I - Frontispice

1189 Words
I FrontispiceElle est seule. Plein d’ombre alanguie et de silence berceur, clos à la lumière, clos au bruit, le boudoir circulaire a le recueillement rêveur, la somnolence douce, d’une chapelle italienne, aux heures de sieste ; buen retiro, semblable à l’étage d’une tour ronde, sans baie à ses murs elliptiques, où cloutée d’argent aux plis, la pourpre héraldique étale, en un satin violet plein de rouge, son deuil royal et sa magnificence triste. Aux portières de velours, s’étouffent les voix du dehors et le plafond s’évide en un dôme, d’où le jour tombe, arrêté et affaibli par un vélarium bleu. Dans cette crypte mondaine dont la demi-obscurité rend, par places, le violet presque noir, de grands lys s’élancent autour d’une dormeuse où, écrasant délicatement les coussins, la princesse, couchée sur le dos et sans pensée, songe, avec l’abandon de corps et d’esprit, des heures esseulées. Sur ses formes Parmesanes, le peignoir de soie violette a des froissements pareils à des moues de lèvres, à des caresses timides et effleureuses. Un bras que la retombée de la manche dénude, encouronne sa tête aux cheveux roux et lourds, l’autre pend avec des flexibilités de lianes, des souplesses de lierre et le dos des doigts pointus touche la peluche rase du tapis. Par un bayement de l’étoffe la gorge apparaît, filigranée de l’azur des veines qui transparaissent. Les seins très séparés et placés haut sont aigus, les mules tombées, les pieds nus ont cet écartement de l’orteil que la bandelette du cothurne fait aux statues : et le sortir du bain amollit de matité douillette tout cet éphébisme à la Primatice. On dirait l’Anadyomène de ces primitifs qui, d’un pinceau encore mystique, s’essayent au paganisme renaissant, un Botticelli où la sainte déshabillée en nymphe, garde de la gaucherie dans la perversité d’une plastique de stupre ; une vierge folle de Dürer, née bous un ciel italien, et élégantisée par un mélange de cette maigreur florentine où il n’y a pas d’os et de cette chair lombarde où il n’y a pas de graisse. La paupière mi-close sur une vision entrevue ; le regard perdu dans les horizons du rêve, la narine caressée par des senteurs subtiles, la bouche entrouverte comme pour un b****r – elle songe. D’une robe couleur du temps, où d’un cœur qui la comprenne, d’infini ou de chiffons ? Dans quelle contrée du pays bleu, à la porte de quel paradis perdu, son désir bat-il de l’aile ? Sur la croupe de quelle chimère, prend-elle son envolée dans le rêve ? Elle ne songe à rien, ni à personne, ni à elle-même. Cette absence de toute pensée énamoure ses yeux, et entrouvre ses lèvres minces d’un sourire heureux. Elle est toute à la volupté de cette heure d’instinctivité pure, où la pensée, ce balancier inquiet et toujours en mouvement de la vie, s’arrête ; où la perception du temps qui s’écoule, cesse, tandis que le corps seul vivant s’épanouit dans un indicible bien-être des membres. Ses nerfs au repos, elle ne perçoit que la sensation de sa chair fraîche, souple, dispose ; elle jouit de la félicité des bêtes, de ces vaches de Potter, accroupies dans l’herbe haute, repues et qui reflètent une paix paradisiaque dans leurs gros yeux clignés. La princesse savoure délicieusement l’extase de la brute ; elle est heureuse comme un animal. Ses yeux en l’air regardent sans voir, le blason des d’Este, brodé sur le vélarium ; et l’aigle d’argent couronnée, becquée et membrée d’or la regarde aussi, et semble crisper et roidir son allure héraldique, au-dessus du lazzaronisme de boudoir qu’elle plafonne. Les lys, les fleurs royales, les fleurs pures, élancent, sereins et augustes, leurs tiges droites des pieds de bronze, et leurs calices d’argent, pistillés d’or gouachent la tenture de pourpre, de tons chastes et nobles. De ses mains glissé, un volume s’étale, les feuillets en éventail. Les accalmies absolues de l’intelligence et de la mer, sont brèves dans les hautes têtes et sur les