IV

2160 Words
IV Le prince avait vingt ans, Nancy pouvait en avoir seize. Si la camérière était moqueuse, Henri était hardi. Les cheveux blonds et les yeux bleus de Nancy lui tournèrent la tête pendant cinq minutes et lui firent oublier madame Marguerite aussi bien que la belle argentière. – Ventre-saint-gris ! murmura-t-il, parbleu ! oui, je vais me mettre à genoux. Et il fléchit, en effet, un genou devant Nancy, prit sa main rosée et baisa cette main fort galamment. – Bon ! très bien !… dit Nancy ; c’est parfait, mon beau chevalier… maintenant asseyez-vous… Et elle lui retira sa main. Henri essaya de la retenir dans la sienne, mais la main de Nancy était fluette et satinée, et elle glissa entre ses doigts comme une anguille. – Vous êtes charmante, dit Henri, jolie comme un cœur. – Vous trouvez ? – Et je vais vous le prouver. Le prince prit Nancy par la taille, mais Nancy se dégagea et fit entendre un petit rire moqueur. – Ah ! dit-elle, la procuration de madame Marguerite ne va pas jusque-là… Ces mots étourdirent quelque peu le jeune prince. – Comment !… dit-il en regardant Nancy, qui riait toujours de son rire mutin. – Eh da ! fit-elle, vous savez bien que je représente ici madame Marguerite. – Bah ! dit Henri, je ne songe qu’à vous ; vous êtes charmante… – On me l’a dit souvent. – Et si vous vouliez m’aimer !… – Nenni ! mon beau chevalier… je ne puis pas… – Et pourquoi ? Le prince avait tout à fait la tête tournée ; il avait fini par reprendre la main de Nancy et par s’asseoir à côté d’elle. – Pourquoi ? fit-elle, toujours railleuse, mais parce que je ne suis pas une grande dame ni une princesse, moi… – Hein ! murmura le prince abasourdi. – Et qu’une fille de petite noblesse comme moi, acheva Nancy, qui n’a pour dot que ses dents blanches, ses cheveux blonds et ses yeux bleus, cherche un mari… et non autre chose, monsieur de Coarasse. – Eh ! dit le prince, qui sait ? nous pourrions peut-être nous entendre… Nancy le regarda. – Vous seriez un bien joli mari, dit-elle, mais je ne veux pas de vous pour trois raisons. – Bah ! – La première, c’est qu’une fille qui n’a que ses appas pour dot ne doit pas épouser un gentilhomme qui, probablement, n’a que sa cape et son épée. On ne tire pas du beurre de deux cailloux. – J’ai peut-être bien un héritage à faire quelque part. – Peuh ! fit la camérière, ce doit être quelque manoir en Espagne ou quelque clos de vigne sur le bord de la Garonne. Henri se prit à sourire. – Voyons la seconde raison, dit-il. – Je ne chasse pas volontiers sur les terres des autres… Henri songea que la veille il était aux genoux de Marguerite. – Le braconnage a bien son charme, répliqua-t-il. – C’est possible, mais je préfère le système du charbonnier qui veut être maître chez lui. – Bon, et la troisième ? – Ah ! la troisième, dit Nancy, est la plus sérieuse. – En vérité ! – Mais oui… et j’ai bonne envie de la garder pour moi… – Tarare ! murmura le prince, c’est une défaite, ma belle enfant. – Si vous le prenez ainsi, je vais vous la dire, monsieur de Coarasse. – Voyons ! – Eh bien, c’est que je suis… retenue. Ce mot, que la moqueuse fille souligna avec une nuance d’émotion, fit tressaillir le prince. – Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-il, et moi qui avais promis à Raoul… Pauvre Raoul ! Nancy rougit bien fort, et son sourire railleur s’effaça. Mais Henri lui prit la main. – Pardonnez-moi, ma petite, dit-il ; on trompe volontiers la femme qu’on n’aime pas et plus volontiers encore la femme qu’on aime… – Peste ! la jolie morale… – Mais on ne manque point à sa parole, et vous êtes si appétissante que j’ai failli cependant oublier la promesse que j’avais faite à Raoul… – Mais, dit vivement Nancy, je n’ai pas dit que c’était Raoul. – Non, certes ; mais votre visage est devenu si sérieux que je n’en saurais douter. Nancy baissa légèrement la tête. – Au moins, dit-elle, ne le lui dites pas… – Oh ! soyez tranquille… Henri regarda Nancy une dernière fois… – Quel dommage ! pensa-t-il ; j’ai eu grand tort de promettre… – Monsieur de Coarasse, reprit la camérière, qui retrouva sur-le-champ son rire moqueur et son regard espiègle, savez-vous que vous êtes très étourdi ?