X - L’Attentat

1858 Words
X L’AttentatLes deux jeunes filles se disposaient à revenir sur leurs pas et à se rapprocher du château lorsque soudain un bruit de voix arriva à leurs oreilles. Elles s’arrêtèrent pour écouter. – Ce sont des voix d’hommes, dit Emmeline. – Oui, et ils sont plusieurs. Les voix cessèrent de se faire entendre. Au bout d’un instant un bruit de pas retentit. Les jeunes filles regardaient, mais l’épaisseur du taillis les empêchait de voir. Cependant il leur était facile de juger que les hommes se rapprochaient peu à peu de l’endroit où elles se trouvaient. – Je me demande quels sont ces hommes, dit Maximilienne. – Probablement quelques-uns de nos chasseurs, répondit Emmeline. – Ces messieurs ne reviennent jamais de ce côté ; d’ailleurs il est à peine dix heures, et ils ont dit hier qu’il ne fallait pas les attendre avant midi ou une heure. – C’est vrai. – Après tout, reprit Maximilienne, nous saurons bientôt quels sont ces promeneurs ; ils ne sont plus qu’à une faible distance, et ils se dirigent vers nous. Attendons. – Alors tu n’as pas peur ? – Peur ici, dans le parc de Coulange ! De qui pourrions-nous avoir peur ?… – Au fait, c’est vrai, de qui pourrions-nous avoir peur ? Au bout d’un instant, un groupe de cinq ou six hommes parut dans l’allée, à environ cinquante pas des jeunes filles. Maximilienne eut un petit cri de surprise. Elle venait de reconnaître son père et son frère. Elle s’élança à leur rencontre. Emmeline la suivit. Arrivée près du groupe, qui s’avançait lentement, Maximilienne poussa un cri déchirant. Son père était devant elle, pâle comme un mort, les vêtements en désordre, couverts de sang. Eugène et un de ses amis soutenaient le marquis et l’aidaient à marcher. La jeune fille devint affreusement pâle, un gémissement s’échappa de sa poitrine, ses jambes fléchirent sous le poids de son corps, et elle s’affaissa à demi évanouie dans les bras d’un des chasseurs, qui s’était précipité pour l’empêcher de tomber. Mais ce ne fut qu’un instant de faiblesse causée par l’effroi et la violence de son émotion. Elle revint à elle. – Mon père, mon bon père, qu’avez-vous ? s’écria-t-elle. – Rassure-toi, ma fille, ce n’est rien, répondit le marquis d’une voix faible. – Ah ! vous ne pouvez pas me le cacher, vous êtes blessé ! – Oui, mais légèrement ; je te le répète, ce n’est rien, rassure-toi. – Mon père, dit Eugène, voilà un banc, voulez-vous vous reposer ? – Oui, un instant. Ensuite j’aurai assez de force pour aller jusqu’au château. Eugène l’aida à s’asseoir sur le banc. Alors Maximilienne se mit à genoux devant lui, et, le visage inondé de larmes, elle le regarda avec une tendresse inexprimable. Elle était si belle ainsi que le marquis ne put s’empêcher de l’admirer. – Comme elle ressemble à sa mère ! se disait-il. Il s’inclina et lui mit un b****r sur le front. – Cher père, où êtes-vous blessé ? demanda la jeune fille. – À l’épaule. – Est-ce que c’est un coup de fusil ? – Oui. – C’est épouvantable, cher père, vous pouviez être tué ! – C’est vrai. – Comment ce terrible accident vous est-il arrivé ? – Je ne puis te répondre en ce moment, tu sauras cela plus tard. – Souffrez-vous beaucoup, cher père ? – Depuis un instant j’éprouve un grand soulagement ; en te voyant je ne sens plus la souffrance. Ah ! chère enfant, ton regard a la même puissance que celui de ta mère ! Mais ne reste pas ainsi, tu te fatigues ; assieds-toi là, à côté de moi. Bien. Maintenant, essuie tes yeux et ne pleure plus. Je te l’ai dit, ce n’est rien, une blessure légère. Je suis un peu faible, parce que j’ai perdu beaucoup de sang. Emmeline s’était arrêtée à quelques pas. Elle regardait en pleurant. Après un moment d’hésitation, Eugène s’approcha d’elle. – Vous pleurez, mademoiselle Emmeline, lui dit-il ; vous prenez part à notre peine, merci. Elle leva sur lui ses grands yeux pleins de larmes. – Mon Dieu, s’écria-t-elle aussitôt, en devenant très pâle, vous êtes blessé aussi ! – Non, mademoiselle, non, je ne suis pas blessé. – Mais là sur vos habits, ce sang ?