grandes plages : le flux de la pensée reconquiert vite le corps un moment quitté. Lointaines, les images et les vagues montent, agitées et successives, et reprennent à leur repos d’un moment, le sable déjà sec et brillant des grèves, et le cerveau déjà vide et sans souffrance. La buée qui s’élevait de la baignoire gazant sa nudité, flotte encore dans sa tête, où se fait un lever paresseux et lent des idées. Dans ce réveil de l’immortel de l’être, où les brumes d’une aube s’évaporent, domine, seule distincte, une phrase lue, qui revient, se répète obsédante, ainsi que ces hémistiches de vers oubliés qui poursuivent le lettré et ces airs entendus dans le lointain d’une vesprée que l’oreille, comme une boîte à musique, a gravés ; semblable, aussi, au répons sonore de litanies balbutiées dans une somnolence de dévote, ou bien au refrain d’une ballade dont on ne sait pas les strophes : « Albine s’abandonna, Serge la posséda, le parc applaudissait formidablement. » À ce chapitre où toutes les sèves en délire éclatent en un cri de Rut, la princesse n’avait pas vibré. Cette bestiale ardeur n’éveillait rien dans ses sens délicats et raffinés de décadente. Elle avait tourné d’une main froide ces pages enfiévrées, mais la curiosité, chez elle analytique, avait été intéressée par ce tableau d’une sensation inconnue, d’un sentiment plus inconnu encore. La femme qui lit un roman, essaye, par un instinct fatal sur son âme les passions du livre ; comme elle essayerait infailliblement, sur ses épaules, la mante de forme rare qu’elle trouverait sur un meuble, aimant à se retrouver dans l’héroïne. Exceptionnelle, la princesse eût souffert de se voir écrite ; et à lire Balzac, elle s’irritait pour les coins d’elle-même qu’elle y trouvait révélés. Satisfaite, dans le soin de sa gloire, d’être indemne des ivresses animales de la sexualité ; confirmée dans la rareté de son caractère, elle reçoit une louange des disparates qu’elle se découvre et sa supériorité s’augmente de tout ce qui la dissemble des autres. Dans son passé, aucune frondaison de Paradou ; dans son souvenir, aucune figure de Serge, aucune. Tout à l’heure, l’eau tombait en perles de sa nudité, et elle se complaisait aux lys de sa peau que nul b****r ne rosit jamais ; maintenant une volupté qui a manqué aux Pharaons et aux Césars, lui vient de la continence de ses reins, de l’impavidité de son cœur : l’impériale satisfaction d’avoir fait toute sa volonté sur soi-même. Elle n’est ni Sémiramis, ni Cléopâtre. Son nom illustre n’a sur elle que le prestige des ancêtres ; l’histoire ne saura pas si elle a en lieu : ce n’est qu’une grande dame de nos jours et du Faubourg Saint-Germain. Mais contemplant ses vertus solides comme des vices, ses vices calmes comme des vertus, elle se répète le Divi Herculis Filia, de Ferrare. Car elle est elle-même le monstre qu’elle a vaincu, et invincible aux Omphalus, son âme pleine de passion, son corps pétri de désirs, elle les a modelés, de son pouce long, à la spatule volontaire, d’après un idéal pervers d’Artémis moderne. Elle a vécu selon une idée : c’est sa gloire. Le mouvement lyrique de sa superbe se calme ; elle évoque lentement l’un après l’autre, les détails dont la vie est faite. En entrant dans l’hypogée du souvenir elle reçoit cette bouffée d’air froid et humide, qu’ont les lieux d’où la lumière et la vie se sont retirées ; et la fadeur poussiéreuse et moisie des choses vieilles, lui impose son vague attendrissement. Confusément s’éveillent : l’écho des mouvements dont le cœur a battu, une impression posthume des sensations d’autrefois, une vie retrouvée des personnages et des actes dans leur cadre, et avec, au cerveau, le retour des pensées d’habitude, aux yeux l’humidité des larmes, jadis pleurées. Elle contemple au lointain, du haut de son orgueil, le panorama du temps défunt, et faisant présent son passé ressuscite toute sa vie morte.
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