… – Bah ! vous trouvez ? – Dame ! voilà dix minutes que vous êtes ici et vous ne m’avez pas demandé encore… – Pourquoi j’y suis, n’est-ce pas ? – Précisément. Eh bien, vous y êtes parce que madame Marguerite n’avait point prévu tout à l’heure cet évènement qui met tout le Louvre en rumeur. – Quel est cet évènement, ma petite ? – C’est la colère du roi à cause de l’assassinat de la rue aux Ours. – Ah ! j’y suis, dit Henri. – Et l’arrestation de René. – On l’a arrêté ? – Il y a un quart d’heure. C’est M. de Crillon qui s’en est chargé. Or, continua Nancy, la reine-mère est comme une folle ; elle va et vient de chez elle chez madame Marguerite. Vous comprenez… – Oui, sans doute. Mais pourquoi, ma petite, hier… – Ah ! vous êtes bien curieux… – Dame ! fit le prince. Nancy prit un air sérieux. – Puisque vous avez mon secret, autant vaut que je devienne votre amie, dit-elle. – Je suis déjà le vôtre, moi. – Vrai ? – Parbleu ! il faut bien que je me contente de cela, puisque Raoul… – Chut ! Nancy posa sa petite main sur la bouche de Henri. – Si vous prononcez encore ce nom, dit-elle, vous ne saurez rien. – Bon ! je suis muet, parlez… – Eh bien, madame Marguerite n’avait pas la migraine hier, et elle n’avait absolument rien à aire… – Elle pouvait donc me recevoir ? – Certainement. – Pourquoi donc… – Pourquoi les femmes ont-elles des caprices ? Madame Marguerite a eu peur… – Peur ? et de qui ? – De vous… Henri eut un battement de cœur. – Mon bel ami, continua Nancy, le cœur des femmes sera toujours un mystère. Celui de madame Marguerite est plein de bizarreries et de faiblesses… Vous avez vu Son Altesse pour la première fois il y a trois jours. Certes elle n’allait à ce bal que malgré elle… La pauvre princesse avait pleuré durant tout le jour. Henri avait l’habitude de comprendre à demi-mot. Un malin sourire vint à ses lèvres : – Elle avait pleuré, les yeux tournés vers la Lorraine… dit-il. – Peut-être… – Et après le bal ? – Elle ne pleurait plus, mais elle était songeuse. Vous lui aviez promis des histoires sur la cour de Navarre. – J’ai tenu ma parole, ce me semble. – Oui, joliment, dit Nancy. – L’aurais-je offensée ? – Mon Dieu ! fit Nancy, qui le regarda avec ce grand air de compassion qu’ont les femmes pour la naïveté de l’homme, si vous l’aviez offensée, vous ne seriez pas ici… – Mais, alors, pourquoi, hier… – Les scrupules faisaient leur testament, murmura la spirituelle camérière, et la Lorraine, qui se noyait, cherchait à s’accrocher à quelque branche. – Et la branche ?… – La branche a cassé, fit Nancy. Henri rougit comme un écolier et ce fut au tour de Nancy à le railler. – Voyez-vous, dit-elle, si j’eusse ajouté foi tout à l’heure à votre manoir espagnol et à votre clos de vigne gascon, je serais bien campée ! Vous aimez déjà Marguerite… comme… elle vous aime !… – Nancy !… – Ne vous en défendez donc pas, mon beau papillon. Quand on regarde cette beauté resplendissante, on y brûle son cœur et ses ailes. – Ma petite Nancy, dit le prince, qui reprit la main de la jeune fille dans les siennes, puisque je ne suis que votre ami, dites-moi si je vais attendre bien longtemps pour la revoir. – Vous êtes prisonnier ici jusqu’à ce que madame Catherine ait consenti à s’en aller. – Et alors vous me conduirez ?