II-2

2840 Words
Subite, la contagion muette de la superstition, plus forte que la nature, suspendit les phrases comminatoires prêtes à sortir des gosiers étouffés de sanglots, dans la crainte d’une provocation à d’autres malheurs. Tout se tut, sous la terreur même de l’être évoqué. Mais de nouveau le silence fut troublé ; une sanglotante voix de femme questionna encore, hachée de hoquets, plus hardie à cause de l’excès même du désespoir : « Ce serait-il donc vrai, cette Catouche, que vous dites ? » Et comme, autour d’elle, les yeux se baissaient craintifs, que les têtes se détournaient avec un mouvement poltron et houleux des épaules fuyantes, elle s’exclama, provocante : « Que lui avons-nous donc fait, à la Catouche, pour qu’elle nous poursuive ainsi ? » Celui qui parlait ainsi, c’était Yan Cosquer, le patron de l’Étoile-Polaire.Lagadec, incapable de garder sa langue sur de pareils sujets, après un regard un peu inquiet vers les espaces, répondit d’un ton étouffé, en se penchant du côté de la désolée, une des nouvelles veuves de Kermeur, la malheureuse femme d’un des hommes de la Reine-des-Anges : « Si c’est vrai, Seigneur ?… La Catouche !… Même que je la connaissais bien, avant qu’elle soit la Catouche, du temps que j’habitais l’île, à l’époque de mon enfance, ne songeant pas à m’installer à Camaret pour pécher la sardine. J’aurais jamais cru qu’il arriverait d’elle ce qui en est arrivé. C’était certes pas une méchante femme au jour d’alors, vu qu’elle a épousé un bon mari, un fameux gars, que je l’ai eu en camarade, en matelot ! Oui, mais voilà, depuis la mer l’a faite veuve, comme tant d’autres ! Et alors… » Il s’arrêta, conservant un roulement lent de la tête, promenant sa chique d’une joue à l’autre du bout de sa langue, comme pour s’empêcher d’en dire plus long sur sa compatriote de Sein, semblant espérer qu’on le comprendrait à demi-mot, qu’on lui épargnerait le péril de s’expliquer plus clairement. Il ajouta même, audacieux : « À l’île de Sein, voyez-vous, il ne faut pas, pour une femme, devenir veuve ! C’est très mauvais, très dangereux ! Il y en a pour qui ça tourne mal ! » Sa douloureuse interlocutrice insista, ardente, n’ayant plus de ménagements à garder, ne redoutant plus aucune catastrophe après celle qui l’avait atteinte et qui ne pouvait être dépassée : C’est-y donc une raison pour faire veuves les autres, celles qu’elle ne connaît pas et qui ne lui sont rien ?… D’être veuve cependant, elle doit savoir que, pour nous, c’est le malheur des malheurs. – Bien sûr que non, ce n’est pas une raison. Seulement…, seulement… » Et, plus bas, plus mystérieux encore, son gros doigt posé devant ses lèvres, avec un clin d’œil significatif jeté du côté de Piërrik : « Pourquoi aussi que votre homme était sur la Reine-des-Anges ? » Elle eut une protestation surprise : « Le meilleur bateau de Camaret avec celui de Yan Cosquer ! Tout le monde aurait voulu faire partie de l’équipage. – Pas moi ! assura Lagadec avec un petit tremblement des joues. – Moi non plus, aussi vrai que j’existe, et que si j’en avais été, pour mon malheur, je ne serais plus de ce monde, » compléta Trémor, les lèvres froncées par une moue soucieuse. La femme les examinait l’un après l’autre, son chagrin un moment suspendu par l’étonnement ; elle reprit : « Un bateau que tous les pêcheurs d’ici et de partout en faisaient la louange, un bateau à tenir la mer par les plus gros temps, comme ceux de Douarnenez ! » Yves avoua : « L’embarcation, je ne dis pas ; je l’ai vue construire morceau par morceau dans le chantier du Styvel, qu’est un fameux ! On ne peut reprocher rien de rien à la Reine-des-Anges, vu qu’elle était parfaite, solide, point volage, étant lestée d’aplomb et qu’il aurait fallu plus d’un coup de vent pour la chavirer. » Hervé, dévoré de bavardage malgré la terreur, observa, la face cendrée par la crainte : « Il y avait le… le patron !