Chapitre 2

1086 Words
Chapitre 2 Rennes, même jour, même heure. Assise sur son lit, une carte routière déployée sur les genoux, Gervaise Deloze considérait son mari avec un brin d’amusement. — C’est fou comme tu peux ressembler à Rudolph Valentino coiffé comme ça ! Tu n’as pas l’impression d’avoir un peu forcé sur la gomina, non ? — Il faut ce qu’il faut, ma chérie… Dans les années vingt, les élégants d’un certain âge en abusaient toujours… Regarde-moi un peu ce pantalon qui m’arrive presque aux aisselles… C’est atroce ! La femme de Paul Deloze éclata d’un rire libérateur puis se leva pour venir se blottir dans les bras de son mari. — Je suis obligée d’en convenir, en effet, mon pauvre amour. Tu n’es pas très sexy… Attends d’avoir mis tes bretelles… Mais Gervaise Deloze ne put terminer sa phrase, empêchée par un fou rire si communicatif qu’il égaya Paul pour de bon. — Interdiction de se moquer ! Femme ! Passez-moi plutôt le gilet, s’il vous plaît, ainsi que les boutons de manchettes ! Cessez votre arrogance et venez m’aider ! Ah ça, mais ! Je suis maître chez moi ! Tâchez de vous en souvenir ! Cinq minutes plus tard, Paul Deloze, habillé de pied en cap, subissait l’examen critique de son épouse. — Alors ? En guise de réponse, Gervaise arrangea la pochette de soie qui, à son goût, était trop voyante. — De la sobriété en tout, chéri… C’est cela l’élégance. Puis elle recula de deux pas pour juger de l’effet. — Tu es parfait ! Un vrai dandy ! On ne pourra rien te reprocher sur ta tenue vestimentaire ! — J’espère bien ! répliqua son mari. Je n’ai aucune intention de perdre deux jetons d’entrée de jeu… Gervaise Deloze, sa mission terminée, alla chercher un paquet de cigarettes posé sur la coiffeuse Louis-Philippe. Après avoir inhalé une première bouffée, elle se tourna à nouveau vers son époux. — Nous avons beau être mariés depuis plus de quinze ans maintenant, tu conserves toujours à mes yeux une part de mystère… — Ah oui ? fit-il, distrait. C’est plutôt une bonne nouvelle, non ? Mais je ne vois pas pourquoi… Appuyée contre les boiseries du mur, Gervaise, de ses pieds nus, jouait avec les fibres soyeuses du magnifique tapis persan qui recouvrait dans sa quasi-totalité le plancher de leur chambre. — Oui, insista-t-elle. Je ne parviens pas à deviner ta motivation profonde pour ce jeu de rôle… Ce n’est pas l’argent, n’est-ce pas ? Nous n’avons pas besoin de ces deux cent mille euros - si tant est que tu gagnes - pour vivre de façon confortable, hein ? Paul Deloze approuva d’un signe de tête. Le col empesé de sa chemise le gênait un peu. — Non, certes ! Cependant personne ne rechignerait devant une telle somme… Mais, tu as raison, ce n’est pas pour l’argent. — Quoi alors ? Un passage à la télévision dans une émission people ? Nous en avons déjà discuté, je le sais… Tu as, à mon humble avis, plus à perdre qu’à gagner dans cette aventure… Tes confrères, à la clinique, risquent de se moquer de toi. La clientèle aussi, avec une telle médiatisation, pourra te reprocher un manque de sérieux et préférer un autre chirurgien, même si tu es, de loin, le plus doué. Le bémol de sa femme affecta un peu l’humeur du médecin. Il soupira en fermant sur le lit sa valise de maroquin fauve. — Tu m’accompagnes jusqu’à la voiture ? Même si le garagiste s’est porté garant sur le parfait état de la Traction, je préfère partir en avance au cas où elle tomberait en panne… Gervaise enfila de simples mules de cuir et posa négligemment sur ses épaules un châle de cachemire. — Je trouve cela un peu discourtois qu’ils n’invitent pas les couples… J’aurais tellement aimé t’accompagner ! fit-elle d’une mine boudeuse. Déjà que la clinique absorbe tout ton temps… Paul enlaça sa femme et déposa