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La Maîtresse du roi de Navarre

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Extrait: "Ce jour-là, le roi Charles IX avait chassé à Saint-Germain. Le roi avait couru un louvard, et Sa Majesté, qui était réellement passionnée pour la vénerie, s'était donné le plaisir d'arracher la malheureuse bête aux abois du supplice qui l'attendait en lui campant une balle en plein travers juste au moment où la meute la coiffait et se disposait à la mettre en pièces toute vivante."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.

● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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I
I Ce jour-là, le roi Charles IX avait chassé à Saint-Germain. Le roi avait couru un louvard, et Sa Majesté, qui était réellement passionnée pour la vénerie, s’était donné le plaisir d’arracher la malheureuse bête aux abois du supplice qui l’attendait en lui campant une balle en plein travers juste au moment où la meute la coiffait et se disposait à la mettre en pièces toute vivante. Le loup forcé et tué, le roi s’était aperçu qu’il n’était guère que midi. – Messieurs, avait-il dit à sa suite, il me semble que nous aurions bien le temps de chasser au chevreuil. Qu’en pensez-vous, Pibrac ? – Je suis de l’avis de Votre Majesté, Sire. – Et vous, monsieur de Coarasse ? Henri et Noë étaient de la suite du roi, qui les avait conviés, on s’en souvient, par l’intermédiaire de M. de Pibrac. – Mais, Sire, répondit le prince, si Votre Majesté veut chasser un chevreuil avec ces jolis chiens bassets que j’ai vus ce matin dans la cour du château de Saint-Germain, nous aurons un plaisir sans pareil. – Vous croyez ? – J’en suis sûr. – Eh bien, dit Charles IX, Pibrac, mon ami, envoyez chercher les bassets… Et, tandis que M. de Pibrac piquait des deux pour ramener l’équipage de bassets au plus vite, le roi ajouta : – En vérité, ma sœur Margot, qui cependant aime beaucoup la chasse, a eu bien tort de n’être pas des nôtres aujourd’hui. Qu’en pensez-vous, monsieur de Coarasse ? Le temps est superbe. – En effet, Sire. – Et Margot se fût beaucoup amusée, acheva le roi, qui jeta un regard malin au jeune prince. Henri soutint ce regard et demeura impassible. – Est-ce que Son Altesse aurait été indisposée ce matin ? demanda-t-il. – Margot avait la migraine. – Un vilain mal, Sire. – Vous croyez, monsieur de Coarasse ? – Je l’ai ouï-dire, du moins. Le roi haussa les épaules : – Les femmes ont toujours la migraine lorsqu’elles ne veulent pas faire telle ou telle chose. Je gage que si ma sœur Margot avait su que vous chassiez avec moi… Cette fois Henri ne put s’empêcher de rougir. – Elle serait venue… – Ah ! Sire, quelle plaisanterie ! Le roi comprit qu’il était allé un peu loin et mettait le jeune homme dans un bien grand embarras. – Mon Dieu ! dit-il, je ne plaisante pas du tout. Depuis que Marguerite sait qu’elle doit épouser le prince de Navarre, elle court après tous les Béarnais qu’elle rencontre, espérant toujours qu’il s’en trouvera un qui lui pourra faire le portrait de son futur époux. M. de Pibrac revint avec les bassets et on attaqua le chevreuil. Le chevreuil fut pris en moins de trois heures, et le roi, ravi de sa journée, s’écria : – Je crois, ma foi, que je vais souper d’excellent appétit, ce soir. – Tant mieux, Sire, dit Pibrac. Quand le roi mange, ses sujets ont faim. Le roi sourit : – Eh bien, je vous invite à souper, Pibrac. – C’est un grand honneur pour moi, Sire. – Ainsi que vos deux cousins. Henri et Noë s’inclinèrent, et le roi Charles IX donna le signal du départ et revint à Paris avec sa suite. Sa Majesté, en franchissant la poterne du Louvre, avait dit à M. de Pibrac : – Voyez donc ma sœur Margot, Pibrac, et sachez si elle a toujours la migraine. Vous l’inviteriez à souper de ma