Chapitre 1

1053 Words
Chapitre 1 Deux années plus tard… à Saint-Brieuc. Mademoiselle Hermione Favennec, ainsi accoutrée, se regarda une dernière fois dans sa psyché. La petite touche finale, un camée ayant appartenu à sa tante, égayait le strict tailleur de tweed. Elle voulut alors essayer le chapeau en feutre vert bouteille qu’elle avait eu tant de mal à dénicher dans une foire aux puces. Le vendeur, un malotru, voleur de surcroît, lui en demandait un prix exorbitant, prétendant que ce couvre-chef avait autrefois eu l’insigne honneur de coiffer la ravissante Gaby Morlaix… Profitant d’un afflux de badauds à son stand, elle avait alors chapardé l’objet convoité… Voilà de quelle façon, elle, Hermione Favennec, réglait leur compte à tous ces filous… Le port de ce chapeau nécessitait une épingle. Au hasard d’une promenade, le mois précédent, elle avait aperçu celle-ci à la devanture d’une brocante. Ornée d’une grosse perle, sans doute fausse, sertie dans de l’or ciselé, à moins qu’il ne se fût agi d’un alliage ordinaire, cette épingle à chapeau l’avait aussitôt fascinée. Elle avait pénétré dans la boutique, parlementé avec le brocanteur au sujet d’une paire de chandeliers en bronze et était sortie quelque temps plus tard, ravie de sa nouvelle acquisition dont elle ne saurait jamais le prix… Un « petit péché mignon », se plut-elle à se rappeler, selon l’expression de sa mère pour tout autre chose, il est vrai… Hermione eut du mal à appliquer correctement son rouge à lèvres. Il « filait ». Ah ! Les rides au contour de la bouche ! Quelle plaie ! Avec une rigueur toute militaire qu’elle avait héritée de son père, elle passa en revue le moindre détail de sa tenue vestimentaire. Le règlement du jeu était strict à ce sujet ! D’emblée, elle perdrait deux jetons de sa cagnotte si un détail clochait ! Voyons… Rien ne dépareillait… Elle avait même poussé le vice, au cas où l’on fouillerait sa valise, de se départir de ses collants si confortables pour adopter l’attirail épouvantable des femmes de l’époque… Cette gaine, si elle flattait son profil, lui comprimait néanmoins l’abdomen. Et depuis qu’elle était jeune fille, elle avait perdu tout attrait pour bas et porte-jarretelles. Ainsi attifée, elle avait la désagréable impression de marcher sur des échasses ! Fort heureusement, elle avait adopté les souliers plats si souvent décrits par la romancière anglaise… À dire vrai, si Hermione peinait à se reconnaître ainsi déguisée, elle sentait pourtant que sa panoplie de vieille fille retiendrait, dès son arrivée au manoir, tous les suffrages. Elle consulta la montre-bracelet de sa mère qu’elle avait fait réparer pour l’occasion. Le chauffeur de taxi ne devrait plus tarder… Elle se remémora le parcours du combattant qui l’attendait. Sa brève course jusqu’à la gare de Saint-Brieuc, l’interminable trajet en train, terminus Quimper. Puis l’autocar, direction Pouldreuzic. Un autre taxi, enfin, la conduirait au fameux manoir de Kersallec. Et en route pour la grande aventure ! L’aventure de sa vie, même ! Certes, ces différents moyens de locomotion ne lui facilitaient pas la tâche, mais c’était ce qu’elle avait trouvé de moins onéreux. Avec une simple retraite d’institutrice, elle ne pouvait pas se permettre des folies ! Si encore elle avait passé son permis ! À présent, il était trop tard pour avoir des regrets… Le téléphone sonna. Contrariée, Hermione alla répondre, persuadée qu’il s’agissait d’Esther. Son intuition ne la détrompa pas. Sa sœur cadette, excitée comme une grosse mouche verte à l’odeur d’un vieux pont-l’évêque, venait aux nouvelles. Hermione était-elle prête ? Avait-elle songé à tout ? Esther aurait donné n’importe quoi pour prendre la place