… – C’est celui de mon père, qui a coulé sur moi. – Ah ! ah ! ah ! fit-elle. Et un long soupir s’échappa de sa poitrine. – Vous vous intéressez donc à moi ? reprit le jeune homme. Elle arrêta sur lui son regard d’une douceur infinie. Il lui prit la main, et ils restèrent un moment silencieux, croisant leurs regards. – Mademoiselle Emmeline, dit Eugène, est-ce que ma sœur vous a parlé de moi ? – Oui. – Vous a-t-elle dit… Le reste de la phrase expira sur ses lèvres. – Maximilienne m’a tout dit, répondit la jeune fille. – Mademoiselle Emmeline, balbutia-t-il, puis-je vous demander ?… – Monsieur Eugène, votre sœur vous dira ce que j’ai répondu. D’ailleurs, ajouta-t-elle, ce n’est pas aujourd’hui que nous pouvons parler de cela. – C’est vrai, dit-il tristement. Oui, vous avez raison, mademoiselle Emmeline, aujourd’hui nous ne devons penser qu’à mon père. – C’est bien vrai, n’est-ce pas ? il n’est que légèrement blessé ? – Nous le croyons. – Vous étiez là au moment de l’accident ? – Non, mon père était seul. – C’est donc son fusil, à lui ?… Le jeune homme secoua la tête. – Je ne puis rien vous dire ; mon père n’a répondu à aucune des questions que nous lui avons adressées ; de plus il nous a recommandé de ne faire aucune supposition ; il craint, évidemment, d’effrayer ma mère, ma sœur et nos amis. Comme vous le voyez, nous ne savons rien, nous ne pouvons que soupçonner la vérité et garder le silence pour respecter la volonté de mon père. Nous apprendrons plus tard ce qui s’est passé. Ce matin, en partant, nous étions tous joyeux, nous revenons désolés. – Hélas ! soupira Emmeline. À ce moment le marquis appela son fils. – Je me sens assez de force maintenant pour aller jusqu’au château sans être obligé de m’arrêter de nouveau, dit-il ; Maximilienne et Emmeline vont nous devancer. Elles nous annonceront et prépareront la marquise et sa société à nous recevoir. Maximilienne prit le bras de son amie et elles s’éloignèrent rapidement. Le marquis s’était levé. – Comment vous trouvez-vous ? lui demanda Eugène. – Aussi bien que possible, répondit-il en s’efforçant de sourire. Allons, j’en serai quitte pour la peur, ajouta-t-il presque gaiement. On se remit en marche, mais toujours lentement pour ne pas trop fatiguer le blessé. Se sentant assez fort pour marcher, le marquis ; avait voulu revenir à pied. En le voyant arriver ainsi, la marquise serait moins effrayée, et la douleur qu’elle allait éprouver moins vive. Telle avait été la pensée du marquis, il savait combien sa chère Mathilde était impressionnable, et qu’une commotion un peu violente pouvait compromettre sa santé. Il avait toujours, redouté de lui causer une contrariété, un ennui, un chagrin ou une douleur. Heureusement, prévenue par Maximilienne, qui, tout en lui apprenant que son père revenait blessé, s’empressa de la rassurer, la marquise ; ne fut pas trop vivement alarmée. Cependant elle sortit du château tout en larmes pour courir au-devant de son mari. C’est en s’appuyant, sur elle et sur Eugène que le marquis rentra au château. Conduit immédiatement, dans sa chambre, on l’aida à se mettre au lit. On avait posé sur la blessure un appareil provisoire préparé à la hâte avec des linges blancs déchirés et mis en charpie. Grâce à cette précaution, le sang avait cessé de couler. – Il faut courir chercher le médecin, dit la marquise. – Ma mère, un de nos gardes y est allé, répondit Eugène le docteur ne peut tarder à être ici. En effet, un instant après, le médecin de Coulange entrait dans la chambre du marquis. Il était fort ému, et c’est avec une certaine ; inquiétude qu’il examina la blessure. Le marquis avait, été frappé par une balle. Le projectile n’était pas resté dans les chairs. Il avait labouré l’épaule assez profondément sur une largeur d’environ douze centimètres en glissant sur l’omoplate. En somme, la blessure ne présentait aucun caractère dangereux. La marquise suivait avec anxiété tous les mouvements du médecin et cherchait à lire sa pensée sur son visage. Elle vit qu’il était ; satisfait de son examen, et elle poussa un soupir de soulagement. Du reste, quelques paroles du docteur eurent bientôt rassuré tout le monde. Il se fit donner