II - Paris-Mirage-2

1469 Words
– Pardon, monsieur, dit Firino, vous me semblez être étudiant ?… – Monsieur, vous ne vous trompez pas, voici sept années que j’étudie la médecine, et surtout la pharmacie. M. Lehérisson releva la tête et considéra le Provençal avec plus de complaisance. – Monsieur, continua Firino, j’ai l’intention d’être journaliste, tout en faisant mon droit. Or, pourriez-vous me donner un petit renseignement ? – S’il est possible, monsieur, je suis à votre disposition. – Il y a deux mois, les journaux de Paris ont beaucoup parlé d’un cas de catalepsie survenu à la clinique de l’École de médecine, d’une jeune fille… – Ah ! vous voulez parler de la Faunesse ? – Précisément, on la nommait ainsi. – J’en ai été témoin, monsieur, elle a ressuscité devant moi. – Est-il possible ! s’écria M. Lehérisson. J’ai lu cela dans le Journal des Hôpitaux, et cela m’a fort intéressé. – Eh bien ! monsieur, est-elle ressuscitée tout à fait ? – Tout à fait. Elle se porte bien aujourd’hui. – Elle fut sauvée ? – C’est-à-dire, on ne sait pas, – car on n’a jamais pu bien définir sa maladie ; – on l’a soignée pendant six semaines à l’hospice ; – puis on l’a envoyée pour se remettre, selon l’usage, à l’Asile du Vésinet, où elle doit être encore. – Mais est-ce bien vrai, cela ? – Je vous dis que je l’ai vu. – Et puis, monsieur, intervint encore M. Lehérisson, cela était raconté tout au long dans le Journal des Hôpitaux, une feuille qui se respecte, et qui n’avancerait pas un fait semblable s’il était entaché d’inexactitude ! – Mais que va-t-elle faire, la pauvre fille, en quittant l’Asile du Vésinet ? – Voyez-vous, il y en a, – et Colombe est du nombre, qui prétendent qu’elle a voulu passer le temps des vacances au vert pendant que son amoureux était dans sa famille. – C’est une erreur, repartit Bocquillon. C’est une fille qui n’en manquera jamais, et j’ai vu l’un des hommes les plus riches de Paris lui offrir hôtel, voiture et laquais. Elle a tout refusé, parce qu’elle aimait, ce jour-là, un petit freluquet… – Voilà une grue ! s’écria Charles. – Ah ! fit M. Lehérisson en rougissant, décidément pour un élève en pharmacie, ce monsieur est bien léger ! – Monsieur Charles, vous êtes sévère, dit une voix grave. C’était celle du docteur. En le reconnaissant, l’étudiant devint rouge comme une pivoine, et balbutia quelques paroles d’excuse ; mais il n’était pas homme à se déconcerter facilement. – Et tenez ! s’écria-t-il aussitôt, c’est monsieur le docteur qui a soigné la Faunesse, c’est à lui qu’en revient la gloire ! – Je savais bien, dit Lehérisson, que le journal ne pouvait m’induire en erreur. – Cette cure fut intéressante, en effet, dit le docteur : mais vos appréciations sur cette Adrienne ont été un peu loin, messieurs. – Bonne fille, du reste ! dit Charles. – Chut ! dit le docteur, en jetant un rapide coup d’œil vers Lehérisson qui rougissait pour son enfant. Le train s’arrêta, et les employés de la gare commencèrent la récolte des billets. Quelques instants après tout, le monde débarquait sur le quai et envahissait la salle d’attente des bagages. Georges et Firino étaient restés ensemble. – Cette Adrienne doit être curieuse à étudier. Nous ferons sa connaissance. – Ce papa Lehérisson, qui est taillé en Joseph Prud’homme, ne manquerait pas de se rengorger et de dire : Cette femme, c’est Paris tout entier, c’est Paris-courtisane ! – Et le Bocquillon ? continua Georges, vous avez entendu qu’on l’a traité de colonne du quartier latin ! – Son nom me revient. On en parlait au café de Bordeaux, répondit Firino. Je reprends ma voix de Lehérisson : – C’est Paris tout entier ! – Lui aussi ! – Chez lui aboutissent toutes les fortunes, tombent tous les masques, frappent toutes les misères, commencent ; toutes les hontes, c’est Gobsec, c’est Paris-sac d’argent ! Le jeune homme se retourna vivement, disposé peut-être à saluer jusqu’à terre cette incarnation du veau d’or ; mais il s’arrêta, et tous deux, après un coup d’œil rapide échangé, firent une grimace de dégoût et crachèrent à terre. Lehérisson, sa fille et Annibal trouvèrent à la gare Julien Ducroisier qui les attendait. Ce dernier sauta au cou de son oncle Lehérisson et embrassa assez tendrement mademoiselle Séraphine. Quant à Annibal, il se pendit immédiatement au bras de son cousin. Il se sentait heureux d’avoir, en l’étudiant de deuxième année, un introducteur sérieux dans ce Paris dont son oncle lui avait toujours fait des fantômes. – Mais vos bagages ? demanda Julien. – Ah ! sabre de bois, je les oubliais, le bonheur de te voir. Ta mère, ma sœur chérie, va toujours bien ? – Elle est venue me conduire à Paris cette année. – Et elle est retournée à Lille ? – D’hier. – Allons chercher nos bagages. Pendant ce temps, Annibal avait tout doucement lâché le bras de son cousin, il venait d’apercevoir le jeune homme à la grosse barbe du vagon, ouvrant ses bras et y recevant avec transports la plus délicieuse petite personne. – Ça doit être sa sœur ! pensa-t-il, – celle à qui il faut laisser croire qu’il vient de Marseille. – Elle est très gentille, cette demoiselle ! et ce M. Charles a une bien belle barbe !