… – Sans doute, je n’ai pas l’intention de vous garder éternellement. – Je le voudrais bien… murmura le prince, qui ne pouvait s’empêcher de trouver les cheveux de Nancy d’une nuance adorable. Nancy le menaça du doigt. – Je le dirai à Raoul, fit-elle, et il vous donnera un bon coup d’épée… Soudain et comme elle achevait, Nancy se leva et prêta l’oreille… – La reine rentre chez elle ! Venez, dit-elle. Elle reprit le prince par la main, le fit sortir de sa jolie chambrette et l’entraîna de nouveau dans l’escalier noir. La chambre de Nancy était au second étage du Louvre, l’appartement de madame Marguerite au premier et verticalement au-dessous. C’était donc un étage à redescendre. Comme il entrait dans le couloir mystérieux, Henri s’aperçut que son cœur battait. – Voilà qui est bizarre, pensa-t-il. Ce matin, en regardant Sarah, j’éprouvais exactement la même émotion. Est-ce que, décidément, j’aimerais deux femmes à la fois ? À la porte dérobée de l’appartement de la princesse Nancy s’arrêta. – Un mot, dit-elle, mettant la main sur le bouton de la porte et se penchant à l’oreille du prince, ou plutôt un conseil. – J’écoute. – Soyez timide et ne me trahissez pas… je vous servirai. Nancy ouvrit la porte, et le prince se trouva chez madame Marguerite. La princesse, au bruit, leva la tête et aperçut Henri. Un léger incarnat monta alors à son front, mais il ne régnait qu’un jour mystérieux dans l’oratoire, et il fallait un œil bien effronté pour remarquer cette rougeur passagère qui colora le visage de la jeune princesse. Elle salua Henri de la main et fit un signe mystérieux à Nancy. Nancy alla pousser le verrou de la porte qui ouvrait sur les grands appartements, et sortit par celle qui donnait sur le couloir. Alors Marguerite regarda celui qu’elle prenait pour un petit gentilhomme du pays de Gascogne. Henri demeurait debout à distance, et, fidèle peut-être à la recommandation de Nancy, peut-être aussi obéissant à une émotion vraie, il était dans l’attitude de l’amoureux le plus respectueux et le plus timide du monde. Cet embarras charma Marguerite en même temps qu’il lui permit de dissimuler son émotion. – Ah ! monsieur de Coarasse, dit-elle en lui tendant sa main à b****r, comme vous êtes heureux de ne pas être prince !… Henri eut un sourire, mais il soupira. – Je voudrais l’être… murmura-t-il. – Ne le soyez jamais, reprit Marguerite, c’est un vilain état. Depuis ce matin, j’ai la tête cassée de politique ; la reine-mère ne me laisse pas un moment de répit. Henri s’approcha timidement de deux pas. – Asseyez-vous, monsieur de Coarasse, continua la princesse. J’espère que, pour aujourd’hui, on ne viendra plus me fatiguer des colères du roi et des terreurs de ma mère pour son cher René… Henri prit un escabeau et le plaça tout auprès du fauteuil de Marguerite. – Voyez, monsieur de Coarasse, reprit Marguerite, vous m’avez promis de me faire le récit des amours de la comtesse de Gramont avec le prince de Navarre, mon futur époux ? La question de Marguerite mettait Henri à son aise, en le replaçant sur le terrain d’une conversation galante et enjouée. – Madame, répondit-il, la comtesse Corisandre passe pour une jolie femme en Navarre. – Je l’ai vue, dit Marguerite. – Surtout lorsqu’elle est accompagnée de son mari. – Il est vrai, observa la princesse, que ce pauvre comte est vieux et horriblement laid. Mais aussi, sa femme en a pris à son aise, il me semble… – Heu ! heu ! fit Henri. – Elle est folle, m’a-t-on dit, de