… voilà ! » La veuve s’écria : « Danielou !… Hein ? c’est pour rire !… Le meilleur pêcheur de Camaret, un marin sûr comme sa barque ! » Décidément elle ne comprenait pas, ayant toujours entendu parler de Danielou en de tels termes d’éloges, qu’elle n’avait jamais eu d’inquiétude pour son mari embarqué à son bord, et qu’il fallait cette catastrophe pour ébranler sa confiance, pour qu’elle ne le défendît pas plus énergiquement. Mais les deux pêcheurs, d’une attestation unanime, confirmaient ce qu’ils venaient d’insinuer ; Lagadec, le premier, assurant : « Un fameux patron, un excellent homme, rien à dire sur son Compte en tant que pêcheur et que matelot, Danielou ; un camarade à risquer sa vie pour les autres, mais… un Danielou, quoi !… » Trémor approuva : « Oui, c’est ça : un Danielou !… » Du fond de la barque amarrée, une voix nouvelle ajouta, venant les appuyer : « Tous les Danielou ont péri ainsi ; pas un ne repose dans un cimetière, ni ici, ni ailleurs, ni nulle part sur toute la surface de la terre ! Les uns après les autres, grands ou petits, jeunes ou vieux, quand leur heure a été piquée sur la cloche de la mort, la mer les prend et les garde !… Les Danielou lui appartiennent, à la mer !… » Celui qui parlait ainsi, levant vers la foule des pêcheurs et des femmes une face sévère et calme, de clairs yeux francs dans un visage boucané par le soleil et le sel de l’Océan, c’était Yan Cosquer, le patron de l’Étoile-Polaire, tout sec et solide, conservé comme un jeune homme par les années de mer ; il ne paraissait pas ses soixante ans, avec ses cheveux bouclés à peine grisonnants, son épiderme presque pas ridé, converti en cuir, sauf les plis autour des yeux, l’agilité robuste de ses mouvements, la même grande force de levier de ses muscles. Il marmotta, semblant se parler à lui-même : « Un vrai sort, quoi ! C’est toujours moi qui rapporte l’épave annonçant le naufrage, la perdition en mer, corps et biens, d’un de ces Danielou ! » Il énuméra, d’un lent et mesuré travail de la tête et des doigts qui appelait sur lui l’attention de tous : « Ça a commencé, à ma connaissance, avec le père au Danielou de la Reine-des-Anges, il y a des temps et des temps, le grand-père à ce pauvre petit gars, le dernier de sa race à ce jour ! ». Son menton relevé vers la base du Beg-ar-Gac indiquait Pierrik, affaissé sur la roche unissant à la grève l’escalier de la falaise, toujours sanglotant à petit bruit, insensible à ce qui se passait auprès de lui, aux paroles qui se disaient, aux gestes qui se faisaient, et noyé au plus profond de sa désolation. Yan Cosquer reprenait, sentant autour de ses histoires l’intérêt des pêcheurs, des femmes, des enfants, et trouvant une sorte de plaisir âpre, lui déjà vieux, à réveiller le passé : « J’étais jeune alors, et rudement vigoureux, avec des yeux à qui rien ne pouvait échapper, quand j’ai ramené le bout de planche de l’arrière du bateau, qui fut la seule chose retrouvée de ce désastre du grand-père Danielou !… Un fier marin cependant, lui aussi, comme ils sont tous, comme ils ont tous été, si jeunes qu’ils soient, au sortir de la coque, qu’on jurerait !