sur ses lèvres un b****r mutin. — Je te promets que le mois prochain, j’essaye de m’arranger. Nous partirons une semaine ensemble aux Galapagos, rien que tous les deux. Ça te va ? Gervaise acquiesça d’un hochement de tête quand bien même elle doutait qu’il pût, d’un coup de baguette magique, différer tous ses rendez-vous aux calendes grecques. D’ailleurs, elle se souvint qu’un de leurs très bons amis, affligé d’un kyste au rein et angoissé de surcroît, devait confier sa vie aux mains expertes de son mari. Aussi lui en parla-t-elle tout en descendant l’escalier en marbre de leur propriété. — Ce n’est pas dans un mois, justement, que tu dois opérer Pierre Menty ? J’espère que son intervention n’est pas prévue la semaine la moins chargée où, éventuellement, tu pourrais te libérer ? Je vois mal annoncer à Constance que son mari attendra notre retour de vacances… — Je n’ai pas un agenda dans le cerveau, chérie… Mais ne t’inquiète pas. Au pire, j’intervertirai deux opérations. J’ai plusieurs polypes qui peuvent patienter encore un peu. Téléphone à ma secrétaire… Gervaise, apaisée, se serra davantage contre son époux. La famille et leurs nombreuses relations savaient toujours compter sur son dévouement. Parvenu sur le perron, Paul Deloze s’arrêta un instant pour aspirer, à pleines goulées, l’air automnal saturé d’humidité. L’esquisse d’un sourire guilleret affleurait sur ses lèvres. Consciente de cette métamorphose, sa femme le gratifia d’une légère bourrade sur l’épaule. — Hé ! Dis donc, toi ! C’est tout l’effet que ça te fait de m’abandonner à mon triste sort durant quatre jours ! On dirait un petit garçon devant des manèges ! J’espère au moins que, là-bas, les filles auront des têtes de poux sur des corps de limaces ! Voilà tout le bien que je te souhaite ! Le sourire de Paul s’élargit. Il tendit vers son épouse une main magnanime. — Ne sois pas sotte, chérie. Sur ce plan-là, aucune femme ne peut rivaliser avec toi ! Et je te rappelle, pour ta gouverne que nous sommes filmés ! Quel imbécile s’amuserait à batifoler devant une caméra de télévision ? Il fit, seul, quelques pas dans la cour pavée, attiré par la rutilante Traction avant, louée pour l’occasion et qui devait le conduire vers ce coin du Finistère qu’il ne connaissait pas. — Elle est belle, hein ? déclara-t-il en se retournant vers sa femme. — Tu es sûr de ne pas vouloir emporter le GPS ? C’est tout de même plus pratique qu’une carte routière ! — Sûr et certain. Le comité d’accueil s’arroge le droit d’examiner nos affaires. Alors, la voiture, tu penses ! Gervaise Deloze haussa les épaules, estimant un peu puériles les règles de ce jeu auquel elle n’était pas conviée. — Prends au moins ton portable ! insista-t-elle. Comment veux-tu pouvoir me joindre sinon ? — Certainement pas ! Tu sais bien que toutes les inventions postérieures à 1950 sont interdites ! Et puis, quatre jours, ce n’est pas la mer à boire, voyons ! S’il y a une urgence, je suppose qu’on nous permettra d’appeler d’un poste fixe du manoir ! Arrête de te faire ainsi de la bile, chérie ! Ça me gâche une partie de mon plaisir… Gervaise s’efforça alors de faire bonne figure. Elle croisa contre sa poitrine les pans de son châle. Légèrement vêtue, elle sentait l’humidité glaciale s’insinuer sous son chemisier. Installé à présent au volant de la voiture de collection, Paul Deloze ouvrit la vitre afin d’embrasser une dernière fois sa femme. — À la semaine prochaine, ma chérie. Rentre vite, tu vas prendre froid. Si tu savais comme cette expérience m’excite ! J’ai l’impression d’avoir retrouvé mes quinze ans ! Gervaise sourit et acquiesça d’un battement de cils. Elle le comprenait à présent…
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