part. – Sire, était revenu dire le capitaine des gardes, S.A. madame Marguerite souffre toujours beaucoup et s’est mise au lit. – Diable ! pensa Henri, et le rendez-vous qu’elle m’a donné ? Le roi se mit à table avec M. de Pibrac, les deux jeunes gens qui passaient pour ses cousins, M. de Crillon, colonel des gardes, et deux autres gentilshommes qui avaient chassé. – J’ai une faim de loup, dit-il. Si mon futur beau-frère, le prince de Navarre, a un pareil appétit quand il revient de la chasse, ma sœur Margot ne sera point trop à plaindre… et, ajouta Charles IX en riant, les Bourbons ne s’éteindront pas. Mais le roi avait compté sans le hasard, qui se plaît parfois à paralyser l’appétit le plus robuste par quelque malencontreuse nouvelle. Charles avait à peine englouti sa fameuse soupe au lard et sucé une aile de faisan qu’un de ses pages, celui qu’on nommait Gauthier, entra et vint lui dire : – Sire, le prévôt des marchands supplie, à deux genoux, Votre Majesté de lui donner audience sur l’heure. – Au diable le prévôt ! dit le roi, que peut-il me vouloir ? Dis-lui qu’il revienne demain. – Sire, il prétend qu’il vient dévoiler à Votre Majesté un crime abominable. – Eh bien, murmura Pibrac, cela regarde le chevalier du guet. Mais le roi avait dressé l’oreille à ce mot de crime abominable. – Eh ! eh ! dit-il, qu’est cela ? Fais entrer, Gauthier, mon mignon. Le page sortit ; puis, deux minutes après, il souleva la portière, ouvrit un battant de la porte, et l’on vit entrer M. le prévôt des marchands. C’était un majestueux vieillard, portant la simarre avec dignité, et qui avait bien plus les allures d’un gentilhomme que celles d’un bourgeois. On le nommait Joseph Miron, et il était le frère du médecin du roi. – Monsieur le prévôt, dit Charles IX, qui lui tendit, selon l’usage, sa main à b****r, le feu est-il aux quatre coins de Paris ? – Non, Sire. – Les ponts ont-ils été emportés par une crue subite de la Seine ? – Pas davantage, Sire. – Alors, que nous arrive-t-il donc de si terrible, que vous soyez sans pitié pour un pauvre roi qui se meurt de faim par extraordinaire, que vous le veniez ainsi troubler ? – Sire, répondit le prévôt, que cette brusque réception ne déconcerta point, je viens demander justice à Votre Majesté. – Justice ! fit le roi. – Un crime abominable a été commis la nuit dernière dans la maison d’un bourgeois de Paris, et la rumeur publique… – Est-ce qu’on l’a assassiné ? interrompit le monarque – Assassiné et volé. – Et que dit la rumeur publique ? – Elle accuse des gens au service de Votre Majesté. – Cordieu ! monsieur le prévôt, dit vivement le roi en laissant retomber sur la table le couteau qu’il avait à la main, je n’ai à mon service que des gentilshommes et des gens de bien. – Sire, répondit le prévôt avec fermeté, je n’affirme rien. Mais on a trouvé un lansquenet mort… – Ah çà, voyons, dit le roi, expliquez-vous, monsieur le prévôt. Henri et Noë avaient déjà échangé un rapide coup d’œil d’intelligence. – Eh bien, Sire, reprit Joseph Miron, je dois vous dire qu’il y avait dans la rue aux Ours un marchand bijoutier-orfèvre, du nom de Samuel Loriot. – Un juif ! – Un juif converti. – Converti ou non, dit le roi, peu importe ! il était bourgeois de Paris ? – Oui, Sire. – C’est bien… continuez. – Samuel Loriot avait la réputation d’un très honnête homme, mais il était riche, très riche même… et, quelque soin qu’il prît de le dissimuler, on le savait fort bien. De plus, Samuel Loriot avait une fort jeune et fort jolie femme… – Ah ! ah ! fit le roi, qui, prêt à bâiller d’ennui, se redressa et prêta l’oreille. – Cette femme a disparu. – Seule ? – On ne sait pas. – Et le mari ? – Ce matin, les premiers habitants qui se sont levés dans la rue, poursuivit le prévôt, ont été fort étonnés de voir la porte de la maison de Loriot entrouverte, attendu qu’il s’y enfermait