… Vers Molènes que ça m’arriva, je me souviens toujours, au retour d’un gros coup de filet que nous avions été donner vers le Four, par-delà la pointe de Corsen. Il y avait eu tempête deux jours avant. On n’en a jamais plus entendu parler dans la suite ; ni cadavres, ni avirons, ni mâts, rien que cette mauvaise planche hachée par les brisants, avec le nom de la barque : la Louise. Le gouffre avait tout dévoré, tout englouti, et personne ne revit jamais ce grand-père Danielou, que nous aimions, que nous connaissions tant ; nul ne le rencontra plus à Camaret, ni ailleurs ! » Il eut un long hochement de sa tête grisonnante, en ajoutant, raisonneur, avec un soupir : « Et ça n’a pas empêché le fils, notre Danielou d’aujourd’hui, qui se trouvait alors à son service à l’État, de reprendre la pêche à son retour, au lieu d’obtenir quelque bon poste de terrien, bien à l’abri, dans un port, le long de nos côtes. Il semblait, tant il était adroit, prudent et avisé, qu’il n’en serait pas de lui comme de son père. » Des réflexions le saisirent, glaçant les paroles sur ses lèvres, immobilisant ses yeux sur cette vision du passé qui remontait en ce moment devant lui, qui arrachait à l’Océan, les uns après les autres, une pâle et lamentable succession de cadavres. Puis il continua, comme malgré lui, saluant ce défilé d’ombres flottantes : « Lui, ce fut d’abord son Alain, qu’il perdit mousse, noyé aux mers d’Australie, dans ce grand naufrage qui fit tant de bruit autrefois, et la nouvelle lui en est tombée ici à Camaret, tuant en coup de foudre sa malheureuse femme du choc de cette douleur ! Il y a de cela sept ans ; elle venait de mettre au monde son dernier, Pierrik. C’est moi qu’on avait chargé du papier contenant la chose de cette mort, une fichue commission que j’avais là !… Oui, je les revois tous, ceux : qui restaient, réunis autour de ce maudit papier, ce chiffon de lettre, si léger au bout de mes doigts, si lourd de malheur, et que j’aurais voulu anéantir !… » Sa voix sombra, voilée par la pitié qui lui embrumait la gorge : « D’eux tous, la mère seule dort là-haut, sous l’herbe du cimetière, et, autour d’elle, rien que le nom des autres, mais pas leurs corps, pas leurs ossements ! » Il soupira plus fort, attendri : « C’est Alcide qui a suivi, Alcide Danielou, cette nuit de décembre, où il s’est perdu en plein goulet, au retour de Brest, avec quatre hommes et un mousse, au moment que mon Étoile-Polaire, qui naviguait presque de conserve, manœuvrait pour le joindre. Le coup de vent passé, plus rien sur la mer, redevenue calme après un gros flot de fond, rien que cette nouvelle à rapporter au père, qui attendait son grand fils, son orgueil, sa joie, par sa vaillance, sa force, sa conduite. Encore cette fois la mer n’a rien rendu, pas même un bout de bois, et les mois ont passé, passé, jusqu’au jour où ç’a été le naufrage lui enlevant son troisième enfant, disparu entre Ouessant et le Conquet, comme le grand-père, et dont la seule épave fut le corps d’un pauvre petit mousse qui l’accompagnait et que j’ai ramené à Camaret, avec l’annonce du malheur !… » Il leva les bras, d’un grand geste de lamentation en présence d’une telle hécatombe, concluant : « Voilà qu’aujourd’hui c’est lui qui va les retrouver, son père et ses enfants, tous ceux qui l’avaient précédé dans cette mort semblable, et que c’est encore moi que le Ciel a désigné pour rapporter l’épave, autant dire le billet de mort !… Un sort qu’il y a aussi sur eux, c’est sûr ! » À l’écouter, lui, considéré comme un sage, comme un ancien, plein de raison et de jugement, les autres restaient muets, roulant en eux leurs pensées sur ces évènements si étranges, sur cette extraordinaire succession de morts semblables ; la physionomie grave et inquiète, ils sentaient s’en confirmer leurs croyances, s’en exacerber leurs craintes. Hervé Trémor revint à ses idées, donnant son opinion : « C’est une famille plus éprouvée que les autres, oh ! oui, on peut dire ! Personne plus que ces Danielou n’est dans le malheur. Mais il faut reconnaître aussi qu’ils ont toujours eu confiance aux gens pas sûrs, à ceux qu’on ne voit pas, à ceux qu’on ne connaît pas, à ceux qui de nuit fréquentent la lande, les étangs, les Pierres-Grises, tous les mauvais endroits. C’était leur habitude à eux, – peut-être bien en manière de plaisanterie, ou de vrai que c’était, – de ne pas montrer de crainte de ce qui effrayait les autres, même les gens les plus sensés !