de sa sœur ! Pensez donc ! Participer à une émission de téléréalité ! Quelle chance ! Elle croisait les doigts - dodus du reste - pour que « sa grande Mimi » remporte, haut la main, la finale du jeu et qu’elle gagne la somme considérable de deux cent mille euros ! Qu’en ferait-elle ? Esther avait réfléchi toute la nuit à ce problème. Pourquoi Hermione n’achèterait-elle pas un appartement près d’elle, à Narbonne ? Elle vivrait alors entourée de l’affection des siens ! N’était-ce pas une excellente idée ? Hermione Favennec coupa court à l’horripilant babillage de sa cadette, prétextant du fait que le chauffeur de taxi venait de sonner à la porte. En raccrochant, elle fut prise d’un léger vertige. Habiter Narbonne… Et puis quoi encore ? Pouah ! Être étouffée entre de la guimauve et un loukoum, très peu pour elle ! Qui plus est, ces deux friandises fadasses s’étaient reproduites ! Il faudrait, par-dessus le marché, supporter la mièvrerie de sa nièce qui n’aspirait qu’à faire un mariage d’amour, et la niaiserie de l’héritier mâle qui, à vingt-cinq ans, incapable de décrocher un boulot stable, habitait encore chez ses parents ! Plutôt crever ! Hermione consulta sa montre. Elle avait précisé dix heures moins le quart au chauffeur de taxi. Cinq petites minutes d’attente encore… Elle vérifia alors les mille détails nécessaires avant le départ de quatre jours. Avait-elle bien coupé le gaz ? Éteint la machine à café ? Malgré elle, son esprit vagabond revint rôder autour d’Esther. Comme, en vieillissant, sa sœur cadette ressemblait de plus en plus à leur mère ! Le visage d’une femme brune à la peau blanche, morte depuis plus de trente ans à présent, s’imposa à sa mémoire… Marie Favennec, souriante, douce, conciliante, sans grand caractère, au fond… Hermione n’avait connu à sa mère que deux passions. La première, pour son mari, un colonel de cavalerie, homme fougueux et énergique. La seconde, désastreuse, pour le théâtre… C’est à cet engouement maternel que Hermione et sa sœur devaient leurs prénoms… Encore heureux qu’elle n’ait jamais eu de fils ! Elle eût été capable de l’appeler Pyrrhus ! Pourquoi donc, leur père, avait-il eu la faiblesse de céder à ce caprice ? Probablement, se fichait-il de ces détails… Pierre-Henry Favennec avait essaimé sa militaire semence aux quatre coins des colonies françaises, en cette époque bénie où les hommes étaient encore de vrais mâles et de puissants guerriers ! Hermione conservait pour ce père, trop tôt disparu, une véritable dévotion… Parfois, elle se surprenait encore à rêver de lui, de son odeur particulière surtout, alchimie virile de cuir, de sueur de chevaux et de cigares… Si elle avait été sa femme et non sa fille, Hermione aurait su conserver, elle, l’amour de cet homme d’exception ! Certes, elle n’aurait pas eu à supplier et pleurnicher comme leur mère dont l’attitude pleutre la faisait rougir de honte lorsqu’elle était petite ! Si seulement elle avait été un peu plus âgée lorsqu’il avait décidé de fuir ce carcan familial où l’on ne jouait que le concerto pour sanglots et grincements de dents ! Le bruit d’un klaxon sortit Hermione de sa rêverie. L’ancienne institutrice se précipita à la fenêtre dont elle écarta un pan du rideau. Un taxi était stationné à la porte de l’immeuble. Du haut de son deuxième étage, la femme pouvait apercevoir les mains du chauffeur qui pianotaient sur son volant. Hermione soupira. Il ne serait jamais venu à l’idée de ce mollusque de s’extirper de sa coquille pour monter l’aider à porter sa mallette ! Décidément, les hommes d’aujourd’hui ressemblaient plus à des chapons européens qu’aux superbes coqs gaulois de jadis !
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