II - Place le la seigneurie

553 Words
II Place de la seigneurieD’abord un Pannini ; ce que ses yeux d’enfant, étonnés de voir, ont premièrement aperçu ; et le décor de fond de sa vie enfermée d’enfant patricienne. Du premier joujou au premier rêve, de la poupée à l’amant, cette poupée idéale ; tout le temps que ses courtes robes de baby ont mis à s’allonger, sur ses jambes de jeune fille : toujours cet horizon. Qu’elle ouvrit sa fenêtre au frais matin ; qu’elle y vînt par l’instinctivité de l’enfance qui aime à voir du ciel et se sent oiseau ; que, les nuits, sa puberté demandât leur nom aux attirantes étoiles, et à l’ombre du dehors un voile de mystère pour ses rougeurs sans cause de fleur, frôlée par les phalènes de l’adolescence : devant ses yeux souriants à l’avenir ignoré ou embrumés des larmes anticipées que la prévision des douleurs prochaines fait perler aux jeunes paupières ; dans la multiplicité et la succession de ses naissantes pensées : toujours la place de la Seigneurie. Le premier livre lu en secret, premier fruit défendu, cueilli à l’arbre triste et séducteur de la science, s’entaille si profondément dans l’esprit, que ni les baisers de la passion ne l’effacent, ni le sel figé des larmes n’en couvre l’empreinte. De même, les spectacles quotidiens pendant des années, se gravent dans le souvenir, rendus ineffaçables par cette contemplation machinale des heures passives, où l’avidité de nos sentiments fait rendre le même son à tous les pizzicati de la vie, sans que le doigt v*****t de la douleur appuie sur aucune de ces cordes qui font résonner grave ou rieur, notre souci. Et cette faible épaisseur de notre libre arbitre, cette mince couche de cire où nous pouvons esquisser nos vouloirs, s’incise au hasard de l’existence ; l’eau-forte de l’habitude, c’est-à-dire l’éternel retour du banal et du coutumier, y mord ses lignes profondes et informes, pareilles à des ornières, au lieu de notre rêve ! Les fantômes de l’adolescence, revêtant les formes locales, lui apparurent encadrés par les cintres de la Logia où errants derrière les créneaux en queue d’aronde du Palais Vieux, avec une allure du passé, et quelque chose de la date du monument. Pour l’enfant qu’appelle la liberté de la grande nature, la fenêtre, dans l’éducation civilisée, est une baie sur la vie, une baie sur l’idéal. Les cris, l’aller et le venir perpétuels lui donnent le spectacle de l’activité de mouvement qui est son souhait ; et l’œil de la rêverie, qui s’effraye aux tapisseries vieilles où s’agitent les êtres revenants d’autrefois, se plonge heureusement dans la nuit, sur laquelle se détachent, lumineuses dans l’évocation de la pensée, les illusions blanches. En face du Palais Torelli, la forteresse d’Arnolfo di Lapo dressait sa masse tragique dans l’immobilité de Florence. La lune qui roulait dans le ciel comme un rhombe d’argent sur un tapis bleu, découpait par sa clarté mouvementée, la silhouette élancée du beffroi : et du noir où le Médicis équestre disparaissait, l’Hercule de l’Ammanato projetait une ombre colossale sur les dalles polies, tandis que le clapotis de l’eau scandait l’envolée des heures de son bruit flasque et rythmé. Souvent, dans les insomnies où la sensation s’éveille, nu-jambes elle se levait, et sous l’arc géminé de sa fenêtre, archère agrandie, elle restait pendant des heures, immobilisée dans un appuiement las sur la pierre dont le grain dur rosissait ses coudes nus. Le sommeil du Palais, le calme de la nuit, le silence de la place enfiévraient son pouls, agitaient son esprit, rendant sa rêverie prolixe et son imagination osseuse. Des haleines passaient sur elle, caressantes ; et l’hymne de l’idéal balbutiait dans son cœur, qui battait à des pensées de roman.
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