recommanda que tous les serviteurs le traitassent aussi noblement que lui-même. On l’installa dans la plus riche chambre du château, et le tailleur eut ordre de l’habiller magnifiquement. Madame Hélène elle-même lui fit gracieuse mine, heureuse d’avoir chez elle celui qui pouvait témoigner de la volonté de son premier seigneur. Mais il advint une chose surprenante : c’est que ce médecin, qui avait si savamment guéri Harold de blessures si redoutables, n’eut pas la même fortune avec de bien moindres malaises. Quand un serviteur ou un animal ne se trouvait pas bien, on l’appelait, et il accourait, et il médicamentait. Ce n’était pas qu’il fût embarrassé de donner un nom à la maladie et un remède au malade : il saignait largement et il avait des purgations à vider un bœuf ; mais toujours, sans qu’on sût pourquoi, les hommes étaient certains de mourir et les bêtes de crever. Et alors l’ancien médecin, qu’on avait renvoyé, dut revenir. En revanche, le médecin jersiais était tout plein de vices incommodes : il était fort gourmand, non moins ivrogne, et encore plus paillard. Ce n’était plus dans le château que sanglots de filles qu’il avait séduites et cris de filles qu’il voulait forcer. Et lorsqu’elles le menaçaient de se plaindre à la dame de Hambye, il répondait hardiment qu’il ne la craignait pas. Madame Hélène fut avertie de cette témérité, et parla à son seigneur, qui excusa le médecin, disant qu’il était ivre quand il avait tenu ce propos. Il l’excusa aussi de ses paillardises, et répondit qu’il ne punirait jamais un crime d’amour. Il prit à part les filles qui se plaignaient, déclara sa reconnaissance pour le médecin, et promit sa colère à quiconque tenterait de lui nuire. Le médecin était plus maître que le seigneur. Si Harold voulait chevaucher dans la forêt et demandait sa jument préférée, le palefrenier répondait que le médecin l’avait prise. Si Harold voulait chasser et demandait son meilleur faucon, le fauconnier venait dire que le médecin s’en servait. Le seigneur avait alors parfois un mouvement d’irritation ; mais lorsque le médecin rentrait au château, Harold, au lieu de le quereller, lui souriait ; et, le lendemain, il le choyait plus amicalement, et le paissait de dons et bribes, tantôt un riche pourpoint, tantôt une chaîne d’or. Une fois pourtant que le médecin avait tout à fait mal parlé de la dame de Hambye, Harold lâcha sa colère ! Il suivit le médecin dans sa chambre et, fermant la porte, tonna d’une belle fureur ; on l’entendit lui reprocher d’un seul coup toutes ses infamies, et son pourchas des filles, et son intempérance de langue, et d’avoir osé dire qu’il ne craignait pas la dame de Hambye. On n’entendit pas ce que répondit le médecin, mais, lorsqu’ils sortirent, c’était le médecin qui avait la fière attitude et le seigneur qui paraissait repentant.
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