… Tout à coup, Annibal rougit jusqu’au blanc des yeux en se voyant regardé avec insistance par ces deux personnes. Mais comme les regards étaient pleins de bienveillance, il sourit. On le salua ; il rendit le salut. Charles s’approcha carrément. – Monsieur, dit-il en tendant la main à Annibal, M. Bocquillon, qui a voyagé avec vous, m’a dit que vous alliez à Paris pour étudier. – Oui, monsieur, répondit Annibal. – En ?… – En ? répéta le provincial sans comprendre. – Oui, mon petit, on vous demande en quoi vous êtes étudiant, pardine ! Annibal resta la bouche béante ; la jeune personne, la sœur de son condisciple futur, l’avait appelé : – mon petit. – Ah ! çà, voyons, Charles, offre une chope à monsieur ; ça m’ennuie de causer ici, puisque monsieur ne veut pas dire en quoi qu’il est étudiant. – Ah ! mademoiselle, si ce n’est que cela, en droit, en droit. – Tant mieux, c’est plus distingué. – Colombe ! fit Charles en lançant un regard courroucé à sa compagne. Voici sept années que j’étudie la médecine, et je ne crois pas avoir dérogé. – Sept ans ! fit Annibal, devez-vous être fort ! – La médecine est longue à apprendre, surtout quand on a de la conscience. – Vous avez raison, monsieur, un médecin ne saurait avoir trop de conscience. Il en est, dit-on, qui en ont plusieurs. Les deux amoureux éclatèrent de ce rire de convention qui est de mise dans les ateliers. – Il a du trait ! s’écria Colombe, il fera son chemin ! – Venez boire une chope ! dit Charles. Et prenant brusquement le bras du jeune homme, il l’entraîna hors de la salle d’attente, sans se préoccuper de ses gestes timides et de ses regards effarés vers la porte où avaient disparu les voyageurs. Quelques minutes après ils étaient attablés à une petite table d’un café du boulevard de l’Hôpital, et, la première chope avalée, Annibal se sentit tout joyeux. Il est vrai que les singulières remarques faites par Colombe sur chaque passant avaient rapidement jeté la bonne humeur sur le trio. – Ah ! çà, mademoiselle, se hasarda-t-il à dire, est-ce que, comme M. votre frère, vous étudieriez aussi, vous ? Un rire homérique s’empara des deux jeunes gens. – Il est bon ! fit Colombe. – Renversant ! – Oui, monsieur, oui, j’étudie, répondit Colombe en cessant de rire. – En droit ou – en gauche ? – Décidément le petit a du trait ! – Il en a, affirma Charles. – Monsieur, je suis culottière. – Charmante position sociale. – Mon cher, reprit l’étudiant, je vous piloterai dans le labyrinthe des écoles, je vous donnerai l’adresse des meilleurs… – Des meilleurs professeurs ; mon oncle en a déjà beaucoup. – Fi donc ! des meilleures boites. – Des boites ? – Je vous présenterai dans les sociétés les plus distinguées, et j’espère que vous y profiterez, sous mon patronage, des principes moraux qu’on y cultive. – Et moi, reprit Colombe, je me charge de vous initier aux mystères de la polka et de la mazurka. – Je connais ; nous dansons cela à Orléans. – Ah ! monsieur est d’Orléans ? – Oui, mademoiselle, pour vous servir. – Monsieur en a bien l’air. – Enchanté, mademoiselle. – Charles, dit Colombe, tu me feras le plaisir de tutoyer monsieur, illico ! – Vous savez le latin ? s’écria Annibal émerveillé. – Si signor, my dear ! En ce moment, une voix retentissante se fit entendre, qui sembla au jeune provincial la voix de Jéhovah à travers l’Éden. Il est vrai qu’il commençait à mordre à l’arbre de science, – Annibal ! disait cette voix, – Annibal ! Le jeune homme devint pâle comme un mort et se leva comme s’il eût été poussé au-dessous de sa chaise par un ressort puissant. – Le papa, fit Colombe. – C’est bien pire ! s’écria Annibal en se précipitant à la rencontre du terrible pharmacien qui venait d’apparaître à la grille de la gare. – Et il faut que je paie la consommation ! fit Charles d’un air vexé. – Quand cela serait ? – Colombe, vous le reluquiez bien, ce jeune homme ! – Eh ! il ne me déplaît pas trop. – Colombe ! Le bruit d’une voiture qui emportait Annibal et sa famille couvrit le bruit de la dispute des deux amoureux. Georges et Firino parurent à leur tour à la porte de la gare, suivis d’un commissionnaire portant leurs bagages. Ils n’avaient pas changé de sujet de conversation. – Paris-courtisane, Paris-sac d’argent, – l’or et l’amour. – Et nous ? demanda Georges. – L’avenir, la gloire ! – Nous en aurons, sans l’aide de personne. Du travail et de la volonté, et tout est dit. – Et avec la gloire, nous aurons l’amour et l’or. – Ou l’hôpital. – Je suis bien sûr que non, répliqua le poète, pour moi, du moins. – Vous avez des rentes ? – Mieux que cela. – Quoi donc ? – De l’audace. – Mais si vous faites de mauvais vers ? – Encore de l’audace. – Si l’on vous siffle ? – Toujours de l’audace ! Georges ôta respectueusement sa casquette et salua Firino jusqu’à terre. – Ah ! çà, fit-il ensuite, êtes-vous un poseur ou un homme fort, vous ? – Je vous le dirai dans trois mois.
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