ce petit prince… – Folle ! non… mais elle l’aimait beaucoup. – Comment ! ne l’aimerait-elle plus ? – Peut-être bien… toujours est-il que le prince a cessé de l’aimer. – Que me dites-vous donc là, monsieur de Coarasse ? – La vérité, madame. – Il y a rupture ? – C’est tout comme. – Mais le dernier gentilhomme arrivé de Navarre, M. de Miossens, que la reine Jeanne d’Albret avait chargé de ses compliments pour ma mère, ne lui a point dit cela. – Que lui a-t-il donc dit, madame ? – J’ai surpris une conversation entre elle et lui, dit Marguerite. M. de Miossens disait à la reine-mère : « S.M. la reine de Navarre, qui tient beaucoup au mariage du prince, n’a qu’une crainte, c’est que sa passion pour madame de Gramont ne soit bien difficile à déraciner. » – Vraiment ? fit Henri. – J’en ai conclu que le prince chercherait peut-être à se soustraire comme moi à l’union qui nous menace. Henri eut toutes les peines du monde à réprimer une légère grimace. – Si le prince vous voyait, madame, il ne se trouverait pas si fort en péril, dit-il. – Monsieur de Coarasse, je vous ai déjà dit que je n’aimais pas les flatteurs. Henri rougit de nouveau et avec une ingénuité si parfaite que Marguerite le trouva charmant et reprit : – Ainsi le prince n’aime plus Corisandre ? – Non, madame. – Depuis quand ? – Depuis un mois environ. – Mais… qu’en savez-vous ? – Ah ! dit Henri, cela tient à deux raisons. – Vraiment ? – La première, c’est que la comtesse de Gramont était d’une jalousie insupportable. – Pauvre femme ! – La seconde, c’est que le prince aime ailleurs. – Bah ! – Et, chose bizarre, madame, diraient les maris, il aime celle qui doit être sa femme. – Que dites-vous donc, monsieur ? s’écria Marguerite, qui étouffa un cri de véritable surprise. – Je vous rapporte, madame, les rumeurs et les on dit de la cour de Nérac. – Ainsi… il… m’aimerait ? – Depuis qu’il a vu votre portrait. – Ah ! par exemple, dit Marguerite en riant, il est prompt à s’enflammer, il me semble… – Il a vingt ans, madame, et dans notre pays… Henri s’arrêta et regarda si tendrement Marguerite qu’elle en eut un v*****t battement de cœur. – Eh bien, moi, dit-elle, j’aurais beau voir le portrait de ce prince en bottes fortes et en pourpoint de bure, je n’en deviendrais jamais folle… – Je puis vous faire son portrait, madame. – Non, je n’y tiens pas. Revenons à la comtesse. Elle doit se désoler… Cette question embarrassa quelque peu le prince. – Ma foi ! répondit-il, voilà ce qu’il m’est impossible de dire à Votre Altesse, car je suis parti de Nérac juste à l’époque où le prince cessait d’aimer la comtesse. – Ah ! fit Marguerite un peu désappointée… – En sorte que, acheva Henri, il m’est assez difficile… – Monsieur de Coarasse, dit Marguerite en regardant le sablier, savez-vous qu’il est fort tard ?… Henri rougit et se leva. – Si Votre Altesse le désire, murmura-t-il, je lui pourrai faire demain le portrait du prince de Navarre. – Demain ? Et Marguerite rougit à son tour. Puis elle regarda le jeune homme, dont l’œil suppliant était plein d’éloquence. – Soit ! dit-elle : venez demain… Il lui prit la main, et cette main trembla légèrement dans la sienne… Il la porta à ses lèvres, et cette main trembla plus fort… Il se laissa tomber à genoux. – Mais partez donc ! s’écria Marguerite toute troublée et d’une voix émue. Elle lui retira sa main et appela : – Nancy ! Nancy ! Le prince se releva, Nancy ouvrit une porte, le prit par le bras et l’entraîna. – Allons ! pensa le prince, Nancy avait dit vrai… je suis aimé. Je voudrais bien, à présent, ne pas être le prince de Navarre.
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