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1677 Words
Le nom de nieules, nebulœ, vient probablement de ce que la pâte en était transparente comme un brouillard. C’était surtout les jours de pardons, indulgences ou pèlerinages de saints et processions de jubilé que ces oublayers débitaient une prodigieuse quantité de pâtisseries au sucre et aux épices, enjolivées d’images et sentences pieuses appelées gauffres à pardon ; ils établissaient leurs petits fourneaux autour du portail des églises. La corporation des oublieurs, dont les chefs demeuraient dans cette rue, avaient des statuts qui dataient de l’an 1406. Ils portaient que « personne ne pourra exercer ce mestier à Paris, s’il ne sait faire par chascun jour, cinq cents de grandes oblies, trois cents de supplications et deux cents de nieules ou estérets. » À cause des hosties qu’ils fabriquaient sous la surveillance des sociétaires, ils devaient être de bonnes mœurs, ne jamais jouer aux dez à argent ; de bonne vie et renommée, sans avoir été repris de vilains blâmes ni jamais employer aucune femme pour faire pain à célébrer en église, se servir de bons et loyaux œufs, ne devant jamais aller en hôtel de juif ou juive pour mestier vendre. Ils avaient le privilège de travailler le dimanche, excepté les quatre grandes fêtes. L’ordonnance de 1400 permet aux oublayers de jouer seulement aux oublies en portant leur métier. Tel est l’origine des loteries de macarons. C’est de cette rue que partaient, dès le matin, de grosses et joyeuses commères, portant devant elles tout l’attirail de leur métier ; elles parcouraient les carrefours et accostaient les passants en débitant cette petite chanson : Chaudes oublis renforcies, Galètes chaudes, Eschaudez Roinssolles, ça denrée aux dez. Ou bien les suivants annonçant deux gaufres pour un denier. C’est moi qui suis un oublieux Portant oubli à la saison ! Pas ne dois être oublieux Car j’en suis : c’est bien la raison. Elles se croisaient dans les rues avec d’autres commères du Marché-Palu, qui allaient par la ville criant de leur côté, à pleins poumons : J’ai chastaignes de Lumbardie ! J’ai roisin d’oustremer, roisin ! J’ai porées et j’ai naviaux, J’ai pois en cosse tous noviaux ! Comme les bourgeois soupaient de bonne heure, les oublieurs se répandaient également le soir dans les rues et entraient dans les maisons offrir leurs oublies pour dessert. Les familles se réunissaient, et l’on tirait au sort les oublies, ce qui ouvrit la porte à de grands abus, car, dans quelques-unes, on se livrait aux jeux de hasard, où les filous trouvaient une mine féconde. Cela donna l’éveil au lieutenant criminel. Plusieurs fois, il fut obligé de sévir ; mais il ne voyait pas tout, et certaines maisons devinrent le repaire de débauchés qui s’y rencontraient la nuit. Les voleurs, également, profitaient de cette coutume : déguisés en marchands d’oublies, ils pénétraient dans les maisons pour les dévaliser ou enlever quelque jolie fille qu’attendait, au détour d’une rue, la litière d’un riche ravisseur. Les crustules miellées étaient faites avec de la farine de froment, du miel de Languedoc, du safran et des épices fines, le tout bénit d’avance par la main de monseigneur l’évêque. C’étaient ces sortes d’oublies qu’on jetait en largesse au populaire dans les églises, à certaines grandes fêtes de l’année. Comme la manne du ciel, elles tombaient des voûtes, et la foule se jetait dessus en se bousculant et poussant des cris de joie. C’est pendant que ces gâteaux miellés tombaient que quatre sacristains, tenant chacun un grand corbillon garni de blanches toiles, présentaient des oublies et des gâteaux aux principaux assistants placés dans le chœur, prêtres, moines, marguilliers, chantres, nobles, etc. C’est de cette coutume charmante que vient l’origine du pain bénit que l’on distribue encore le dimanche dans toutes les paroisses de France, et ce petit fragment de pain avec lequel on fait pieusement le signe de la croix avant de le porter à sa bouche, remplace l’oublie du Moyen Âge. Il y avait aussi autrefois une redevance de fiefs connue sous le nom de droit d’oubliage ; elle se transforma en gâteaux nommés oubliaux, puis en argent monnayé. Les marchandes de plaisirs qui parcourent les rues et les jardins publics avec leur contrefaçon de crécelle et leur cri de soprano sont les derniers représentants de la confrérie sucrée des marchands d’oublies de la rue de la Licorne, et la grande fabrique de la rue de Ponthieu remplace à elle seule toute la rue de la Licorne des quatorzième et quinzième siècles. Vers la fin du quinzième siècle, on montra dans cette rue une licorne ou unicorne venue d’Afrique. Bourgeois et manants de Paris la regardaient comme un animal fabuleux. Toute la cité fut en émoi. À l’une des extrémités de la rue, une taverne fameuse profitant de la vogue arbora pour enseigne une licorne, dont la corne unique était dorée. Elle était fréquentée par les filles de joie de la rue du Val d’Amour et les soudards ; elle donna le nom de son enseigne à la rue. La licorne est un animal que le Moyen Âge a orné d’une foule de curieuses légendes. La licorne aime la chasteté à un tel point, qu’on ne peut s’en emparer qu’en l’attirant par une jeune vierge. Dès qu’elle en aperçoit une, elle penche sa tête sur ses genoux et s’endort d’un sommeil si calme, qu’il est facile aux chasseurs de s’en rendre maîtres. Quelques-uns prétendent que sa corne, quand elle est jeune, est faite en forme de croix, mais qu’en grandissant et en changeant de