Chapitre 3

784 Words
Chapitre 3 Même jour, Vannes, 14 heures. — Allez ouste, chéri ! Lève-toi ! Il reste encore mille choses à faire avant de partir ! Mais le chéri en question, bras croisés derrière la nuque, ne semblait nullement pressé de quitter le champ de bataille où il prenait quelque repos après ses exploits guerriers. Il était, au demeurant, assez content de lui. Depuis un certain temps, ses relations avec Marjorie le laissaient un peu sur le qui-vive… Son insatiable maîtresse prenait de l’ascendant sur lui et commençait à revendiquer quelques avantages d’ordinaire réservés aux épouses légitimes. Pour résumer la situation, elle devenait emmerdeuse… Néanmoins, il aurait eu du mal à faire l’impasse sur ses très grandes qualités : des jambes interminables, un grain de peau d’une finesse inégalable et une chevelure si flamboyante qu’elle aurait même conduit aux enfers un moine castré à tendance homosexuelle. Bref, cette pause-déjeuner lui avait permis de faire le point sur ses propres compétences. Marjorie était comblée ; du moins le pensait-il. Après tout, ce n’était qu’un homme… La rousse Marjorie, quant à elle, se remaquillait devant la glace qui lui renvoyait l’image de son amant alangui dans le lit. Elle aurait préféré rester seule, maintenant qu’il avait obtenu ce pourquoi il était venu. Cependant, la jeune femme n’osait pas trop le brusquer. Avant d’être le partenaire favori de ses jeux érotiques, il demeurait son patron et elle ne voulait pas gâcher ses chances de remporter son treizième mois à la fin de l’année. L’air béat qu’il affichait la rassurait… À l’issue de ces quatre jours de bonheur total, il ne lui demanderait pas de rattraper ses RTT. Marjorie força un peu sur le fond de teint afin d’estomper les marques rouges de sa peau irritée par le menton mal rasé de son amant. Elle lorgna sur la brochure publicitaire posée près d’elle, sur la coiffeuse, et résista à l’envie de s’y plonger à nouveau. La chaîne télévisée n’avait pas lésiné sur la qualité de ses invitations ! Le papier glacé et le programme alléchant laissaient augurer un séjour divin ! La jeune femme attendait tout de cette fabuleuse expérience : célébrité, gloire et argent ! Car, bien entendu, elle gagnerait les 200 000 euros offerts au « survivant » ! Et, qui sait… peut-être remporterait-elle l’amour en prime ? Combien étaient-ils de concurrents ? Dans le lot, il y aurait bien un joli garçon célibataire et riche de surcroît ! Tout en se repoudrant le nez, la belle rousse affinait ses projets. Seule ombre au tableau : l’autre dans son lit ! Il n’allait pas piquer un roupillon, tout de même ! — Amour ! susurra-t-elle d’une voix flûtée. N’oublie pas ton rendez-vous au cabinet à 14 h 30 ! C’est madame Bernard, pour un implant. Ensuite, tu as deux caries, une dent sur pivot et la prothèse de monsieur Leduc à 16 h 50. Tu vas prendre du retard ! — Tu as un agenda à la place du cerveau, ma chérie, répondit-il en bâillant… Cela dit, je n’ai jamais eu d’assistante aussi efficace que toi… en tous domaines, se crut-il bon d’ajouter alors qu’il tapotait le matelas en signe d’invite. Ce geste n’échappa pas à la pétulante rousse qui, à ce moment précis, aurait échangé sa défroque humaine pour celle d’une mante religieuse… Heureusement pour elle, Marjorie disposait d’un joker de taille dans son sac à malice… Autant l’utiliser… — À propos, chéri, dit-elle distraitement, tout en faisant glisser un bas de soie sur sa jambe au galbe parfait, ça m’était complètement sorti de la tête ! Ta femme a téléphoné ce matin… Elle m’a dit de te prévenir qu’elle passerait avant ton premier rendez-vous au cabinet pour te donner les réservations du théâtre. Elle a peur d’être en retard ce soir, parce qu’elle doit amener votre fils à sa compétition de judo, je crois… La piqûre de rappel matrimonial eut un effet instantané sur le dentiste. Il quitta aussitôt le lit du péché à la recherche de ses chaussettes, prétextant du fait qu’il ne pouvait plus longuement abuser de son temps, à elle. Marjorie avait sûrement des tonnes de détails à régler avant son départ… Il devait se faire violence, accepter cette courte séparation et ne pas se montrer égoïste… La jeune femme savoura sa petite victoire en achevant de s’habiller. Elle avait un peu travesti la réalité. L’épouse de son amant était déjà passée au cours de la matinée mais n’avait pas voulu déranger son mari. Les billets de théâtre attendaient donc sagement sur son bureau… S’apercevrait-il de ce minuscule mensonge ? Bah ! Au pire, elle possédait tous les arguments pour le faire fléchir dès son retour… Au mieux, elle gagnerait le jeu de téléréalité, rencontrerait un homme bien plus intéressant que lui et lui donnerait congé dans tous les sens du terme… Après tout, ce n’était qu’une femme… Avant de quitter son appartement, il s’approcha d’elle et lui déposa un b****r chaste sur le front. — Tu es splendide, Marjorie, maquillée et déguisée comme ça… Tu me fais penser à une actrice des années cinquante. Ah ! Comment s’appelait-elle déjà ? Heu… oui, Rita Hayworth. Tu sais ? L’épouse de l’Aga Khan… Sensible au compliment, Marjorie lui sourit et lui offrit un bonbon. — À mardi, chouchou… Je te raconterai. N’oublie pas que je t’aime ! — Pas autant que moi, trésor… Amuse-toi bien et sois sage surtout ! J’ai confiance en toi ! — Pour qui me prends-tu ! répliqua-t-elle d’un ton offusqué.
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