de la charpie et les autres choses qui lui étaient nécessaires ; puis, après avoir lavé la plaie avec soin, il procéda au pansement. Alors le marquis déclara qu’il se sentait très soulagé. – Vous le voyez, fit-il, j’avais raison en vous disant à tous de ne pas vous effrayer, que ce n’était rien. – Nous n’avons à craindre aucune complication, dit le médecin, et je suis heureux de pouvoir vous tranquilliser. M. le marquis aura deux ou trois jours de fièvre, et dans huit jours il pourra sortir. Mais, tant que la fièvre n’aura pas complètement disparu, il faut un repos absolu. Il indiqua les soins qu’on devait donner au blessé et se retira en disant à la marquise qu’il reviendrait dans la soirée. L’émotion fut grande à Coulange quand on apprit que le marquis avait été ramené au château blessé par un coup de feu qu’il avait reçu dans la forêt. – Oh ! s’écria la femme, c’est affreux qu’on ait eu cette horrible pensée.Comment la chose était-elle arrivée ? On l’ignorait. Le marquis pouvait seul donner des éclaircissements à ce sujet et, on savait qu’il avait refusé de répondre aux questions qu’on lui avait adressées. L’affaire paraissait assez mystérieuse. Au dire des gardes qui suivaient la chasse, il était impossible que le marquis eût été atteint par un de ses compagnons, car tous se trouvaient à une grande distance de l’endroit où il avait reçu le coup de fusil. Il ne s’était pas blessé lui-même, puisque les deux cartouches de son fusil avaient été trouvées intactes. Que conclure de cela ? Le marquis avait-il donc été victime d’une tentative d’assassinat ? Le fait pouvait paraître inadmissible, attendu que M. de Coulange était très aimé dans le pays, où il n’avait jamais eu aucun ennemi. L’opinion de beaucoup de gens et celle du brigadier de gendarmerie, en particulier, fut qu’on avait tenté d’assassiner le marquis. C’était aussi la pensée des gardes et des amis de M. de Coulange ; mais, en présence du silence que le marquis paraissait vouloir garder, ils n’osaient le dire tout haut. Le brigadier de gendarmerie comprit qu’il était de son devoir de commencer immédiatement une enquête. Conduits par un des gardes du marquis, lui et ses gendarmes se rendirent dans la forêt. Ils constatèrent que le marquis avait été atteint et était tombé à environ trois cents pas de la maison du garde Bierlet. Ils trouvèrent les bourres du fusil et découvrirent que le coup de feu avait été tiré par un individu qui se tenait caché derrière un chêne au milieu du taillis. Plus loin, dans un fourré épais, ils firent une autre découverte. Un homme s’était couché là ; il y était certainement resté plusieurs heures ; peut-être même y avait-il passé la nuit. Dans tous les cas, il y avait fait un repas, comme l’attestaient le reste d’un morceau de pain, des coquilles d’œufs et une bouteille vide. Il n’y avait plus à en douter, un misérable avait voulu tuer le marquis de Coulange, et tout semblait indiquer que le crime était prémédité, et que le malfaiteur avait attendu et guetté sa victime. On pouvait dire aussi que le marquis avait miraculeusement échappé à la mort. La femme du garde Bierlet fut interrogée. Elle répondit : – Quand M. le marquis chasse de ce côté, il ne manque jamais d’entrer chez nous ; il embrasse mon petit garçon et cause un instant avec moi. Ce matin, il s’est assis et est bien resté un quart d’heure. Il m’a quitté en me disant : « Je vais rejoindre la chasse. » Un instant après, j’entendis un coup de fusil, mais je n’y fis pas attention. C’est plus de vingt minutes plus tard, que, tout à coup, j’entendis crier : « Monsieur le marquis est blessé ! » Si j’avais su le malheur qui venait d’arriver, je n’aurais pas attendu qu’on m’appelât pour aller au secours de monsieur le marquis. Quant à ce qui s’est passé, je l’ignore absolument. Je n’ai vu aucun individu de mauvaise mine et d’allures suspectes rôder par ici ni hier ni aujourd’hui. Mais l’attentat ayant été commis, il y avait un coupable. Maintenant, la mission des gendarmes était de chercher et de trouver ce dangereux malfaiteur.
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