forme, elle ne perd rien de sa merveilleuse vertu ; car, pour transformer en antidote toutes les eaux d’une source, il suffit que cet animal, en se désaltérant, y ait trempé la pointe de cet appendice enchanteur. Dans l’art héraldique, elle est le symbole de la force et de la chasteté. Le pape Clément VII et Paul III l’avaient adoptée comme emblème ; nous la retrouvons encore dans les armes d’Angleterre. LA RUE SAINT-LANDRY. Cette rue était anciennement nommée rue du Port-Notre-Dame ou Port-Saint-Landry. À son extrémité qui donnait sur la berge, les bateliers et poissonniers parisiens débarquaient les vivres et marchandises, qui étaient ensuite vendue au Marché-Palu (ainsi nommé à cause de son emplacement marécageux). Ce marché fut la première halle parisienne. Il y avait jadis à Paris plusieurs endroits de sinistre réputation, où s’élevaient les échelles patibulaires. Ainsi, la rue des Vieilles-Haudriettes se nomma aussi la rue de l’Échelle du Temple, à cause de l’échelle patibulaire que le grand prieur de France y avait fait élever. Ces constructions étaient une espèce de pilori qui servait de marque de haute justice. L’évêque de Paris en avait plusieurs au parvis Notre-Dame, au port Saint-Landry, rue de l’Échelle, etc. L’abbé de Saint-Germain avait un pilori. Aux Halles était celui du Roi. Les corps des suppliciés étaient ensuite transportés aux fourches de Montfaucon. Saint-Landry, qui vivait au septième siècle sous Clovis II, fut un des évêques de Paris les plus populaires par son renom de piété et de charité. C’est le fondateur de l’hôpital Saint-Christophe devenu l’Hôtel-Dieu. Plein de zèle et d’humanité, dans une grande famine, il vendit aux juifs sa vaisselle, ses meubles, même les vases sacrés et les ornements de son église pour sauver la vie à une foule de malheureux qui, sans lui, seraient morts de faim. Il y avait dans cette rue une chapelle où l’on prétend que ce saint évêque allait souvent faire ses prières. Il a même demeuré dans la maison qui s’élevait à l’endroit où, plus tard, les poissonniers et bateliers parisiens érigèrent cette chapelle en son nom. Les évêques de Paris y possédaient, en 1265, une maison appelée la Lavanderie, parce qu’on y lavait le linge du chapitre et des autels de Notre-Dame. C’est dans cette maison que plus tard ils firent soigner, à la charge des seigneurs hauts justiciers, les enfants exposés dans une crèche, placée dans une des chapelles de Notre-Dame. Au dix-septième siècle, une dame charitable ouvrait dans la même rue un asile pour ces pauvres orphelins, sous le nom de Maison de Couche. Saint Vincent de Paul l’ayant visitée fut touché du dénuement de ces pauvres enfants, et, à l’aide d’aumônes, fonda à la porte Saint-Victor un refuge qu’il nomma l’Asile des enfants trouvés. Le pieux évêque fut enterré à Saint-Germain-l’Auxerrois. Son tombeau fit des miracles. On mit ses reliques dans une belle châsse dorée qui fut placée sur une colonne dressée derrière le maître-autel. Un grand nombre de peintures murales, tracées par la main de nos artistes dans les églises parisiennes, reproduisent les principaux traits de la vie de ce grand prélat qui fut la gloire de son temps, et dont la mémoire est encore entourée de bénédictions. Vers le neuvième siècle, lorsque les Normands vinrent mettre le siège devant Paris, les abbés de Saint-Germain-le-Rond, pour préserver les reliques de Saint-Landry des insultes de ces fiers pirates qui chantaient la messe des lances sur toutes les abbayes détruites, les cachèrent en la Cité dans la chapelle de Saint-Nicolas, dont la gloire s’effaça devant ce grand saint parisien, qui donna son nom à la modeste chapelle ; on l’érigea en paroisse en son honneur. Elle fut reconstruite au quinzième siècle et démolie en 1826. Dans une chambre de l’Hôtel de Saint-Paul, mourait en grande indigence et pauvreté, dans la nuit du dernier septembre 1435, assistée d’une seule suivante, une reine maudite, dont le corps fut déposé clandestinement dans la chapelle de Saint Landry. Cette reine, détestée de tous les Français et méprisée des Anglais, était la femme de Charles VI, Isabeau de Bavière ; et la nuit suivante, pour épargner les frais de ses funérailles, le duc d’York, régent de France pour le jeune Henri de Lancastre, roi de France et d’Angleterre, fit porter son corps dans un petit bateau, accompagné de quatre moines portant chacun un cierge allumé. À peine avaient-ils psalmodié le dernier verset des prières des trépassés, que le batelier s’arrêta. On était en face de Saint-Denis. Deux autres moines embusqués sur la rive portèrent modestement sur leurs robustes épaules le cercueil de la mégère royale, et le déposèrent sans cérémonie dans les caveaux de leur abbaye. Quel contraste avec les fêtes populaires si joyeuses et si splendides qui célébrèrent son entrée solennelle dans Paris ! Et quel dénouement lugubre aux prédictions de ces anges descendus du ciel, qui lui posèrent moult doucettement sur la tête une couronne d’or fin enrichie de pierres précieuses, et lui souhaitèrent la bienvenue en chantant ces vers : Dame enclose entre fleurs de lys Reine êtes-vous du Paradis, De France et de tout le pays, Nous en rallons en Paradis. Isabeau fut inhumée piteusement dans le tombeau de Charles VI, et, fait bien remarquable, comme si la fatalité se fût acharnée après sa dépouille mortelle, son mausolée fut payé avec le prix de la bibliothèque recueillie par Charles V, et vendue 1 200 livres au duc de Bedfort.
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