toujours comme en une citadelle. Ils ont poussé cette porte et sont entrés, mais dès les premiers pas qu’ils ont faits dans le corridor, ils ont rencontré un cadavre. – Celui du mari ? – Non, Sire. – Et de qui donc ? – D’un vieux serviteur nommé Job. – Bon ! Après ? fit le roi. – Dans la première pièce à droite du corridor, auprès du coffre-fort ouvert et vide, on a trouvé un second cadavre. – Le mari, cette fois ? – Non, sire. C’était le cadavre d’un lansquenet, et un bourgeois l’a reconnu pour l’avoir vu, il y a trois jours, en faction à la porte du Louvre. – Diable ! fit le roi fronçant le sourcil. – Enfin, au premier étage, on a trouvé un cadavre, celui de la servante. – Mais… le mari ? – Le mari a été retrouvé noyé et frappé d’un coup de poignard dans le dos. – En quel endroit ? – Au bac de Nesle. – Cordieu ! monsieur le prévôt, s’écria le roi, mais savez-vous que cela fait quatre homicides ? – Quatre, Sire. – Et que vient faire ce lansquenet mort au milieu de tout cela ? – Sire, répondit le prévôt, je me suis livré à une enquête qui a donné des résultats bizarres. Le roi regarda le prévôt avec curiosité. – De cette enquête, continua Joseph Miron, il résulte que le bourgeois Samuel a été assassiné hors de chez lui, au bord de la Seine, et quelques gouttes de sang ont été trouvées sur une pierre, sous le pont Saint-Michel. Charles IX tressaillit et il eut comme un vague pressentiment qu’il y avait dans toute cette affaire du René le Florentin. Le prévôt continua : – Le bourgeois Samuel a été frappé par derrière entre les deux épaules d’un coup de poignard. Un barbier-chirurgien, que j’ai requis, a déclaré que la mort avait dû être instantanée. Le cadavre a été jeté à l’eau ensuite. Mais, chose bizarre, la blessure paraît avoir été faite avec le même poignard qui a frappé le vieux Job et la servante… – Et le lansquenet ? dit le roi. – Oh ! non, Sire. – Bah ! fit Charles IX tout à fait intéressé par ce récit. – Le vieux Job, le bourgeois Samuel et la servante ont été frappés avec une dague triangulaire et de fabrique française. – Tandis que le lansquenet ?… – Le lansquenet l’a été avec un stylet italien, de forme carrée et qui n’a fait qu’un trou imperceptible. Cependant, ajouta le prévôt, c’est également entre les deux épaules, comme le bourgeois, qu’il a été atteint, et la blessure a dû déterminer la mort sur-le-champ. – Voilà, murmura le roi, qui devient tout à fait incompréhensible. – Or, reprit Joseph Miron, la dague qui était pendue au flanc du lansquenet était en tout semblable comme forme à celle qui a dû frapper le bourgeois et ses deux serviteurs. – Est-ce qu’il faut en conclure, par hasard, que l’assassin aurait changé d’arme ? – Non pas, Sire ! Il y avait deux assassins, c’est plus que certain. Tous deux ont tué le bourgeois sous le pont Saint-Michel. – Bien. – Et, avant de le jeter à l’eau, ils l’ont dévalisé, se sont emparés de la clef de sa maison qu’il avait dans sa poche, et c’est à l’aide de cette clef qu’ils se sont introduits chez lui un peu plus tard. – Ah ! je commence à comprendre, dit le roi. Mais… le lansquenet ? – Le lansquenet était un des assassins. Son complice l’aura tué pour n’avoir point à partager le contenu du coffre-fort. – Savez-vous, monsieur le prévôt, observa Charles IX, que c’est chose grave que porter ainsi une accusation contre un lansquenet ! – Sire, dit le prévôt, j’ai une accusation bien plus grave à formuler… – Hein ! fit le roi. – Si grave, que je supplie Votre Majesté de m’écouter seul à seul. Le roi se leva, un peu ému, fit un signe et entraîna Joseph Miron à l’autre extrémité de la salle. – Voyons ! dit-il, je vous écoute… Et il murmura avec humeur : – C’est un fait exprès ! J’ai faim une fois l’an, et c’est juste ce jour-là qu’on me vient empêcher de dîner.

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