… C’est des bravades mauvaises qu’on paye un jour ou l’autre !… – T’as raison, Hervé, reprit Lagadec, approuvant son ami. Tu es dans le plein vrai, et toute la misère du patron de la Reine-des-Anges vient de là. Pour les autres, pour son père, naufragé en Ouessant, pour ses fils, péris ici ou là, en mer, je ne sais point, vu que je les ignorais un peu, mais pour lui je suis certain, sûr comme Catouche existe ! » Yan Cosquer inclina la tête, semblant, lui aussi, comprendre et accepter comme vérité ce que son matelot voulait dire ; il fit brièvement : « Il faut avoir les croyances. » Mais, tandis que tous se pressaient autour du pêcheur, qui, satisfait de se voir écouté même après son patron, montrait par ses mines qu’il en savait long à ce sujet et qu’il pouvait raconter bien des choses, le petit Pierrik s’arrachait à sa torpeur. Les yeux ouverts sous ses mains appliquées sur sa figure trempée de larmes, il avait entendu le nom bizarre déjà perçu dans le grondement de la foule, ce nom enveloppé d’imprécations terribles, venir le trouver de nouveau au milieu de sa douleur ; ce nom, qu’il ignorait complètement, on le rapprochait de celui de son père, comme étant la cause de sa mort : cela le frappa. Il balbutia de ses lèvres tremblantes, comme pour mieux le retenir, s’en pénétrer : « Catouche ! » Ayant oublié ses terreurs superstitieuses, heureux de satisfaire sa passion de conteur, Lagadec pérorait : « Tout ça, c’est bien le Bateau-des-Sorcières qui l’a amené ; cette fois, on a eu raison de le dire ! Et si Danielou s’est perdu, c’est pour né pas s’en être suffisamment méfié, comme je ne cessais de le lui répéter, moi qui suis de l’île, et qui sais bien ce qui s’y passe, tout comme aux alentours du Raz, au Pont-des-Chats, à Tevennec, à la Vieille, des endroits habités par les invisibles. » Mystérieusement, les prunelles rondes sous ses sourcils relevés en arches de pont, il souffla d’un ton d’angoisse épouvantée : « Personne n’ignore, à Sein, le danger qu’il y a à rencontrer la nuit, aux abords de l’île, principalement entre le Pont-des-Chats et la roche Tevennec, un de ces bateaux qui n’ont d’autre équipage qu’une femme toute seule. On est sûr que ceux-là, ce sont les Bagou-Sorseurez !… – Les Bateaux-des-Sorcières, oui, bien sûr, c’est connu, répéta Trémor. Tout par le travers du Raz, d’Audierne à la pointe du Van, jusque par le cap de la Chèvre même, on l’affirme. Mais Danielou n’était pas de ceux qui entendent raison sur ce sujet ; il se croyait plus fort que tous, mieux renseigné, parce qu’il avait voyagé, étant marin… » L’oreille tendue, Pierrik écoutait, croyant vivre dans un rêve.Une hésitation l’arrêta une seconde, avant qu’il ne reprît, trahissant ses défiances : « Peut-être bien aussi qu’ils étaient trop amis, lui et celle dont nous causons trop à c’t’heure, et dont il vaudrait mieux ne point parler !… » Pierrik, atterré, en oubliait peu à peu son malheur, comme si une volonté impérieuse, toute-puissante, se fût substituée à la sienne. Ses doigts s’écartaient insensiblement pour laisser passer ses regards, encore tamisés de larmes, qui se fixaient terrifiés et charmés sur le pêcheur. L’oreille tendue, tout le corps vibrant d’un étrange émoi, il écoutait, croyant vivre dans un rêve, arraché même à son désespoir par ces mots farouches, par ces allusions suspectes, et voulant apprendre, savoir quand même. Il se répéta lentement, l’esprit illuminé de tout le merveilleux jaillissant pour lui de ces mots : « Le Bateau-des-Sorcières ! » L’autre poursuivait, la voix rendue plus rauque par l’effroi même de ce qu’il disait, par la vague crainte de se compromettre en parlant trop : « Ce sont des veuves de l’île de Sein, seulement certaines qu’on ne sait pas au juste, qui montent ces embarcations fatales, et nos îliens assurent que celles-là ont le mauvais œil. Il n’y a pas plus redouté que leur rencontre, vu que ça tourne presque toujours à mal pour ceux à qui ce malheur arrive. Personne n’oserait, de son plein gré, les aborder ; car, dans ce cas, la sorcière confie au patron, qui seul la voit, un secret, toujours terrible, un secret de mort. S’il parle de cette rencontre, que cependant pas un de ses hommes n’a pu remarquer ; s’il dévoile, si peu que ce soit, ce secret, lui et son équipage sont fatalement engloutis la première fois qu’ils prennent la mer ! » Trémor souligna, sans donner d’autre explication : « C’était le cas de ce pauvre Danielou. » À cette révélation l’enfant faillit jeter un cri, murmurant : « Papa !… Lui !… Un secret !… Le Bateau-des-Sorcières !… » Une fièvre de magie éblouissait ses yeux, son cerveau, séchant les larmes sur ses joues humides, troublant ses pensées. Ce fut au travers d’une sorte de vertige qu’il entendit Lagadec reprendre : « Cette fois, paraîtrait que c’est Catouche, qui est la plus redoutable de ces veuves, la plus portée en sorcellerie. On m’a affirmé, – des gens qui ne mentent jamais, – l’avoir vue, avant que le soleil ne se lève, revenir de la chaussée, les vêtements trempés d’eau, pieds nus, rien dans son panier à goémons, preuve qu’elle n’avait pas pêche ! » Sentencieusement, balançant une main pesante devant son visage, il questionna autour de lui : « D’où pouvait-elle venir à pareille heure, que pas une femme n’est encore dehors, au lieu d’être tranquillement à reposer chez elle, hein ? » Sa conclusion fut : « Il n’y avait pas à s’y tromper : elle arrivait de la mer, où elle avait couru toute la nuit. » D’une voix épouvantée il expliquait : « Elle a son moyen à elle, qui est de transformer son panier en barque, de changer son bâton à varech en mât et de faire une voile de son tablier. » Il chuchota, les yeux tout ronds : « Je me suis laissé dire que Danielou l’avait vue qu’il lui avait parlé, qu’ils étaient bien ensemble. » Trémor confirma, dans un besoin de s’associer aux révélations de son camarade : « Elle lui aura dit son secret, et, au lieu de le garder pour lui, il l’aura répété. C’était aller à la mort avec tous ses hommes à sa première sortie en mer. Vous voyez que ça n’a pas manqué, preuve que c’est vrai ! » Yan Cosquer jeta à terre le mât brisé et la voile en lambeaux, avec son numéro encore visible, 508. Il fit, la poitrine oppressée : « Pauvre Danielou ! » Surmontant l’engourdissement qui le tenait immobile, partagé entre la stupéfaction et la douleur, Pierrik se redressa comme pris de folie ; il courut à ces tristes épaves, se jeta à corps perdu sur la toile souillée d’eau de mer, mise en pièces par les rochers, sur le fragment de mât auquel s’était peut-être longtemps accroché son malheureux père avant de s’engloutir pour jamais, et appela désespérément : « Papa ! papa ! » Puis, tandis qu’on s’empressait autour de lui, en une reprise de cet apitoiement général qui faisait oublier les misères personnelles de chacun pour cette épouvantable douleur de l’orphelin, il balbutia plus bas, songeant à ce terrible bateau, cause du désastre, à ce bateau de la peur, fantôme de mort, entré d’une manière si tragique dans sa mémoire, dans son imagination, pour n’en plus sortir, comme s’il devait toujours peser sur lui : « Catouche ! Le Bateau-des-Sorcières ! »
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